Comment allons-nous entendre, décortiquer, interpréter en France ce que les électeurs de Donald Trump ont exprimé lors des urnes ? Cette question, que l’éditorialiste Patrick Cohen (France Inter) a soulevée mercredi 6 novembre à 7h40 alors que la victoire n’était pas encore confirmée, est évidemment cardinale. Elle prend même une centralité proportionnelle à l’ampleur du raz-de-marée populaire du candidat républicain, et devient une évidence. Oui, qu’allons-nous fairedans tous La société française, de ce résultat sismique ? Tous société désignant bien sûr le cercle politique, mais aussi tous les espaces et collectifs (écoles, universités, entreprises, associations, syndicats, clubs sportifs, scènes culturelles, médias, etc.) où, au quotidien, se « construit », l’entreprise .
La question séduit les partisans de Trump. Les partisans français aiment logiquement les 72,6 millions d’électeurs « rouges » outre-Atlantique : ils forment un kaléidoscope, nettement moins caricatural que l’image, incompréhensible à nos yeux européens, qu’ont étalée les abjections du milliardaire ou l’hystérie des hordes de fanatiques du complot. défilant dans les rues armés de leurs mitrailleuses. Des partisans qui ne se réduisent pas, en France, aux lieutenants RN de Marine Le Pen et Jordan Bardella exultant dans les médias du groupe Bolloré. La doctrine est d’autant plus disposée à un discours pro-Trump décomplexé que le vote final s’est révélé triomphal : elle « accrédite » le délire complotiste des élitesde la médiasde système et leétablissement unie contre le vainqueur, elle favorise la « trumpisation » des esprits sur la planète, depuis les bolsonaristes brésiliens jusqu’à l’Europe brune, en passant par les sbires de Netanyahu ou les acolytes indiens de Modi.
Tout n’est pas transposable…
Les études analysant le vote républicain aux États-Unis révèlent une mosaïque de raisons et de motivations, dont beaucoup sont contre-intuitives, voire contradictoires. Qui aurait parié sur une baisse aussi substantielle du vote ethnique « garanti » aux démocrates – notamment que 21 % des hommes noirs et 46 % du « bloc » latino offriraient leur vote à Trump (étude Edison pour Reuters et le Washington Post) ? Qui aurait imaginé que l’attrait du fossoyeur du droit à l’avortement résisterait si bien auprès de l’électorat féminin ? Il est probable que les motivations des pro-Trump français – également desadhésion et plus seulement perturbation comme ce fut le cas en 2016 – couvrent un large spectre. Les ignorer ou pire, les mépriser, constituerait plus qu’une erreur : une faute.
Victoire de Trump : la fin de l’Europe ?
Qu’allons-nous faire de ce vote ? En France, la question préoccupe aussi ceux qui critiquent le prochain 47e président. Puisqu’il soulève celui duimportation de supposés leviers sociologiques, politiques – et osons le mot : civilisationnels – qui ont ouvert la voie à la victoire républicaine. Républicain ou plus précisément trumpiste, puisque le coup de force des multi-délinquants aura dévitalisé puis asservi le parti, intrinsèquement démocrate, à son mantra antilibéral.
Imaginer appliquer ces leviers à la France serait bien sûr inepte, tant les réalités historiques, démographiques, ethniques, religieuses, géographiques, démocratiques, technologiques et économiques sont différentes. C’est un lieu commun, mais s’en souvenir n’est pas inutile. Les spécificités n’ont pas encore (totalement) traversé l’océan. Peut-on imaginer la justice en France autoriser un ex-président factieux et pénalement condamné à se représenter ? Nos règles du débat public toléreraient-elles la diffamation, les excès et l’usage assumé du mensonge symptomatique de l’éloquence trumpiste ?
Face à Trump, l’Europe est stupide de manger du foin !
