Qu’est-ce qui motive la Suisse à vouloir garder secrets les prix des médicaments ? – .


De plus en plus de thérapies arrivent sur le marché à des prix supérieurs à 100 000 francs suisses et avec des preuves cliniques limitées, ce qui crée de nouveaux défis pour les caisses-maladie.

clé de voûte

Afin de réduire les coûts de la santé, le Parlement suisse envisage des mesures sur les prix des médicaments qui suscitent la colère des experts du secteur. Que cachent ces mesures et pourquoi sont-elles si controversées ?

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28 juin 2024 – 09h02

Le 13 juin, le Conseil des Etats a adopté un vaste ensemble de mesures visant à freiner la hausse vertigineuse des coûts des soins de santé. Ces mesures comprennent une série de propositions visant à réduire le prix des médicaments et à améliorer l’accès à de nouveaux traitements coûteux.

Le Conseil fédéral et le Conseil national n’ont pas encore décidé de la dernière version du projet, mais des spécialistes de la santé publique et du droit tirent déjà la sonnette d’alarme sur certaines propositions relatives au prix des médicaments. Certaines mesures non seulement ne permettront pas de maîtriser les coûts, mais pourraient à long terme entraîner une hausse des prix des médicaments et avoir des répercussions sur leurs prix à l’échelle mondiale, préviennent-ils.

Qu’y a-t-il derrière ce débat ? Explications.

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Qui décide du prix des médicaments et comment ?

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23 avr. 2024

Quelques explications pour comprendre le processus complexe menant à la tarification des médicaments.

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Quelles sont les propositions concernant les prix des médicaments ?

L’une des mesures vise à inclure dans la loi sur l’assurance maladieLien externe ce qu’on appelle des modèles de tarification, également appelés « accords d’entrée gérés ». Un modèle tarifaire est un accord entre l’Office fédéral de la santé publique (OFSP) et une entreprise pharmaceutique qui fixe les modalités d’admission d’un médicament sur la liste des spécialités afin de permettre la prise en charge financière du traitement par l’assurance maladie.

Il existe différents types de modèles de tarification. L’une des plus courantes est la remise sur volume, dans le cadre de laquelle une société pharmaceutique offre une remise ou un remboursement lorsque les ventes atteignent un seuil convenu. Un autre modèle est basé sur la performance d’un médicament. Il est souvent utilisé pour de nouveaux traitements coûteux, tels que les thérapies géniques, pour lesquels il existe peu de preuves cliniques à long terme. Ce modèle oblige un assureur à payer un fabricant de médicaments uniquement si certains résultats pour la santé des patients sont atteints.

Les mesures actuellement débattues au Parlement ne se contenteraient pas d’inscrire ces modèles de tarification dans la loi, mais garantiraient également la confidentialité des prix. Cela signifie que le public ne connaîtrait ni le prix final du médicament ni les conditions convenues.

Qu’est-ce qui motive les négociations secrètes sur le prix des médicaments ?

Le Conseil fédéral propose des mesures en 2022 pour freiner la hausse des coûtsLien externeAprès le rejet par le peuple suisse en juin de deux initiatives visant à réduire les coûts de santé, il est encore plus urgent de trouver des solutions pour réduire la charge financière croissante qui pèse sur les ménages.

Le prix des médicaments est considéré comme un secteur clé pour réaliser des économies. De plus en plus de thérapies arrivent sur le marché à des prix supérieurs à 100 000 CHF et avec des preuves cliniques limitées, ce qui pose de nouveaux défis aux assureurs maladie.

De nombreux pays, notamment européens, ont mis en place des modèles de tarification pour rendre les nouveaux traitements accessibles tout en gérant les risques financiers. Selon une enquêteLien externeau moins deux tiers des pays de l’OCDE et des États membres de l’Union européenne ont déjà convenu d’accords financiers.

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Des remises confidentielles mettent le patient à la merci de la pharmacie

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12 mars. 2021

L’utilisation de remises cachées sur certains médicaments ne réduit pas leur prix ni les délais d’accès, révèle une étude.

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La Suisse a déjà utilisé des modèles de prix dans des cas individuels. Toutefois, pour pouvoir les utiliser plus régulièrement, une base juridique est nécessaire.

Les sociétés pharmaceutiques sont de plus en plus disposées à accepter des remises et d’autres modèles de tarification, à condition qu’ils restent secrets. La confidentialité leur permet d’adapter leurs stratégies de tarification aux besoins des différents pays, affirment-ils.

