Le chercheur, placé sous mandat d’arrêt par la justice militaire, est le premier Français non binational à faire les frais de la vague d’arrestations imposée par le régime de Kaïs Saïed.
Tunisie
Pendant plus de dix jours, l’information n’a pas été révélée au grand public. Mais à Tunis, les milieux de chercheurs et de journalistes ne parlaient que de cela : Victor Dupont, doctorant à l’Institut de recherches et d’études sur le monde arabe et musulman (Iremam) d’Aix-en-Provence, a été arrêté le 19 octobre. Un Français de 12 ans, qui préparait une thèse sur les diplômés au chômage, est accusé de « mise en danger de la sûreté de l’État ». Un ami franco-tunisien a également été incarcéré.
Depuis que le président Kaïs Saïed a gelé le Parlement en juillet 2021 puis instauré un régime présidentialiste, plus d’une centaine de Tunisiens (journalistes, militants, hommes politiques, etc.) ont été incarcérés pour diverses raisons. Si au moins trois Franco-Tunisiens – un ancien ministre et deux journalistes – sont aujourd’hui en prison, Victor Dupont est le premier Français non binational à payer le prix de cette justice façonnée par Kaïs Saïed, réélu le 6 octobre.
Le 19 octobre dernier, Victor Dupont a retrouvé à 11h30 chez lui trois amis français pour partir en week-end au Cap Bon. ” Je lui ai envoyé un message lui disant de descendre dans la rue parce qu’on arrivait, dit Édouard Matalon, bibliothécaire parisien. Quand je sors du taxi, je vois Victor plaqué contre un mur à 4 ou 5 heures des hommes en civil. Il me crie : « Appelez l’ambassade ! » » Édouard Matalon prend le téléphone de l’ami qui l’accompagne mais il est aussitôt arraché. Il est arrêté à son tour. Un autre ami, qui attendait dans l’appartement de Victor Dupont, sort dans la rue et est également arrêté. Après une perquisition au domicile du jeune sociologue, et plusieurs heures enfermés dans des voitures banalisées, les quatre amis ont été conduits à El Gorjani, siège de la police judiciaire. Ils y passeront la journée. Vers 21 heures, on leur apprend que Victor Dupont est placé en garde à vue. Ses trois camarades sont libérés.
Le lundi 21, ils retournent à El Gorjani. Là, ils ont appris que Victor Dupont était déféré au tribunal militaire du Kef (au nord-ouest), à une heure de Jendouba où le jeune homme, membre d’un programme scientifique financé par le Conseil européen de la recherche (ERC), effectuait ses travaux de terrain. ” Il est totalement exceptionnel qu’un jeune chercheur français puisse être traduit devant la justice militaire » La police tunisienne, qui s’occupe généralement des atteintes à la sûreté de l’Etat, a regretté auprès de l’AFP Vincent Geisser, directeur de l’Iremam.
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« Des actes injustes »
Édouard Matalon et ses deux amis se sont immédiatement rendus au Kef avec l’avocat. Une fois sur place, l’une des deux jeunes femmes (dont la famille ne souhaite pas révéler l’identité) est arrêtée. Ce Franco-Tunisien résidant à Paris a été placé en détention pour des raisons encore inconnues. Le même jour, Victor Dupont a également été placé sous mandat d’arrêt pour atteinte à la sûreté de l’État. L’enquête est en cours. Selon la loi antiterroriste de 2015, il pourrait purger jusqu’à 14 mois de détention préventive.
Sur les conseils de l’ambassade de France, les proches de Victor Dupont n’ont pas souhaité médiatiser l’affaire. Le point a rompu ce silence mercredi soir. ” Le ministère de l’Europe et des Affaires étrangères et notre ambassade à Tunis sont en contact étroit avec les autorités tunisiennes à ce sujet. », a seulement indiqué à l’AFP le Quai d’Orsay.
Ces derniers mois, au moins deux autres poursuites ont été ouvertes contre des Européens – dont un journaliste – libres mais interdits de quitter le territoire tunisien. ” Ne pas faire connaître ce type d’affaire ne s’est pas révélé efficace. Cela donne l’impression que les services consulaires cèdent à des actes injustes. », estime un chercheur français.
Quel est l’objectif des autorités tunisiennes ? ” Ils envoient des messages, analyse un chercheur tunisien. Aux chercheurs et aux journalistes, ils montrent que personne n’est à l’abri. A la France, ils rappellent que la Tunisie est souveraine et qu’elle fait ce qu’elle veut. » Tunis, rappelle-t-il, cherche aussi à se rapprocher de l’Iran, de la Chine et de la Russie.