Par Jean-Michel Othoniel Le grand public connaît particulièrement le poétique Kiosque des Noctambules qui, il y a près de 25 ans, transformait l’entrée du métro Palais Royal-Musée du Louvre en un enchantement visuel, comme sorti d’un conte du frères Grimm ou Perrault. Né à Saint-Etienne en 1964, celui qui a été élu le 14 novembre 2018 à l’Académie des Beaux-Arts (section sculpture) est en réalité un alchimiste qui ne cesse de questionner les multiples propriétés des matériaux (cire, soufre, verre, etc.) pour révéler la palette infinie des métamorphoses.
Transfigure spaces
« Poétiser et réenchanter le monde » semble être sa devise, alors que cet artiste protéiforme s’attache à révéler la beauté d’un bosquet ou d’un théâtre d’eau au cœur du jardin de Versailles, pour faire naître 114 fontaines pour le nouveau musée national du Qatar, dont les jets dessinent des rêves. de la calligraphie arabe dans l’espace, ou encore créer, pour les trente ans de la pyramide du Louvre, cette rose aux allures de collier céleste qui tapisse désormais les murs de la cour Puget…
Vue de l’exposition « Jean-Michel Othoniel : le Théorème de Narcisse » au Petit Palais en 2021 ©Othoniel/ADAGP, Paris 2021. ©Photo Claire Dorn/Courtesy l’artiste et Perrotin
Mais ne vous y trompez pas ! Si elles paraissent, à première vue, « aimables », les interventions artistiques de Jean-Michel Othoniel ne sont en rien « frivoles », encore moins fortuites. Réunissant le fragile et le pérenne, le poétique et le politique, l’ancien pensionnaire de la Villa Médicis aime questionner la matière, jouer sur les échelles et les faux-semblants, se glisser avec grâce dans des lieux insolites ou chargés d’histoire.
Jean-Michel Othoniel, Le Trésor de la cathédrale d’Angoulême, vue de la salle dédiée aux Merveilleux, 2016. Commande publique de la DRAC Nouvelle-Aquitaine © Yann Calvez
De la cathédrale d’Angoulême au palais impérial de Séoul, en passant par le jardin botanique de Brooklyn à New York, l’artiste œuvre à transfigurer les espaces pour leur donner une aura de rêve et d’émerveillement. Depuis son vaste atelier de Montreuil appelé « la Solfatare », Jean-Michel Othoniel devient alors démiurge et chef d’orchestre, accumulant dessins et maquettes de projets que ses assistants auront la lourde tâche de réaliser à la taille dictée par l’esprit des lieux…
Entre « ziggourats » et « nuages ectoplasmiques »
C’est un véritable choc qui saisit le visiteur lorsqu’il descend les escaliers humides qui le conduisent dans l’ancienne salle des gardes du sanguinaire « Prince Noir » qui constitue le socle de l’ancien palais épiscopal de Montauban. Seule trace existante d’un ouvrage défensif que les conquérants anglais, en fuyant, laissèrent inachevé, cette salle médiévale datant de 1369 peine à cacher son sinistre passé de salle de torture…
Vue de l’exposition « Othoniel. Sur les ruines du Prince Noir », Musée Ingres Bourdelle © Atelier Othoniel © Jean-Michel Othoniel / ADAGP, Paris, 2024
« Exposer là où résonne le passé des guerres est bouleversant, c’est pourquoi j’ai imaginé une œuvre in situ qui se déroule sur les lieux mêmes des drames de notre histoire passée et présente. Cela ne pouvait que m’interroger, moi dont le travail vise à enchanter le monde », explique l’artiste devant les trois gigantesques « tours de Babel » en brique de verre soufflé qui s’élèvent, telles d’improbables ziggourats, vers les voûtes de cette salle ogivale.
The artist Jean-Michel Othoniel in front of one of his sculptures presented in the exhibition “Sur les Ruines du Prince noir” at the Musée Ingres Bourdelle © Othoniel Studio © Jean-Michel Othoniel / ADAGP, Paris, 2024
Hésitant entre rêve et cauchemar, gravité et apesanteur, lumière céleste et obscurité abyssale, ces concrétions ressemblent à « nuages ectoplasmiques » (pour reprendre le terme même utilisé par l’artiste) hypnotisent l’œil comme ces mirages que l’on voit parfois surgir au cœur des déserts d’Arabie. Seule lueur d’espoir au sein de ce mastaba sépulcral, un petit bloc de cristal incandescent – allusion au célèbre rubis du « Prince Noir » qui orne désormais la couronne impériale portée par George VI et Elizabeth II, avant Charles III. – vibre avec son intensité lumineuse. ” Évoquer l’espoir et le caractère sacré d’une vie toujours renouvelée […], ces trois hautes sculptures tentent d’effacer et de guérir les traces criminelles qui nous entourent », écrit Jean-Michel Othoniel dans le petit livret qui accompagne l’exposition.
Vue de l’exposition « Othoniel. Sur les ruines du Prince Noir », Musée Ingres Bourdelle © Atelier Othoniel © Jean-Michel Othoniel / ADAGP, Paris, 2024
Des sommets de virtuosité
Mais là encore, l’artiste impressionne par sa capacité à donner corps et réalité à ses rêves les plus fous. Expérimentant les multiples propriétés du verre depuis les années 1990, Jean-Michel Othoniel continue de pousser plus loin ses recherches sur l’extrême délicatesse de ce matériau. Après avoir travaillé des années avec les verriers de Murano, l’artiste découvre en 2010, lors d’un séjour en Inde, les prouesses techniques des verriers de Firozabad. De cette rencontre fructueuse, l’artiste a développé de nombreux projets, dont ceux-ci « concrétions vertigineuses de briques en miroir » s’envolant vers le ciel pour mieux défier les lois de la gravité. Métaphysique et mystique à la fois, l’installation de Jean-Michel Othoniel est ainsi un formidable défi, » folie architecturale » autant que « ruine contemporaine » condamné à disparaître…
« Othoniel. Sur les ruines du Prince Noir »
Ingres Bourdelle Museum, 19 rue de l’Hôtel de Ville, 82 000 Montauban
Jusqu’au 5 janvier 2025
Exposition Othoniel. Sur les ruines du Prince Noir. 1/2