CCe sont des mots qui manquaient au huis clos du procès devant le tribunal pour enfants en 2023. Zohra y a été condamnée à dix-huit mois de prison, avec sursis pour dénonciation calomnieuse. Ce mardi, la collégienne à l’origine de la rumeur qui a inspiré l’attentat contre Samuel Paty en 2020 a témoigné comme simple témoin devant la cour d’assises spéciale.
« Je suis désolée d’avoir détruit votre vie », a-t-elle dit à la famille du professeur décapité. “Je m’excuse également auprès des personnes qui, sans moi, ne seraient pas sur le banc des accusés”, a-t-elle ajouté, provoquant un premier émoi sur les bancs des parties civiles. Dans la boîte se trouve notamment le père de cette jeune fille de 17 ans aux longs cheveux bruns qui se présente en tenue d’écolière, jupe et veste noires. Il est accusé d’avoir, avec l’aide d’un militant islamiste, diffusé et exploité les propos tenus par sa fille.
« Le cycle des mensonges »
L’étudiante affirmait avoir été exclue du collège après avoir protesté contre son professeur qui avait montré une caricature de Mahomet en classe tout en demandant aux « étudiants musulmans de partir ». La rumeur venimeuse s’est répandue sur les réseaux sociaux avant d’atteindre Abdoullakh Anzorov, un jeune Tchétchène radicalisé en quête du jihad.
Dans l’immense salle de la cour d’assises spéciale, dédiée aux grands procès pour terrorisme, les questions du président relèvent parfois d’un entretien de vie scolaire, comme des dizaines ont lieu chaque jour dans les collèges du pays. C’est la nature du terrorisme de s’infiltrer dans les fissures de la vie quotidienne et d’entraîner ceux qui s’y trouvent dans l’abîme d’une tragédie collective. « Il y a un avis d’absence pour le mardi 8 octobre. La signature ressemble à celle de votre mère », constate le magistrat. « J’imitais souvent la signature de ma mère parce que je ne voulais pas que mes parents voient mes conneries dans le carnet de correspondance », assure l’adolescente, la voix tremblante.
Ce mardi 8 octobre, Zohra n’avait en tout cas pas assisté au cours durant lequel Samuel Paty montrait à sa classe la fameuse caricature. Il faudra trente heures de garde à vue par la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI) pour que Zohra reconnaisse que l’histoire racontée à ses parents et relayée à maintes reprises n’avait d’autre but que de justifier auprès de sa famille son exclusion pour une collecte. de violations disciplinaires. En une phrase, l’adolescent résume la dimension vertigineuse que prend le mensonge d’une écolière : “À cause de mon mensonge, mon professeur a été décapité et mon père est en prison.”
« Je ne savais pas comment sortir de ce piège », répète-t-elle, épargnant minutieusement son père, assis derrière les vitres de la loge, jurant avoir « abusé de sa naïveté et de sa gentillesse ». « Je ne voulais pas décevoir mes parents pour qui l’éducation était très importante », poursuit-elle, dressant le portrait d’un père attentionné, qui aurait simplement « proposé, sans imposer, de porter plainte ». « Vous aviez 13 ans… », répète le président. Mais les observations des magistrats et des parties civiles sont brisées par l’habileté de l’écolière, qui pèse et sous-pese chaque réponse. « C’est moi qui ne voulais pas sortir du mensonge », rétorque la jeune fille.
Même si certaines réponses prêtent parfois à confusion. Par exemple, à propos de cette conversation qu’elle a eue avec un autre écolier quelques minutes avant l’attaque. Au téléphone, il lui a demandé de raconter à nouveau son histoire. «J’ai renouvelé mon mensonge. Il a dit OK et a raccroché. Le collégien a assuré qu’il n’avait pas caché à son interlocuteur qu’il se trouvait à côté d’un homme voulant « filmer les excuses du professeur ». “Je ne savais pas qu’il y avait Anzorov à côté de lui”, jure Zohra. « On ne comprend pas trop l’intérêt qu’aurait eu votre camarade à mentir sur ce point », glisse l’un des juges.
Passe d’armes
“Vos excuses n’ont de valeur que si elles sont accompagnées de réponses authentiques”, souffle M.e Le Roy, l’un des avocats de la famille Paty, qui soupçonne la jeune fille de tenter de « soulager la situation de son père ».
Et l’avocat rappelle que certains éléments du dossier nuisent un peu à l’image lisse que la jeune fille s’efforce de donner de son père. Comme une propension à appeler ses filles à quatre heures du matin depuis la prison pour les sommer de prier pendant le Ramadan. « Mon père ne dit pas ça. Je ne sais pas ce que mon père a dit », dit-elle. Ces conversations ont été écoutées. « C’est sur le rapport de synthèse, est-ce que la police ment ? », interroge M.e Le roi. «Oui», lâche Zohra avant de se taire.
Le père a également pu contacter Zohra malgré l’interdiction qui leur était imposée. « Elle n’a rien à craindre, elle ne va pas en prison. Ils vont essayer de la briser. Elle doit rester calme », a déclaré le père. « Il a quand même le droit de me dire que je n’ai rien à craindre », pense la jeune fille. « Non, car vous êtes sous contrôle judiciaire », répond l’avocat.
« Si tout cela n’était qu’une question de discrimination, pourquoi avoir précisé que Samuel Paty avait participé à la marche pour Charlie ? », interroge M à son toure Francis Szpiner, l’avocat de l’ex-partenaire du professeur. «Je n’en ai pas parlé», répond Zohra. “Oui, tu l’as dit!” » demande le ténor. « Laisse-moi finir ma phrase », coupe Zohra. « Je vois que tu n’as pas changé depuis le procès au tribunal pour enfants », glisse l’avocat. Une bagarre d’adultes traverse soudain la salle d’audience.
C’est enfin Me Frank Berton, l’un des avocats du père qui aura raison de la réplique de Zohra. «Regarde ton père. Cela fait longtemps que vous ne l’avez pas vu ? », interroge l’avocat. «Ça fait longtemps», murmure-t-elle. “A-t-il changé?” A-t-il vieilli ? », poursuit M.e Berton. Après quelques secondes de silence, Zohra s’effondre en pleurant.
(1) Le prénom a été modifié.