In Loire-Atlantique, lands in troubled waters – Libération

In Loire-Atlantique, lands in troubled waters – Libération
In Loire-Atlantique, lands in troubled waters – Libération

Laurent Quartier se souvient bien du 27 février 2010, jour de la tempête Xynthia. «C’est arrivé de manière inattendue. On ne s’y attendait pas du tout Aujourd’hui à la retraite, cet habitant de Saint-Nazaire (Loire-Atlantique) a ensuite travaillé à la Direction départementale des territoires et de la mer (DDTM). Les jours suivants, il est allé faire des relevés d’eau à Méan-Penhoët, un quartier de la ville à risque de submersion. Dans le petit port de Brivet, du nom du dernier affluent de la Loire qui se jette dans le fleuve, de petites plaques en laiton gardent le souvenir de cet événement tragique. Ils indiquent la hauteur de l’eau atteinte, une trentaine de centimètres pour les maisons les plus exposées. Certes, on était loin des deux mètres enregistrés en Vendée voisine, où 47 personnes étaient mortes. Laurent n’a subi aucune inondation chez lui, mais il a depuis effectué quelques aménagements, notamment des vannes, afin d’éviter les montées d’eau. Souriant, il soupire fatalement : “Pour moi, ce n’est pas quelque chose d’abstrait, les tempêtes.”

Que ce soit le long de son littoral ou dans l’estuaire de la Loire, à Pornic, Pouliguen ou Pellerin, la Loire-Atlantique comprend plusieurs secteurs à risque de submersion ou d’érosion. Et même si, d’après les cartes de projection, le département semble moins exposé que d’autres dans l’immédiat – on pense à la Seine-Maritime ou à la Haute-Corse – son faible relief le fragilise à plus long terme, avec de nombreuses zones basses, derrière la côte, séparée de l’océan par de simples cordons dunaires. La zone est également très urbanisée : « Un territoire où l’artificialisation des terres est forte, avec peu d’espaces tampons naturels »note Marc Robin, de l’Observatoire régional des risques côtiers, organisme rattaché à l’Université de Nantes, qui travaille avec son équipe à informer les collectivités et les services de l’État sur les risques encourus.

À Saint-Nazaire, après la publication du plan de prévention des risques côtiers (PPRL) 2016 qui délimite les zones à risque de submersion, la commune a adapté son plan d’urbanisme. Dans le quartier Méan-Penhoët, une digue a été construite en 2017, un mur de pierre adossé à une butte et percé d’ouvertures vers le petit port de plaisance. Un système d’alerte a également été mis en place avec Météo . En cas d’urgence, il prévoit de fermer les passages à l’aide de batardeaux, barrières amovibles. En matière d’urbanisme, « Il y a des zones où on ne peut plus construire, ou de manière réglementée. Les maisons sont censées être équipées d’un plancher refuge ou d’un accès au toit pour les services d’urgence. Les compteurs électriques devaient être abrités »explique Guillaume Hainigue, responsable risques naturels et adaptations de l’agglomération.

Difficile cependant de savoir si les habitants ont réellement effectué les travaux obligatoires. “Les diagnostics de vulnérabilité des logements sont pris en charge par le fonds Barnier, ainsi que les travaux préconisés à hauteur de 80%, mais nous ne disposons pas de chiffres exhaustifs recensant ceux qui les ont réalisés”, explique l’expert. Laurent Quartier, qui vit depuis trente-sept ans dans ce quartier populaire à deux pas des Chantiers de l’Atlantique, un quartier de maisons modestes et souvent de plain-pied, confirme : « Les gens ont parfois du mal à comprendre pourquoi ils sont en rouge sur la carte et pourquoi leur voisin est en bleu. Et c’est vrai que nous étions peu nombreux à la réunion publique d’information, et encore moins à faire le diagnostic puis les travaux.»

« Un jour, il faudra déménager »

C’est là le problème des pouvoirs publics : il faut anticiper une évolution qui s’étalera sans doute sur plusieurs décennies. « Pour l’instant, l’impact de la montée du niveau de la mer n’est pas visible au quotidienconstate Guillaume Hainigue. Il s’agit de phénomènes de submersion plutôt possibles lors de grosses tempêtes. mais qui viennent choquer l’opinion publique. « La difficulté est de mettre de la temporalité dans tout çapoursuit Eric Provost, élu chargé des questions environnementales à Saint-Nazaire. Nous sommes dans le long terme et cela rend difficile la prise en compte. D’autant que les projections restent floues. « Si nous regardons vers l’avenir, le niveau de la mer augmente, sa température augmente. Les tempêtes devraient être plus fortes et plus pluvieusessouligne l’universitaire Marc Robin. Cependant, nous ne pouvons pas positionner précisément le littoral.

