Oui a-t-il besoin d’une mosquée entre Cenon et Libourne ? Sollicités depuis 2014 par la communauté musulmane, les maires socialistes d’Ambarès Michel Héritié, puis Nordine Guendez ont répondu négativement aux porteurs du projet. Ces derniers, qu’ils soient du Centre musulman de Bordeaux (soutenu par la Fédération musulmane de Gironde, FMG) ou de l’association ambarésienne Ibn Sina, sont d’un avis contraire : la mosquée de Cenon, même agrandie (1), sera trop petite pour accueillir, le vendredi, jour de la grande prière hebdomadaire notamment, les fidèles de la rive droite de Bordeaux. Durant cette année, ces deux structures ont poussé leur démarche encore plus loin, développant chacune un projet de centre culturel et religieux.
“Nous proposons un nouveau bâtiment, écologique et ouvert à toutes les populations”, précise M. Senouci, trésorier adjoint de l’association Ibn Sina et responsable technique d’un projet au 44, rue de Formont, à l’ouest de la ville. Sur un terrain de 6 400 m² dont « la vente est bien avancée » selon son propriétaire sur place, un parking de 40 places et une construction de 600 m² sur deux niveaux comprenant des salles d’enseignement et une salle de sport à l’étage, une bibliothèque et salle de conférence ou de prière au rez-de-chaussée. « Enseignement de la langue arabe mais aussi des mathématiques, du français, de l’anglais, de la physique ainsi que du soutien scolaire », énumère M. Senouci.
« Un peu vite »
Ibn Sina, créée en 2013, était en sommeil depuis plusieurs années et « réactivée avec un nouveau bureau il y a deux ans ». Ses activités se déroulent actuellement dans une maison. Après un gala et une campagne de financement participatif, elle dépose le 8 août un permis de construire pour enquête, discuté lors du conseil municipal du 30 septembre. « Lors d’un entretien en juin, j’ai senti que les choses allaient un peu vite et qu’il faudrait attendre l’agrandissement de la mosquée de Cenon”, explique le maire Nordine Guendez. «Je voulais discuter des conditions de mise en œuvre et de la concertation. » L’association n’a visiblement pas attendu.
Selon les lois sur la laïcité, tout culte a le droit d’avoir son édifice religieux pour peu que les règles d’urbanisme soient respectées, que la transparence des fonds soit totale et que l’avis de l’Etat soit respecté. « J’adhère à ces valeurs d’humanisme et de vigilance », déclare Nordine Guendez, qui précise être incroyant, et répond aux nombreuses protestations de son opposition sur le manque d’information en amont : « Nous n’étions pas seulement à « L’étape des intentions et moi, dès le dépôt du permis de construire, j’ai initié par exemple la conférence interreligieuse » qui s’est tenue le 19 octobre au centre culturel Évasion (lire ci-dessous).
Deuxième projet à Mansoura
Parallèlement, un deuxième projet « d’un centre culturel loi 1901 avec une salle de prière gérée séparément par la FMG » est en préparation dans la ville. Celui du Centre musulman de Bordeaux, dirigé par Tareq Oubrou, imam de Bordeaux et référence d’un Islam « d’apaisement, inclusif et citoyen dans une France laïque de culture chrétienne », selon les mots de Mahmoud Doua, imam de Cenon. Ici aussi, l’ancrage est ambarésien. Là aussi, on fait pression sur la mairie : depuis juin, la CMB est en démarche d’achat (premier versement effectué sur un total de 1,19 million d’euros) de la salle des fêtes privée de Mansoura, rue de la Commanderie-des -Templiers et dont l’entreprise appartient à Abdelkrim Yazid, résident d’Ambarès depuis vingt ans, également imam de Bègles.
« Ce local de 800 mètres carrés est déjà agréé ERP (2), avec un parking de 250 places », explique Abdelkrim Yazid. « Les perturbations pour les deux voisins proches seront minimes par rapport aux mariages qui ont encore lieu ici. » Le CMB prévoit également un centre culturel ouvert à tous, doté d’un lieu de prière. « Grâce à quelques travaux d’aménagement, l’espace sera modulable et pourra également accueillir l’activité des associations ambarésiennes. » Sur ce dossier, pas besoin de permis de construire, juste une déclaration de travaux.
Des dialogues possibles ?
Au-delà du sens urbanistique et sociétal (le premier projet a déjà déclenché une guerre d’enchères à droite et à l’extrême droite), les deux projets peuvent-ils ne faire qu’un ? Les deux associations se disent enclines à discuter mais Mahmoud Doua (CMB) prévient : « Le CMB-Ambarès présidé par Tareq Oubrou est propriétaire et gestionnaire du centre, ouvert à toutes bonnes volontés. » Anecdote : les propriétaires de la salle et du commerce ont rencontré l’association Ibn Sina au printemps mais cette dernière aurait apparemment décliné l’opportunité vu le prix, avant de se tourner vers la rue de Formont.
Le maire d’Ambarès, gêné, souhaite également rapprocher les deux partis pour trouver « une solution commune entre deux projets d’islam modéré ». Chacun avance ses arguments, de la création d’un nouveau lieu moderne pour les uns à la faisabilité et à l’intégration facile dans une zone d’activités pour les autres. Tous deux assurent un financement transparent, issu des collectes auprès des fidèles.
(1) Les travaux devraient être terminés début 2025. (2) Établissement ouvert au public.
Les riverains, entre tolérance et inquiétude
Lors de la conférence du 19 octobre, des voisins des deux sites étaient présents. « Chacun fait ce qu’il veut et a le droit de pratiquer sa religion », a déclaré un habitant du quartier Formont. « Mais le parking est trop petit, les voitures vont déborder dans la rue d’un quartier calme, déjà perturbé par la nouvelle activité du Château Formont. » Un autre, encore plus proche du projet, s’inquiète de la tranquillité menacée par l’aire de jeux pour enfants, et demande un paiement équitable de la taxe foncière (certains lieux de culte en sont exonérés). “L’effort fiscal doit être fait par chacun”, a répondu le maire, assurant également que les deux projets n’incluaient pas d’école coranique. Du côté de Mansourah, un voisin à quelques centaines de mètres pointe également le stationnement insuffisant et les normes de sécurité de la salle. Deux Ambarésiens musulmans ont exprimé de différentes manières leur consternation face à « l’hypocrisie » : « Ce ne sont pas les bâtiments qui dérangent, ce sont les gens. »