« J’ai reçu plusieurs fois des menaces de mort », déplore Frédéric, cycliste quotidien dans les rues de Bordeaux. “Je souffre de la mise en danger des piétons et des cyclistes”, ajoute-t-il, rejoint par Pierre ou Nicolas, qui racontent “la violence des usagers de la route qui refusent de perdre du terrain ou de donner la priorité aux cyclistes”. “Si la majorité des automobilistes se comportent bien, j’ai appris à mes enfants qu’une voiture peut se transformer en arme”, renchérit Batien, un “travailleur du cycle” qui dénonce également la “cyclophobie” subie en ligne. Échantillon des nombreux témoignages que « Sud Ouest » a reçus dans le cadre de la série d’articles et de vidéos sur la difficile cohabitation entre cyclistes et automobilistes en Gironde, depuis mardi 5 novembre.
« Infrastructures insuffisantes »
Le constat est unanime : les cyclistes déplorent un manque flagrant d’infrastructures adaptées en ville. Carrefours « dangereux », marquages au sol « incompréhensibles », aménagements « accidentogènes »… Les rues à double sens – règle méconnue mais justifiée par la hausse à 30 km/h en ville – sont aussi le théâtre de tensions récurrentes. « La rue du Palais-Gallien est trop étroite. Face à une voiture ou une camionnette qui descend de la place, ça ne marchera pas. Il faut monter sur les trottoirs », rapporte Thomas, Bordelais qui alterne deux et quatre roues. « Dans la rue de Ségur, il doit y avoir deux sens de circulation pour les vélos et la voiture au milieu, avec des voitures garées de chaque côté. Un croquis», précise Stéphane.
Voitures et vélos : à Bordeaux, la cohabitation sous tension, notre série
Vélos, vélos électriques, cargos : les cyclistes n’ont jamais été aussi nombreux à Bordeaux et dans la Métropole, leur nombre a plus que doublé depuis 2015. De quoi tendre les relations entre anciens et nouveaux usagers de la route, chacun accusant l’autre de ne pas respecter les règles et de prendre sur l’espace. Données, rapports, entretiens : « Sud Ouest » mène l’enquête
Parmi les autres lieux redoutés, les quais, le quartier des Chartrons et les grands boulevards. Tout le monde a déjà frôlé ou vécu un accident, et les exemples ne manquent pas. « Suivre l’ancien cours Portal est dangereux et anxiogène. Il est devenu inadapté», s’alarme Alan, un habitant des Chartrons. Cédric, cycliste, ajoute : « Sur les boulevards encore, la piste bus/vélos s’avère dangereuse. Les vélos sont effleurés par les bus et les voitures. » « Le pire, en termes de domination des trottoirs et des pistes cyclables, ce sont les soirs de match à Lescure », ajoute Frédéric.
Impatients, les cyclistes estiment que la construction des infrastructures cyclables est « trop lente » et mixte. « La réalisation de l’incontournable réseau vélo express (Reve) n’est prévue que dans dix ans… au mieux, en 2034 », remarque Frédéric. « Les aménagements urbains se font dans une logique de compromis entre l’usage ancien de la voiture et le nouvel usage du vélo. Mais quand on refait une rue, c’est pour cinquante ans », analyse François, ancien salarié dans le domaine de la mobilité. « Si l’on fait des demi-choix, dans quelques années, les rues rénovées seront dépassées par le vélo, qui connaît une croissance exponentielle. » Au détriment de la voiture ? « C’est quelque chose que les automobilistes inconditionnels ne peuvent pas supporter. »
Des cyclistes pas irréprochables
Autre élément devenu au fil du temps la cible privilégiée des invectives de nos lecteurs sur les vélos : le comportement de certains automobilistes et notamment un non-respect du code de la route largement constaté. De nombreuses personnes constatent que le « bike lock » aux feux tricolores, bien qu’en vigueur depuis 1998, n’est pas respecté. « Je ne compte plus le nombre de fois où l’automobiliste tourne à droite, coupant la piste cyclable, m’obligeant à freiner fort », déplore encore Nicolas.
“Je suis effrayé par les vélos qui circulent dans tous les sens comme s’ils étaient protégés par un ange gardien”
Les automobilistes adressent les mêmes critiques aux cyclistes : « Ils ne respectent pas le code de la route, ou peut-être qu’ils ne le connaissent pas », s’interroge Stéphane. « Je suis effrayé par les vélos qui circulent dans tous les sens, sans se soucier des voitures, comme s’ils étaient protégés par un ange gardien », se plaint Nicolas. “Je vois les deux roues sans feux, sans casques, sans gilets jaunes, courir les arrêts, doubler les voitures par la droite, prendre les feux rouges”, réagit Isabella sur Facebook.
Des piétons bousculés
Les piétons ont également souhaité participer au débat et se positionner en observateurs neutres de l’histoire. Ils se disent aussi régulièrement victimes des comportements inappropriés des automobilistes… mais aussi des cyclistes. « J’ai failli me faire bousculer à plusieurs reprises. La majorité d’entre eux ne respectent pas le pied-à-terre», témoigne une dame âgée. « Bordeaux n’a pas de rue strictement piétonne », souligne Dominique, arrivée à Bordeaux il y a dix ans. « Les promenades sur les quais sont un pur cauchemar. Les cyclistes ont tous les droits, voire aucun devoir. » « Même s’ils aspirent à un meilleur respect des aménagements, nombre d’entre eux se montrent larges vis-à-vis du code de la route, et mettent parfois sans vergogne en danger les piétons ou autres cyclistes », ajoute François.
Plusieurs lecteurs imaginent des solutions : améliorer les aménagements, accroître la sécurité routière, faire connaître les nouvelles règles – comme la mairie et les services de l’État l’ont fait plusieurs fois cette semaine à Bordeaux. Certains, cyclistes notamment, réclament un « contrôle plus strict » de la part des forces de l’ordre pour sanctionner les infractions commises à vélo, « comme aux Pays-Bas ou en Espagne ». Où « on roule sans souci », assure Virginie. « La Guardia arrête les cyclistes pour infractions mais les automobilistes sont respectueux. C’est libérateur. »