CC’est le cas de « Why Nations Fail » (en français Prospérité, pouvoir et pauvreté. Pourquoi certains pays réussissent mieux que d’autres). L’ouvrage a été publié pour la première fois en 2012, signé par les économistes américains Daron Acemoglu de la prestigieuse université MIT (Massachusetts Institute of Technology) et James Robinson de l’université de Chicago, lauréats du prix Nobel d’économie 2024.
Si l’ouvrage est pour ainsi dire passé inaperçu au Maroc, il est déjà considéré comme un classique à travers le monde, compte tenu de l’ampleur de ses analyses et de leur force explicative.
La thèse des deux auteurs, spécialistes de l’Afrique et de l’Amérique latine, est assez simple à résumer : les inégalités dans le monde ne sont liées ni à la géographie ni à la culture, comme on ne cesse de le répéter depuis des décennies, mais auraient leurs origines profondes dans les institutions, ou pour le dire autrement, dans la gouvernance des territoires concernés.
« Pourquoi les nations échouent », s’attache démontrer que les écarts de développement sont fondamentalement liés au fait que les pays concernés ne disposent pas des mêmes institutions dans le même rapport à l’État de droit, clé ultime de la prospérité.
Institutions extractives, institutions inclusives
Les premiers désignent une situation où le pouvoir politico-économique est concentré entre quelques mains. La conséquence de telles institutions extractives est que les populations ont encore moins de raisons de produire davantage, elles n’ont absolument aucun intérêt, aucune incitation à innover et à créer plus de richesse, puisque ce sont d’autres qui en bénéficieront.
À l’inverse, les institutions inclusives sont celles où le pouvoir est à la fois largement réparti et surtout contrôlé. Ce qui permet le partage de la productivité, de l’éducation, du progrès technologique et du bien-être de la nation dans son ensemble.
C’est bien l’existence du pluralisme qui garantit que le pouvoir ne sera pas monopolisé par une minorité à son seul bénéfice, mais qu’au contraire il sera tenu en laisse, surveillé, contrebalancé, équilibré, corrigé, pondéré, et donc aura pas d’autre choix que de respecter les droits des individus.
Dès lors, ils seront naturellement incités à innover pour créer davantage de richesse, richesse dont ils pourront eux-mêmes bénéficier.
Il existe donc un cercle vertueux ou vicieux entre les institutions économiques et politiques, selon qu’elles se révèlent plus ou moins inclusives ou extractives.
En effet, des institutions politiques largement inclusives, c’est-à-dire pluralistes, favorisent l’émergence de nouveaux secteurs économiques innovants et de nouvelles couches sociales prospères, qui ne pourront donc que contrôler et partager encore davantage.
À l’inverse, les institutions politiques et économiques extractives s’entretiennent mutuellement, comme le démontre un nombre impressionnant d’exemples historiques, tirés de toutes les époques et de tous les continents.
En effet, les deux auteurs établissent un lien très puissant entre absence de pluralisme politique et absence de développement économique.
Contre l’apologie naïve du libéralisme
Une autre idée du livre illustre les limites de certaines apologies naïves du marché, qui contribuent à discréditer le libéralisme authentique. C’est l’idée selon laquelle la présence du marché à elle seule ne suffit pas à garantir des institutions inclusives (pluralistes), qui nécessitent également des conditions de concurrence équitables pour garantir un véritable État de droit capable de générer du développement. économie durable.
Il n’y a pas d’autre richesse que la population d’un pays, et la clé du succès réside dans la bonne gouvernance, c’est-à-dire dans un ordre de droit garanti par des pouvoirs contrôlés.
« Les nations échouent »écrivent les auteurs, « quand ils disposent d’institutions économiques extractives, soutenues par des institutions politiques extractives qui entravent, voire bloquent, la croissance économique.
Les nations réussissent lorsque leurs institutions politiques et économiques fonctionnent dans l’intérêt du plus grand nombre en offrant croissance, opportunités et perspectives. “ Il y a une classe moyenne quand il y a de l’espoir ».
D’un autre côté, les nations échouent lorsque leurs institutions, délibérément ou par impuissance, concentrent le pouvoir et les opportunités entre les mains d’un petit nombre et lorsqu’elles privilégient leur logique de fonctionnement au détriment de l’intérêt général.
« Les incitations à innover, à investir et à éduquer sont cruciales. Les institutions constituent le cadre de ces incitations. Ils créent un environnement dans lequel tout le monde peut jouer selon les mêmes règles et sur lequel les gens peuvent s’appuyer. », explique Daron Acemoglu. Si les chances ne sont pas égales et que le jeu est faussé d’avance, la société est bloquée.
« Des institutions économiques inclusives protègent les droits de propriété, garantissent l’égalité des chances, encouragent les investissements dans les nouvelles technologies et les nouvelles connaissances… La croissance économique durable nécessite l’innovation et l’innovation ne peut être dissociée du processus de destruction créatrice qui remplace l’ancien par le nouveau dans le domaine économique et déstabilise ainsi relations de pouvoir établies dans le domaine politique », écrivent-ils.
Contre les privilèges et pour la liberté
Il n’existe pas de processus naturel menant à la croissance, à la prospérité et aux incitations à devenir inclusifs. Ce n’est que lorsque l’élite est suffisamment intelligente ou se sent suffisamment menacée qu’elle considère qu’il est dans son intérêt de céder une partie de son pouvoir.
Par Hammad Kassal, professeur d’économie et ancien vice-président de la CGEM
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