S’il semble difficile de prédire l’avenir du quartier de Méan-Penhoët dans cinquante ans, les prédictions sont néanmoins possibles. A Saint-Nazaire, le marégraphe installé dans le port constate une montée du niveau de l’eau de 20 centimètres depuis 1860. Les scientifiques du GIEC prédisent la même chose pour les vingt-cinq prochaines années, soit 20 cm d’ici 2050. Le long de la digue du Brivet , en ce matin brumeux, Guillaume Hainigue le sait bien. “C’est sûr qu’à terme, les maisons de Méan seront à repenser”explique-t-il modestement. Avant de résumer : « Se protéger n’est pas une solution d’avenir. Il faudra un jour le déplacer. Ne pas se mettre la tête dans le sable signifie revoir les priorités de planification.

Nous devons également penser le secteur riverain différemment. « Aujourd’hui, cela coûte moins cher de renforcer les défenses côtières, de construire des barrages, de reconstituer les plages »analyse Marc Robin. Le jour où ce coût dépassera celui de la délocalisation, ce qui ne tardera pas à arriver, la tendance s’inversera. Si les premiers réfugiés climatiques du littoral ont défrayé la chronique – comme ceux du bâtiment Signal, en Gironde, évacués en 2014 et finalement indemnisés en 2021 après sept ans de procédure, ou encore le déménagement prochain de quatre établissements médicaux sociaux situés à Saint- Brévin-les-Pins décidé par le département de Loire-Atlantique – ces situations restent des exceptions. Il faut trouver des outils financiers et juridiques. Avec une question centrale : qui prendra en charge les frais de développement, puis ceux de déplacement ? “On le voit bien, l’Etat se désiste, les collectivités locales sont appelées à s’organiser”dénonce Guillaume Hainigue, chargé de projet pour l’agglomération.

Et la facture s’annonce lourde. « Les collectivités devront déjà sécuriser les routes, les équipements publics, et ce sera la priorité »défend l’élu de Saint-Nazaire Eric Provost. Comment seront traitées les résidences privées ? « Il va falloir trouver des mécanismes de solidarité adéquats, créer un fonds »avance Marc Robin, qui va plus loin : «Dévaluer les propriétés pour dissuader les habitants ? Mais qui va les racheter ? Pour Eric Provost, la réponse est claire : « Le public n’est pas là pour compenser le secteur privé. D’autant plus que les prix des assurances ont déjà commencé à augmenter pour les collectivités.» Ces dernières pourraient même exploser dans les années à venir et exclure certains phénomènes, comme la submersion. « Notre rôle est d’informer la population le plus en amont possible » continue-t-il. Cependant, la prise de conscience ne suit pas. Il suffit de regarder les prix de l’immobilier, toujours au plus haut du littoral, pour se rendre compte du chemin qu’il reste encore à parcourir.

« Le risque est de donner l’impression aux ruraux d’être sacrifiés »

En remontant vers l’estuaire, le projet Adapto du Conservatoire du Littoral travaille justement sur cette sensibilisation, mais dans des zones non bâties. Propriétaire foncier, cet établissement public s’interroge sur la montée des eaux sur certaines de ses parcelles. A Frossay, les bords de Loire ont toujours été inclus dans le domaine maritime : l’eau du fleuve est salée et ses niveaux fluctuent au gré des marées. Ici, dans un estuaire soumis à la montée des eaux de mer en aval et à l’assèchement du fleuve en amont, aucun plan de prévention des risques n’a encore été publié, malgré la présence de nombreuses industries et différents sites Seveso. Juliette Thibier, responsable du projet Adapto en question, explique : « C’est assez subtil, mais on voit déjà le changement. Il y a des effets de seuil, des dépôts de limon plus importants dans les prairies. De nouveaux cours d’eau se forment, des roselières se développent. Pour l’instant, on continue à soigner, mais l’idée est de voir comment on accueille l’eau sur le long terme… »

En face, de l’autre côté de la Loire, l’usine à charbon de Cordemais et ses cheminées rouges et blanches se noient dans le ciel gris. Sur le fleuve, deux bateaux de pêche sont à l’arrêt, leurs filets dressés au-dessus des eaux brunes, tandis qu’un troupeau de vaches paissent sur la terre ferme, des prairies luxuriantes et humides rythmées par des bosquets de roselières. Dans une zone fortement artificialisée, “un secteur végétalisé ralentit nécessairement les vagues lors d’une éventuelle submersion, estime Juliette Thibier, et offre une plus grande résilience au changement climatique. Alors que l’universitaire Marc Robin propose la création de « zones tampons » qui pourrait absorber l’eau et « préserver des secteurs plus urbanisés », le chef de projet pense que l’équation va s’avérer plus compliquée sur le terrain : « C’est difficile à expliquer aux gens. Le risque est de donner aux ruraux l’impression d’être sacrifiés.» Pour mener à bien le projet, il faut réunir autour de la table toutes les personnes concernées : agriculteurs, associations naturalistes, communes, chasseurs, citoyens… Si, à Frossay, aucune maison n’est directement concernée, ce n’est pas le cas à Corsept, à quelques kilomètres de là. . Juliette Thibier détaille : « L’idée est de se laisser le temps de s’adapter en posant ensemble les bonnes questions : jusqu’à quand va-t-on entretenir la digue actuelle et la réparer ? Quand les conséquences ne deviennent-elles plus acceptables ? Quand est prévu le déménagement ? Même si, encore une fois, nous n’avons pas de boule de cristal.»

 
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