Qu’est-ce que la foresterie douce ? “C’est casse-tête d’observer comment poussent les arbres, et commencer par choisir ceux que l’on va préserver”, ironise Anthony Cheval en levant les yeux au sommet d’un charme. Coordinateur de l’association Cœur de forêt, il est en reconnaissance dans un bois de la commune de Tursac, en Dordogne.
Avec une forêt couvrant près de la moitié de la superficie du département, soit 418 000 hectares, la ressource ligneuse ne manque pas. En revanche, la question de sa gestion se pose de plus en plus. « Historiquement, on y cultivait des châtaigniers, qui ont été progressivement remplacés par des plantations de conifères, dit Anthony Cheval. Mais aujourd’hui, ces monocultures exploitées en coupe rase montrent leurs limites, avec le changement climatique en particulier. » Elles sont en effet bien plus vulnérables aux parasites ou aux incendies que les forêts mixtes, et moins favorables à la biodiversité.
« Proposer quelque chose de différent »
En Dordogne comme dans le reste du pays, une grande partie de la forêt appartient à de petits propriétaires, qui ne possèdent chacun que quelques hectares. Le rôle de Cœur de forêt est d’accompagner ces individus, de plus en plus nombreux à vouloir s’orienter vers une gestion durable de leur territoire. Parallèlement, il existe une demande des professionnels « qui veulent savoir d’où vient leur bois, comment il a été produit et ce qu’il reste de la forêt après », soutient Anthony Cheval. «Le problème, ce sont les maillons intermédiaires de cette chaîne qu’il faut reconstruire dans la région. »
Avant de couper un arbre, les bûcherons de la scierie de Tursac anticipent le parcours du cheval qui servira à l’exploitation forestière. / Loïc Mazalrey / Loïc Mazalrey
A Tursac, il existe une scierie familiale, celle de la famille Agrafeuil, qui a fermé ses portes en 2017 faute de demande. Quelques années plus tard, Jérôme Agrafeuil sent que le vent s’est inversé. « J’ai entendu dire qu’on ne trouvait plus de bois, qu’il y avait une pénurie. J’ai répondu que j’avais une scierie au milieu des bois et que personne n’en faisait rien. il se souvient. Fruit de sa rencontre avec la coopérative d’écoconstruction Coop&Bat, l’association Au Coin des saweurs a été créée en 2022. « L’objectif n’était pas seulement d’installer une nouvelle scieuse, mais d’offrir quelque chose de différent. » insiste-t-il.
Nourrir une filière locale
Désormais gérée par l’association, avec le soutien d’Agrafeuil, la scierie est inaugurée à la fin de la même année. Plusieurs artisans locaux ont rejoint le projet, attirés par le principe : agir pour une forêt vivante et nourrir une industrie locale. Le bois est sourcé Cœur de forêt afin d’exploiter la forêt sans la dégrader.
Il s’agit d’abord d’encourager la diversité des espèces. Préférez alors les interventions ciblées aux coupes à blanc tous les dix ou quinze ans. « Nous recherchons un équilibre entre ce que nous pouvons prendre et ce que nous laisserons pour permettre à la forêt de poursuivre son cycle naturel. » précise Anthony Cheval. Pour éviter d’écraser le sol et les jeunes pousses, il faut aménager des sentiers et utiliser des engins plus petits, voire des chevaux, pour débarder, c’est-à-dire transporter les troncs abattus.
Bois de meilleure qualité
Pour les scieurs comme pour les opérateurs, cette approche nécessite une adaptation. Il faut respecter la saisonnalité des coupes, en automne et en hiver, pour constituer des stocks. Il faut travailler des essences variées, feuillus et résineux : chênes, châtaigniers, pins Douglas… Et surtout accepter de produire peu. « Mais avec des forêts plus saines et des arbres qui poussent plus lentement, nous améliorons la qualité du bois. Grâce à cet avantage, nous pensons qu’il est possible d’être rentable. » says Philippe Pétrau, former carpenter, today co-president of the Au Coin des saweurs association.
Un opérateur s’apprête à couper une grume à la scierie associative de Tursac / Loïc Mazalrey / Loïc Mazalrey
Dans le hangar, Jean-Baptiste Schaedele, scieur, verse un peu d’huile dans les rouages de la vieille machine héritée des Agrafeuil. « Y a-t-il du diesel ? “, demande-t-il. À moitié plein. La lame horizontale rugit et attaque une bûche de Douglas de deux mètres, qui fournira des planches à un temple bouddhiste situé à moins de quatre kilomètres. La scierie produit principalement du bois brut pour les artisans locaux et les particuliers : charpente, bardage, etc. Certains agriculteurs viennent également scier leurs propres ressources.
Un lieu de rencontre
Mais l’association s’efforce de valoriser tout le bois extrait de la forêt. Les chutes et pièces non conformes sont vendues à « l’épicerie du bois » en libre service à côté de l’atelier. Une luthière y utilise du matériel pour fabriquer ses violons et un boulanger a redonné vie au four à bois communal.
« Nous organisons également des ateliers collectifs. C’est devenu un lieu de rencontre qui crée une véritable dynamique locale »se félicite Camille Pétrau, l’une des deux salariées de l’association. Et pour preuve : « Avec tout le trafic, la boulangère a installé un dépôt de pain à la scierie, et la maraîchère a relancé son potager un peu plus bas pour vendre des paniers. »
Les communautés locales reconnaissent également l’utilité du projet. Un chèque de 50 000 € de la collectivité servira à l’achat d’une nouvelle scie électrique plus performante. Car même si le carnet de commandes est toujours plein, l’activité est limitée par le vieillissement de la scie. “Ça tombe en panne environ une fois par mois”soupire Jean-Baptiste. « Pour l’instant, le projet tient grâce à l’engagement de l’équipe, admits Philippe Pétrau. Mais l’objectif est que chacun puisse être payé. »