Un chemin part de la maison d’Emmanuel Gascard qui sépare deux grandes prairies. Dans l’une des deux, trois beaux chevaux de trait paissent tranquillement. « Ils ont 4 ans. Je les ai depuis quelques mois, raconte leur propriétaire. Je commence à les faire travailler doucement, à la ferme, au jardin. Ces chevaux continuent de grandir et de gagner du volume jusqu’à 7 ans. C’est à partir de ce moment qu’ils peuvent réellement faire du logging. »
Ancien artisan du bâtiment, Emmanuel Gascard a tout quitté – son métier, et l’Yonne, où il vivait – pour s’installer dans un hameau de la Nièvre, à une vingtaine de kilomètres de Nevers, il y a dix ans. Il a repris un élevage de chevaux de trait et forme depuis des personnes désireuses d’utiliser ces techniques. Elle répond ainsi, à la demande, aux chantiers d’exploitation forestière qui privilégient les chevaux plutôt que les machines.
Pas plus d’impact qu’un cueilleur de champignons
« L’exploitation forestière ne représente qu’une petite partie de mon activité. On me sollicite davantage pour les travaux agricoles, dans les vignes par exemple. » Les chevaux de trait ne sont utilisés, selon lui, que sur 0,2 % des chantiers forestiers en France. « Cette technique est utilisée ponctuellement, notamment lorsque des contraintes techniques ou écologiques ne permettent pas l’accès aux véhicules motorisés. Mais ce n’est pas anecdotique », commente Nicolas Blanchard, chef de projet filière forêt et bois au Parc naturel régional du Morvan, en Bourgogne.
Dans la Nièvre, département où un tiers de la surface est recouvert de forêts, des expérimentations ont été menées ces dernières années. En juin 2022, sur une parcelle de 14 hectares située dans une réserve naturelle régionale à Prémery, des chênes rouges matures ont été abattus et l’exploitation forestière a été réalisée avec des chevaux afin de ne pas détériorer les sols pleins de zones humides et de marellas. « La Caisse des Dépôts, qui exploite des terrains, fait régulièrement appel à moi et à mes chevaux », confirme Emmanuel Gascard.
Il ne faut pas opposer le travail des chevaux à des machines qui détruiraient tout. Dans la grande majorité des cas, les entreprises qui disposent de machines font bien les choses.
Dans le Morvan, le groupe forestier Chat sauvage acquiert depuis dix ans des parcelles dans une optique de gestion douce et durable. «Nous avons réalisé notre premier projet de coupe de bois l’année dernière et nous avons choisi de travailler avec des chevaux», explique Frédéric Beaucher, l’un des trois cogestionnaires de ce groupe forestier. « Pour être honnête, j’étais sceptique, je craignais une dimension un peu folklorique. Mais une fois l’expérience passée, je n’ai plus la même vision des choses. Le résultat était d’une telle qualité… C’est une méthode très respectueuse du sol et des autres arbres. Les conditions météorologiques n’étaient pas très bonnes, mais les chevaux n’ont pas eu plus d’impact qu’un cueilleur de champignons. »
Cet hiver, Le Chat sauvage devrait réitérer l’expérience. « On voit bien que cette technique présente des avantages, poursuit Nicolas Blanchard. Mais cela nécessite de travailler en bonne relation avec les bûcherons. Il faut des chevaux qui y sont habitués, qui n’ont pas peur du bruit des tronçonneuses par exemple. »
Coût plus élevé avec les chevaux
L’apprentissage se fait en amont, comme l’explique Emmanuel Gascard. « Les chevaux de travail sont calmes, patients. Je dois le faire parce que je ne peux pas les retenir lorsque j’attache la bûche. Ils pèsent jusqu’à 850 kg et sont capables de remorquer leur poids en faisant glisser la charge sur le sol. Lorsqu’ils utilisent une trinqueballe (engin équipé de deux roues tirées par des chevaux auxquelles est fixé le tronc d’arbre), ils peuvent se déplacer jusqu’à deux fois leur poids. »
Une alternative au débardage motorisé plus habituel ? « Il ne faut pas opposer le travail avec des chevaux qui seraient plus vertueux aux machines qui détruiraient tout. Dans la grande majorité des cas, les entreprises dotées de machines font bien les choses, estime Jérôme Mollard, directeur de l’agence Bourgogne Ouest de l’Office national des forêts (ONF). Les deux techniques peuvent être complémentaires. Les chevaux peuvent transporter des grumes vers des zones de la forêt plus accessibles aux machines qui prendront alors le relais. »
Et surtout, avec les chevaux, le coût est plus élevé pour un rendement moindre. « Même si on n’a jamais vraiment évalué le coût que représente le compactage des sols lié à l’exploitation forestière », observe Emmanuel Gascard. En Bourgogne-Franche-Comté, l’exploitation équestre est soutenue financièrement : la région prend en charge le surcoût par rapport à un chantier traditionnel.
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