Des bébés retirés à leur famille par la justice et hébergés dans des crèches d’aide à l’enfance (ASE). De petites unités censées protéger les plus vulnérables pendant quelques mois, pendant l’urgence. Mais certains y resteront des années. Un système à bout de souffle.
John, 3 ans, a connu des débuts difficiles dans la vie. Une mère qui souffre de troubles mentaux, un père absent à la naissance. Dès sa sortie de l’hôpital, un juge décide, pour sa sécurité, de le placer en crèche jusqu’à ce qu’il trouve une famille d’accueil. Mais trois ans plus tard, John est toujours là. Il est même inscrit à l’école.
Sa place n’est plus parmi nous, il a besoin de son propre univers
Didier Eyer, pédiatre à la Maison d’Enfants de StrasbourgA l’Œil du 20h
La vie en communauté est particulièrement difficile pour un enfant de cet âge. John ne le savait que ça. Aucune famille d’accueil n’était disposée à prendre soin de lui en raison de sa santé fragile.
“Sa place n’est plus parmi nous, il a besoin de son propre monde, de sa propre chambre, de sa maison. Il n’a pas de maison, c’est une maison par défaut ici», déplore Didier Eyer, pédiatre à la Maison des Enfants de Strasbourg.
John n’est pas le seul enfant dans cette situation. Comme lui, ils sont une dizaine, bloqués ici depuis plusieurs années, à attendre une solution. Des bébés secoués, victimes de violences conjugales ou de négligence.
Car le nombre de places en familles d’accueil ne cesse de diminuer. L’Alsace à elle seule a perdu 30% en 3 ans. Manque de rémunération suffisante.
Au total, sur les 35 enfants de la crèche, 11 ne devraient plus y être. « Nous avons du mal à remplir notre mission principale qui est d’accueillir les bébés. Un bébé qui prend une place pendant 3 ans ne nous permet pas d’accueillir d’autres enfants qui en ont besoin et qui peuvent être actuellement à la maison. à l’hôpital ou à domicile», précise Clément Metz, directeur de la Maison départementale de l’enfance de Strasbourg.
Selon le syndicat de la magistrature, ce sont des milliers d’enfants en danger qui en paient le prix. L’année dernière, au moins 3 300 décisions n’ont pas été appliquées par la protection de l’enfance faute de places suffisantes. 300 rien que pour le département de Loire-Atlantique.
Le risque est l’apparition de troubles du développement extrêmement graves, qui ne peuvent pas nécessairement être guéris.
Marie le Verre, juge des enfants au tribunal judiciaire de NantesA l’Œil du 20h
A Nantes, Marie le Verre, juge des enfants au tribunal judiciaire de Nantes, se désespère face à l’amoncellement des dossiers en attente : «Là, nous avons un dossier où 5 enfants âgés entre 6 mois et 10 ans ont été confiés à l’ASE depuis mai dernier et je n’ai toujours pas de proposition de prise en charge..»
La situation dans les crèches est parfois telle que ce juge hésite à retirer les enfants de leur famille : «Il faut mesurer au cas par cas si la décision que l’on va prendre n’aura pas des effets plus néfastes pour l’enfant. Et le risque est l’apparition de troubles du développement extrêmement graves et pas forcément récupérables.», conclut-elle.
Des symptômes inquiétants, répertoriés dans des lettres confidentielles que nous avons obtenues. Les médecins de ces structures alertent les autorités depuis plusieurs années. L’un d’eux confie : «La situation n’est plus seulement inquiétante, mais dramatique : tristesse, repli sur soi, équilibre, automutilation. Il y a une urgence.
« Les enfants développent ces troubles lorsque leurs besoins ne sont pas satisfaits», raconte un pédiatre et ajoute : «On voit des enfants déprimés ou des enfants qui ne pleurent même plus. Qui ne pleurent plus quand ils se font mal, qui ne se dénoncent même plus, qui ne jouent même plus, qui déambulent dans la pièce ou dehors. Des enfants qui ne sourient plus. C’est terrible, nous sommes désespérés, nous aimerions que les choses changent.“
En Gironde, avec 325 millions d’euros, l’aide sociale à l’enfance (ASE) constitue le premier budget du département. Dans une crèche, avec deux éducatrices pour six enfants, le taux d’encadrement est élevé mais il suffit d’assister aux repas pour comprendre que même ici, la vie en communauté 24 heures sur 24 est difficile pour les bébés.
“Parfois, quand ils pleurent tous en même temps, ce n’est pas facile de les voir tous ne se sentant pas bien. Il peut être frustrant de ne pas répondre à leurs besoins», témoigne Marie Bretaud, éducatrice à la crèche du Centre départemental de l’enfance et des familles d’Eysines (Gironde).
“Ils auront tous mangé, tout aura été changé, mais aurons-nous eu du temps pour tout le monde, du temps pour se faire des câlins ? Je ne suis pas sûr de pouvoir faire tout ça“, adds his colleague, Mélanie Pastouret.
Sans parler du manque d’encadrement de ces enfants. Entre les éducateurs, les infirmières, les médecins, beaucoup trop d’adultes les entourent.
“Quand on les additionne, cela fait dix-douze visages autour des enfants. Dans une famille moyenne, il n’y a qu’un ou deux parents autour des enfants. Nous avons augmenté le nombre de visages. Cela pourrait poser un problème. Ils ont besoin de figures d’attachement capables de garantir le besoin de sécurité de l’enfant.», précise Franck Bottin, directeur du Centre départemental de l’enfance et des familles d’Eysines.
Selon une des rares études réalisées par des médecins, un quart des très jeunes enfants pris en charge en subiront des séquelles pour le reste de leur vie.
A l’Assemblée nationale, les députés s’en inquiètent, ils viennent de relancer une commission d’enquête sur la protection de l’enfance. Ils rendront leur contribution dans quelques mois.
La protection des enfants en danger en chiffres (Source ONPE 2022)
Aide sociale départementale (Source DREES 2022)
La justice protège-t-elle les enfants en danger ? Etat des lieux d’un système qui s’effrite (Source : Syndicat de la Magistrature / Mai 2024)
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