L’invité du Carré – Kaoutar Harchi, « L’animal et nous »

L’invité du Carré – Kaoutar Harchi, « L’animal et nous »
L’invité du Carré – Kaoutar Harchi, « L’animal et nous »

Dans son essai Alors l’animal et nous publié en septembre 2024 par Actes Sud, le sociologue Kaoutar Harchi appelle avec une force frappante à arracher la notion d’espèce à la biologie, au même titre qu’on l’a fait avec les notions de race et de genre. En mélangeant histoire, théorie et récit personnel voire autobiographique, elle produit une œuvre que l’on peut qualifier de théorie sensible.
“La particularité de mon rapport à la question animale est que je ne viens ni de la philosophie, ni de l’éthique ou de la biologie, mais de la question raciale.”

L’éveil précoce d’une conscience sociale

Kaoutar Harchi a grandi dans un milieu ouvrier d’un grand quartier de lotissement de Strasbourg. Dans l’enquête autobiographique Comme nous existons (Actes Sud, 2021), elle a raconté en détail l’histoire de sa famille issue de l’immigration marocaine ainsi que sa jeunesse dans l’Est de la . Ses parents, véritables « stratèges de son existence », veillent à ce qu’elle prenne le bon chemin dans la vie en la plaçant dans un établissement d’enseignement privé, catholique et de bonne réputation. Cet « exil scolaire », loin de l’assimiler à une culture dominante légitime, a eu pour effet fondamental de renforcer ses appartenances originelles et intimes. Marquée par des expériences de discrimination raciale, dans un contexte politique où les jeunes des quartiers subissaient injures et violences policières, elle a connu très jeune les convocations.

Zoom Zoom Zen Écoute plus tard

Conférence écouter 54 minutes

Dans l’émission, elle explique : « Je me suis souvent exprimée sur ces questions de transfuge de classe, de mobilité sociale, etc. C’est souvent présenté comme une forme de rêve, d’aspiration, que je peux tout à fait comprendre. Mais dans mon cas, je l’ai vécu et je n’en ressens pas de sentiment particulier en termes d’émancipation ou de libération, c’est quelque chose pour lequel je me bats, je plaide. une société sans classes. d’ascension ou cette idée de transfuge, pour moi c’est plus à critiquer qu’à espérer. Ce n’est pas souhaitable pour moi.

« De ces scènes où les animaux font irruption dans nos vies »

Dans son récit, Kaoutar Harchi entremêle ses souvenirs personnels qui deviennent à la fois racines et échos de ses pensées. Elle raconte qu’enfant, elle a vu son ami Mustapha, âgé de « cinq, six ans », se faire mordre par un chien policier alors qu’il jouait dehors. L’animal est à son tour pris pour cible par les habitants du quartier qui réagissent et appellent à « tuer ce chien qui s’en prend à nos enfants ». En retour, les policiers leur disent : « C’est vous les chiens, c’est vous qu’on va mourir. » Une scène de confusion où l’on peut se demander qui sont les animaux ? Qui sont les humains ?

« En hurlant vous êtes des chiens, ce que les policiers ont provoqué, c’est la chute de Mustapha vers le monde animal. (…) La domination de l’homme sur les animaux n’est en aucun cas une domination fermée sur lui-même mais au contraire une domination ouverte, qui s’ouvre sur une autre : la domination de l’homme sur les autres. d’autres humains. Car ce sont bien les humains qui font tomber les autres humains à chaque instant. elle écrit dans Donc l’animal et nous. Il arrive alors que la frontière entre les espèces humaine et animale s’estompe. Et les hommes, le plus souvent dominants, en viennent à s’interroger sur l’humanité de certains autres, relégués à un statut animal, associé à des noms d’animaux : « Rat, bicot (qui signifie chevreau), mangouste (…) , vermine, vipère. »

Par ailleurs, les systèmes coloniaux, capitalistes et sexistes se nourrissent d’animalisation dans leurs mécanismes. Pour en prendre conscience, quelques exemples éclairants parmi tant d’autres sont développés par l’invité : la traite négrière atlantique, l’exposition de Saartjie Baartman (connue en Europe sous le nom de Vénus hottentote), le gavage des suffragettes, le travail à la chaîne inspirée du démembrement des animaux dans les abattoirs, de l’animalité omniprésente dans les insultes sexistes : vaches, chiennes, truies…

Les savants Écoute plus tard

Conférence écouter 56 minutes

Les animaux, pour être considérés comme nos égaux

Kaoutar Harchi considère que nous sommes tous porteurs d’une forme de spécisme intériorisé et que toutes les représentations autour des animaux construisent une hiérarchie entre l’espèce humaine et l’espèce animale. Elle appelle à travailler sur les mythes et à faire naître un « temps animal ». Elle pose également un défi aux approches intersectionnelles : penser l’ordre social comme ce qu’elle appelle un « ordre zoosocial».

Car l’idée selon laquelle après tout accorder une forme de statut moral aux animaux n’est pas si nécessaire que ça reste celle qui domine largement. Mais selon Kaoutar Harchi, les positions dites humanistes doivent être réétudiées à l’aune de l’animalisation. Enfin, il faut réévaluer le fait que l’on mange des animaux en se demandant non pas « qui mange quoi mais qui mange qui ».« C’est nous, les humains, qui sommes liés aux animaux par la souffrance en les faisant souffrir. Si donc les animaux souffrent de nous, la moindre moralité est de consentir à souffrir avec eux et la plus grande est de ne plus les faire souffrir.

De nombreuses femmes s’engagent pour la cause animale, il y a même une surreprésentation dans cette lutte, avec des noms très connus, comme Louise Michel par exemple, qui a fait une proposition féministe d’étendre la communauté morale aux animaux. Kaoutar Harchi précise au micro de Mathieu Vidard : “Elle a proposé beaucoup de choses, c’est une politique aujourd’hui que l’on pourrait qualifier à la fois de révolutionnaire et de profondément généreuse, c’est-à-dire considérer que le souci du bien d’autrui ne se limite pas”. uniquement aux membres de l’espèce homo sapiens.

Pour en savoir plus, écoutez l’émission….

Sous le soleil de Platon Écoute plus tard

Conférence écouter 51 minutes

 
For Latest Updates Follow us on Google News
 

PREV « Nous avons une dizaine de rêves d’enfants malades en Corse à réaliser dans les mois à venir, et pour cela, il nous faut de l’argent »
NEXT Montréal, plaque tournante mondiale de la distribution de drogue dans les années 1920 en raison de la délinquance féminine