Ainsi, la fascination pour les armes, l’obsession patriotique voire nationaliste, l’enchevêtrement des pouvoirs religieux et politiques – bien que contraires à la constitution – n’ont pas traversé l’océan. Même l’hyper-individualisme, commun aux sociétés capitalistes, n’est pas uniforme. En Amérique, elle est portée par une hégémonie hypermatérialiste et hyperconsumériste, encore tempérée en France grâce à un « État-providence » et une politique redistributive qui entretient l’idée d’une sphère commune, grâce aussi à une organisation institutionnelle centralisée qui s’oppose à une culture. d’égalité et d’homogénéité à la fragmentation institutionnelle inhérente à un fédéralisme excessif. Mais la règle est inflexible : la fragmentation d’un collectif pousse au repli, à l’égocentrisme et met en péril la solidarité.
… mais il reste encore beaucoup à étudier
Certaines situations méritent cependant d’être retenues comme pouvoir tresser un cohérence programmatique et une harmonie électorale des deux côtés de l’Atlantique – malgré une échelle ou des réalités distinctes.
Parmi eux : le climato-scepticisme (et le déni du climat), en réponse à l’obstacle « insupportable » au développement économique et à la liberté d’entreprise inhérent à la lutte contre le réchauffement climatique. La complexité administrative et la technocratie ont éclos « dans la capitale », symbole d’instances de décision hypertrophiées – Washington d’un côté, Paris et Bruxelles de l’autre. Le sentiment – si ce n’est toujours une réalité – d’être déclassé territorialement ou statutairement ; et celui d’être négligé, incompris voire méprisé par les fameuses « élites ».
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D’autres sujets créent clairement un pont entre les deux rives. Notamment ceux de l’immigration, de la sécurité et des excès « éveillés ». ignorez-le, LE dédain ou LE Bâcler cela reviendrait à attiser la discorde au sein de l’opinion publique et à laisser leur traitement entre les mains des extrêmes – menés par la droite. Certes, le Rapport annuel sur l’état de la France 2024 (CESE – Ipsos) positionne ces sujets loin dans le classement des préoccupations des Français : la sécurité des biens et des personnes est en 7ème place, l’immigration en 10ème, et sans surprise la dérive éveillée. est absent. Des sujets donc officiellement en marge mais qui peuvent occuper une place non négligeable dans la motivation souterraine des votes, cette motivation camouflée – impulsive ou raisonnée – qui a déjoué les pronostics des instituts de sondage américains.
L’exemple du wokisme
Ainsi, outre-Atlantique, les « jeunes blancs » se sont mobilisés de manière surprenante, et dans des proportions irréfutables : Trump les a conquis avec 7 points de plus que son score de 2020 et son écart avec Kamala Harris atteint 14 points (étude Edison). Une jeunesse blanche séduite par les harangues virilistes et mysogynes que le candidat républicain oppose aux pratiques woke, fondées ou instrumentalisées, et aux excès de son continuum, l’annulation de la culture.
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Pour autant, le « wokisme » – injustement détourné de sa vertu originelle de reconnaissance et de prise en compte des (spécificités) des minorités – ne figure pas innocemment parmi les « batailles » prioritaires de Jordan Bardella en France, du Hongrois Viktor Orban (premier ambassadeur de Trumpisme en Europe) ou l’Italienne Giorgia Meloni (tête de pont d’Elon Musk sur la scène politique européenne, lui qui a fondé son spectaculaire ralliement à Trump en réaction au « virus wokist » coupable à ses yeux d’avoir « tué » son fils en étant à l’origine de sa transition sexuelle). Tous trois jugeront le wokisme responsable de la frustration des jeunes blancs, précieux « réservoir de voix », qu’ils exploiteront à dessein.
Le wokisme donc, et bien sûr la sécurité et l’immigration. Comment les partis « républicains » et notamment la social-démocratie peuvent-ils aborder ces sujets de manière à à la fois entendre les préoccupations de l’opinion publique, les considérer dans leur complexité et non dans leur apparente évidence, pour les traiter. vraiment – l’adverbe doit rimer avec lucidité, efficacité, raison, humanité, liberté –, et ainsi couper l’herbe sous les pieds des groupes extrémistes ? Un immense défi pour la démocratie. L’occasion aussi de la redynamiser en introduisant une nouvelle qualité de débats, de propositions et de moyens (démocratie délibérative).