Un Fauteuil Pour l’Orchestre – Le site des critiques du théâtre parisien » Avant de tomber demande l’aide de ta canne, de Rabih Mroué, à la Fondation Cartier pour l’art contemporain, dans le cadre du Festival d’Automne de Paris

© Christian Schuller

ƒƒƒ article de Nicolas Thévenot

Il n’y a pas de hasard. Que la conférence non académique de Rabih Mroué se tienne dans un lieu artistique n’est pas un hasard. Que les œuvres en fil de fer d’Olga de Amaral pendent au-dessus de nos têtes, tels des nuages ​​poétiques et menaçants traçant leurs lignes de fuite de haut en bas, n’est pas non plus un hasard. C’est ainsi que nous pourrons en témoigner ce soir. En brouillant les frontières entre réalité et fiction, en rendant poreuses les frontières invisibles qui les séparent, les formes spectaculaires que développent Lina Majdalanie et Rabih Mroué se révèlent tout entières prêtes à accueillir et à donner sens à ce qui s’offre incidemment au spectateur.

Avant de tomber (titre abrégé) est une leçon qui continue de résonner dans l’esprit de ses auditeurs longtemps après qu’elle ait été délivrée. Surtitré en français, il est présenté en anglais, langue de Shakespeare mais qu’il serait ici plus pertinent de qualifier de langue dominante de la géopolitique mondiale. Rabih Mroué est assis à une table sur l’estrade, un micro également placé tout comme l’ordinateur qui sert à projeter les diapositives. Le format est on ne peut plus classique et académique. Mais c’est le contenu de cette conférence qui l’est moins, liant subtilement et explicitement la question de l’art à celle de la guerre et vice versa. Rabih Mroué saura prêcher le faux pour faire advenir le vrai à la manière d’une action performative. Il met en scène proprement un théâtre d’idées, porté par des formes. Telle une histoire de l’art revisitée à travers un élément mineur de l’art militaire, notre intervenant s’intéresse aux tracts largués du ciel sur les villes, villages, territoires, soumis au siège, aux attaques des belligérants. La liste des malheurs du monde est longue. À la manière d’Aby Warburg, la conférence fait résonner différentes époques à travers ce tract tombé du ciel. Continuum de cruauté et de survie des formes. Angles cachés, éléments réduits du « théâtre d’opération », Rabih Mroué zoome avec nous sur ces bouts de papier, qui reproduisent synthétiquement le dessin d’une bombe, et qui, dans le langage des attaqués, ordonnent aux civils de quitter ce lieu sans tarder encore, pour sauver leur peau, et prendre le chemin de l’exil, sous peine d’être considéré comme un ennemi. Démonter toute l’hypocrisie d’un tel processus, qui ne trompe plus vraiment personne au vu de ce qui se passe et se poursuit à Gaza et au Liban, Avant de tomber il tire les fils de la terreur dans tous les recoins de la bonne conscience occidentale. Cette conférence, même si elle tombe du ciel, n’est pas à ciel ouvert : Rabih Mroué, comme beaucoup d’autres Libanais, a eu un jour ce type de tract entre les mains dans une situation similaire. L’histoire est aussi celle des affects et des traumatismes. Il n’y a rien de sec dans cette étude sémiologique et structuraliste (ne se conclut-elle pas par le mythe du crocodile avalant le soleil, comme un ultime clin d’œil à Lévi-Strauss). Non, pas d’aridité, les articulations de cette pensée vibrent de vie et d’émotion contenue, d’une intelligence sensible qui nous embrasse et nous accompagne dans un geste d’appréhension du pire en l’homme.

© Christian Schuller

Avant de tomber, demandez l’aide de votre canneune conférence non académique de Rabih Mroué.

Lundi 18 novembre 2024 à 20h30

Durée : 50 minutes

Fondation Cartier pour l’art contemporain

Dans le cadre du Festival d’Automne

261 Bd Raspail

75014 Paris

Tél : 01 42 18 56 50

www.fondationcartier.com