Les leçons de Dakar

Les leçons de Dakar
Les leçons de Dakar

LLes électeurs sénégalais ne manquent pas de constance : sept mois après avoir élu, au premier tour de la présidentielle, Bassirou Diomaye Faye, candidat remplaçant du parti Patriotes africains du Sénégal pour le travail, l’éthique et la fraternité (Pastef), les voilà qui accordent lui une écrasante majorité à l’Assemblée nationale.

Avec 130 sièges sur 165, autant dire que le chef de l’Etat sénégalais a désormais toutes les cartes en main pour opérer les changements nécessaires et mener à bien les réformes promises.

Pour le Sénégal, c’est un nouvel événement électoral réussi. La quatrième en quatre ans, après les élections municipales de janvier 2022, les législatives de juillet 2022 et la présidentielle de mars 2024. L’âme de la démocratie sénégalaise, pleinement vivante, adossée à une administration expérimentée en ingénierie électorale, n’est pourtant pas là. , pas apaisé. L’élection présidentielle chaotique de mars 2024 a laissé un pays divisé. Les élections législatives ont révélé une société fracturée. Violence paroxystique. Invectives. Rodomontades. Menaces. Trahissons.

Transhumances

Désormais, à chaque élection, la formule de François Mitterrand devrait être placardée sur tous les murs du Sénégal : « Sur le chemin de la trahison, il n’y a que le fleuve de la honte à traverser. » Au pays du grammairien Léopold Sédar Senghor, le mot « transhumance » est désormais entré dans les mœurs politiques. Il désigne des hommes et des femmes politiques sans foi ni loi qui, au prix d’un double déni de leurs idées et convictions politiques d’hier, rejoignent avec armes et bagages tout nouveau pouvoir qui s’instaure. En l’occurrence, les principaux « transhumants » qui hier, aux côtés de Macky Sall, tournaient en dérision Ousmane Sonko, l’ont rejoint avec armes et bagages. On soupçonne nombre d’entre eux, persuadés de devoir s’accuser de certains méfaits et atermoiements liés à leur précédente direction, d’avoir rejoint Pastef pour échapper aux rigueurs de la justice. Ousmane Sonko, qui jurait auparavant que son parti politique n’accepterait jamais de telles personnes, affiche désormais une position plus que nuancée sur la question. Il a rappelé, à toutes fins utiles, que personne ne serait protégé s’il était reconnu coupable. Acceptons le présage.

Il n’en reste pas moins que le phénomène a pris des proportions alarmantes. Les candidats désignés par les coalitions d’opposition ont rejoint le parti au pouvoir en pleine campagne électorale. La politique étant avant tout le calcul électoral, l’apport de ces « transhumants » a sans doute pesé encore plus sur la victoire de Pastef.

Cette nouvelle façon de « faire de la politique » comme on « fait des affaires » a déstabilisé le commun des Sénégalais et frustré depuis le début les fidèles de Pastef, qui voient d’un très mauvais oeil l’arrivée de ces militants crépusculaires. La vie politique sénégalaise mérite certainement d’être aseptisée.

Prenant ce phénomène comme prétexte, l’opposition a cru devoir faire campagne principalement sur des bases éthiques et morales en politique. En mettant en sourdine leur projet de société, en rappelant à Ousmane Sonko ses promesses non tenues et le bilan plus que mitigé de son gouvernement, les principaux ténors de l’opposition avaient misé sur la sensibilisation des électeurs. Pourtant, les partisans d’Ousmane Sonko, qui entretiennent une relation quasi messianique avec leur leader, lui transmettent tout : sa franchise et ses emportements, ses dénégations et ses excès, ses ruptures et sa permanence. Ils ne lui demandent pas d’évaluation. Ils se laissent guider vers les rivages de la prospérité promise dans le plan Sénégal 2050, le projet social de Pastef.

Recomposition politique

Cette élection a montré, plus qu’avant, ce que l’auteur de ces lignes écrivait ici au lendemain de l’élection présidentielle du 24 mars. Pastef, désormais réalité sociologique indéniable et force politique majeure au Sénégal aujourd’hui, a dissipé le face-à-face. affrontement entre sociaux-démocrates et libéraux qui rythme la vie politique du pays depuis 1960.

Face au déclin sévère des partis traditionnels, qui n’ont pas encore dit leur dernier mot, et face à la puissante vague du Pastef, que pour l’instant rien ne semble pouvoir arrêter, une nouvelle forme d’opposition émerge sous moins deux formulaires :

Du côté de la rue, ce sont des hommes et des femmes qui, pour la plupart, croient de bonne foi qu’un second tour de l’élection présidentielle de 2024 garantirait, s’il avait eu lieu, un meilleur équilibre des forces politiques. Cette néo-opposition évolue aux confins de la société civile et des médias. Objecteurs de conscience et gardiens autoproclamés de la démocratie, ceux qui la composent promettent de tenir tête à Ousmane Sonko. Ils le soupçonnent d’avoir le dessein caché, une fois qu’il aura fini de domestiquer les partis politiques et d’aspirer la société civile, de vouloir affaiblir les grands groupes de presse pour imposer un nouvel écosystème médiatique plus docile.

En revanche, il est plus que probable que, malgré sa très faible représentation au sein de la nouvelle Assemblée nationale, l’opposition ne cédera pas sous le poids du nombre. Les hommes d’État expérimentés, les parlementaires aguerris, les forts en la matière et les grincheux que l’opposition envoie à l’Assemblée nationale sauront apporter la contradiction aux députés Pastef, pour la plupart novices. Les débats risquent d’être animés.

Sonko est-il vraiment Diomaye ?

Le Sénégal d’aujourd’hui est un laboratoire politique sans précédent et l’avenir du Sénégal dépendra, en grande partie, de la nature des relations entre le président Bassirou Diomaye Faye et son Premier ministre Ousmane Sonko. Le slogan de la campagne présidentielle qui avait fait mouche – « Sonko, c’est Diomaye » – a été utilisé en mode mineur lors des élections législatives. Le style du chef de l’État sénégalais, qui occupe lentement mais sûrement la fonction suprême, s’écarte de celui de son fougueux Premier ministre.

Ces dernières semaines, certains propos du numéro un sénégalais ont pris des allures de précisions et de rappels à l’ordre adressés indirectement à son Premier ministre et mentor politique. Cependant, l’arrivée de Pastef au pouvoir et les nettes victoires aux élections présidentielles de mars 2024 puis aux législatives portent avant tout l’empreinte du Premier ministre Ousmane Sonko, qui, seul pendant une décennie, a porté son parti, dont il est l’alpha et l’oméga, la boussole et le gouvernail. Ce n’est pas la machine Pastef qui a installé Ousmane Sonko au pouvoir.


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C’est pourquoi la place d’Ousmane Sonko dans le futur système institutionnel, la formation probable d’un nouveau gouvernement et les jeux d’alliance et d’allégeance de la majorité à l’Assemblée nationale seront déterminants pour le président Faye. On saura alors si l’ambition d’Ousmane Sonko – comme d’un certain Abdoulaye Wade avant lui – d’installer sa famille politique au pouvoir pour cinquante ans est une utopie ou non.

* Tidiane Dioh est consultante internationale. Universitaire, ancien journaliste de magazine Jeune Afrique et à la chaîne de télévision 5 , il a été fonctionnaire international pendant une vingtaine d’années.

 
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