(SénéPlus) – Une équipe de chercheurs sénégalais travaille à réécrire l’histoire de la traite négrière, remettant en question les récits hérités de la colonisation. Leur terrain d’exploration : l’île de Gorée, symbole de la traite triangulaire. Cette approche s’inscrit dans une démarche décoloniale, visant à rompre avec les pratiques et grilles d’analyse héritées de l’époque coloniale.
Au cœur de ce mouvement, le professeur Ibrahima Thiaw, l’un des premiers archéologues sénégalais à s’intéresser à la traite transatlantique des esclaves. Il dirige l’unité de recherche en ingénierie culturelle et anthropologie (Urica) de l’Université Cheikh-Anta-Diop de Dakar. “Certaines équipes continuent de faire comme si nous étions encore à l’époque coloniale”, déplore-t-il, selon Le Monde.
L’Urica abrite des collections archéologiques uniques, mais aussi les défis de leur conservation. « Des collègues européens ont déterré des objets pour les étudier. Cela leur a permis de publier des articles scientifiques prestigieux. Et après, ils nous ont laissé des malles remplies d’objets difficiles à conserver», explique le professeur Thiaw.
La démarche de ces chercheurs dépasse la simple étude des objets. Lamine Badji, docteur en archéologie, travaille sur des crânes de griots récupérés sur des baobabs. « L’objectif est de ‘décoloniser’ cette collection en prenant un prisme sénégalais dans son étude, c’est-à-dire en veillant à ce que nous respections nos croyances et nos traditions », précise-t-il.
Le respect de l’être humain et les relations avec les communautés sont au cœur de cette démarche. « Le corps n’est pas un objet mais une âme, et son histoire est liée aux êtres vivants », souligne le professeur Thiaw. Il ajoute : « La dimension réparatrice de l’archéologie, qui permet de retisser le fil des histoires familiales brisées par la séparation et l’exil, est trop négligée. »
Les recherches menées sur l’île de Gorée ont déjà permis de remettre en question certains récits établis. “Nous avons principalement trouvé des objets européens de la vie quotidienne comme des encriers, des bouteilles d’alcool ou des poids pour peser des objets précieux, qui datent du XVIIIe siècle”, note M. Thiaw, contrastant avec les textes qui documentent une présence européenne depuis le XVe siècle. .
L’équipe du professeur Thiaw ne se limite pas aux fouilles terrestres. Depuis dix ans, ils explorent également les fonds marins au large de Gorée. Madicke Gueye, docteur en archéologie sous-marine, explique : « Le travail d’inventaire entrepris depuis dix ans a permis d’identifier 24 sites archéologiques sous-marins au large de Gorée. Il faut maintenant pouvoir les dater.
Cependant, la conservation des objets remontés des profondeurs reste un défi majeur. « Nous avons perdu une bonne partie de cette collection, notamment tous les objets en bois », regrette Madicke Gueye. Les chercheurs militent pour l’ouverture d’un laboratoire de conservation adapté.