«La confidentialité est essentielle si nous voulons continuer à proposer des médicaments innovants», a déclaré devant le Conseil des Etats Élisabeth Baume-Schneider, ministre de la Santé. «Sans cette confidentialité, le prix pourrait être plus élevé, ce qui pèserait lourdement sur les primes. Il existe aussi un risque, a-t-elle ajouté, que les entreprises ne proposent pas du tout les nouveaux traitements en Suisse ou qu’elles le fassent avec un certain retard.»

Selon le gouvernement, les remises sur volume permettraient d’économiser environ 400 millions de francs.Lien externe menées en 2017 dans onze pays utilisant les modèles de prix ont montré qu’ils bénéficiaient de réductions de l’ordre de 20 à 29 % sur les nouveaux médicaments.

Pourquoi la proposition est-elle controversée ?

Selon Kerstin Noëlle Vokinger, experte en droit et médecine à l’Université de Zurich, les modèles de prix ou les contrats de remboursement ne posent pas de problème dans certaines situations. Ce qui est inquiétant, c’est le caractère de plus en plus secret de ces accords. L’Allemagne envisage également d’intégrer des rabais confidentiels dans sa loi sur la santé.

«Nous nous trouvons dans une sorte de dilemme du prisonnier», a expliqué Kerstin Noëlle Vokinger à swissinfo.ch en début d’année. «Si un pays ne pense qu’à lui-même et pense que le secret lui permettra d’obtenir un prix plus bas, le système ne fonctionnera plus, car les autres États perdront également l’envie d’être transparents.»

La Suisse possède l’un des systèmes de tarification des médicaments les plus transparents au monde. Une fois que les prix ont été convenus entre le ministère de la santé et le fabricant du médicament, ils sont publiés sur la liste des spécialités. Chaque pays peut ainsi les utiliser comme référence lors de ses négociations avec les entreprises pharmaceutiques. La Suisse s’appuie également sur les prix d’un groupe de pays de référence pour ses propres négociations.

L’Organisation mondiale de la santé (OMS) déconseille fortement les remises confidentielles, prévenant qu’elles peuvent entraîner une distorsion des prix. En 2019, la Suisse a soutenu une résolution de l’OMS exhortant les pays à partager les informations sur les prix nets et à favoriser un meilleur partage des données.

L’importance croissante de la vie privée va à l’encontre de ces principes. Cela place également les gouvernements dans une position de faiblesse dans les négociations avec les sociétés pharmaceutiques, explique Patrick Durisch, responsable de la politique de santé à l’ONG suisse Public Eye. « Nous avons besoin de plus de transparence, pas de moins. L’industrie pharmaceutique gagne avec des rabais confidentiels en maintenant partout les prix catalogue des nouveaux médicaments brevetés à un niveau élevé», écrit Patrick Durisch dans un e-mail.

Une étude dirigée par Kerstin Noëlle Vokinger a révélé que le nombre de médicaments bénéficiant d’une réduction en Suisse est passé d’un seul en 2012 à 51 en octobre 2020. Parmi ces médicaments, au moins quatorze ne disposaient d’aucune information publique sur le montant de la réduction ou le prix payé aux fabricants.

Sans transparence, il est difficile de savoir si l’Office fédéral de la santé publique obtient réellement une bonne affaire. La députée socialiste Flavia Wasserfallen a fait écho à ce point lors du débat au Conseil des Etats : « Le potentiel d’économies annoncé sera-t-il réellement réalisé ? Cela reste flou et peu transparent », a-t-elle souligné.

Une étude observationnelleLien externe Une étude publiée en décembre sur les modèles de tarification en Italie, l’un des premiers pays à les adopter, n’a trouvé que peu de preuves que ces modèles conduisaient à une baisse des dépenses pharmaceutiques. Selon Kerstin Noëlle Vokinger, l’une des principales raisons est que les sociétés pharmaceutiques entament les négociations avec des prix qui sont souvent plus élevés que s’ils étaient transparents. Cela conduit également à des négociations plus longues, ce qui retarde l’entrée de nouveaux médicaments sur le marché.

Le Commissaire fédéral à la protection des données s’est déjà prononcé contre une réduction de la transparence, arguant que cela contreviendrait au principe général de l’accès du public aux documents officiels. En fin de compte, selon Kerstin Noëlle Vokinger, il s’agit d’une question de responsabilité : « La société et les patients ont le droit de savoir combien coûte un traitement. »

Texte relu et vérifié par Balz Rigendinger, traduit de l’anglais par Zélie Schaller

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