Avec leur plume unique et leur sensibilité propre, les artistes nous présentent leur vision du monde qui nous entoure.
Publié à 00h46
Mis à jour à 9h00
Jean-Philippe Baril Guérard
Collaboration spéciale
J’ai découvert un luxe insoupçonné lorsque j’ai commencé à gagner plus d’argent : espèces a le pouvoir de transformer de terribles nouvelles en légers désagréments. Prenons par exemple les amendes : alors que je faisais chauffer ma vieille Volvo V70 2000 vert forêt, que ma mère avait donnée à ma sœur qui l’avait donnée à mon autre sœur qui me l’avait finalement donnée avec 250 000 kilos au compteur, un Un ticket rapide pourrait signifier que j’allais être maigre pendant quelques semaines (ou, si je mettais ma fierté de côté, que j’allais appeler ma mère pour qu’elle m’achète des courses). Aujourd’hui, je ne peux pas dire que je suis content de payer une amende, mais cela ne fera pas de moi un adepte du jeûne intermittent involontaire. (Je n’ai plus de tank non plus, donc moins de risques d’amende. Ça aide.)
La punition fait moins mal puisque je gagne plus d’argent.
C’est absurde, quand on y pense : rien n’a changé dans le risque que je ferais courir à mes concitoyens en violant le Code de la sécurité routière. Une collision avec un piéton ne lui ferait pas moins de mal maintenant que j’ai des REER. Les gens riches ne remplissent pas leur pare-chocs de liasses de billets de 100. Mais implicitement, c’est le message qu’envoie la loi : enfreindre les règles est un droit qui s’achète. C’est pourquoi je fais particulièrement attention lorsque je traverse la rue et que j’aperçois une Audi, une BMW ou une Tesla venir dans ma direction. (Ce n’est pas seulement basé sur l’impression : plusieurs études ont conclu que les propriétaires de voitures de luxe enfreignent plus fréquemment la loi.)
La route est faite pour les riches. Ils peuvent se permettre de se déplacer comme bon leur semble, moyennant quelques amendes, et ils peuvent aussi se permettre d’acheter des chars plus gros, dans lesquels ils ont forcément plus de chances de survivre à une collision.
Et si par malheur je devais me faire renverser un matin par le conducteur d’un gros char qui ne veut pas respecter le code de la route, ce serait entièrement ma faute : il suffisait que je sois riche aussi.
Je ne suis pas un piéton exemplaire. Pas dans le sens où je ne respecte pas le code de la route : j’habite au centre-ville de Montréal, et ce serait un suicide d’essayer de marcher aussi cavalièrement que les gens conduisent. Ce qui n’est pas exemplaire, c’est la façon dont je réagis chaque semaine lorsque je suis sur le point de mourir.
J’ai heurté un phare lorsqu’un conducteur qui avait éteint un feu s’est arrêté à quelques centimètres de moi. Cela a été réglé lorsque la police est venue frapper chez moi et que j’ai signé un chèque pour la valeur d’un nouveau phare.
J’ai heurté un char qui franchissait un panneau d’arrêt et j’ai failli nous écraser, mon chien et moi, lors d’une promenade nocturne. Le chauffeur m’a expliqué que si je touchais son propriété une fois de plus, il allait se précipiter sur moi.
J’ai demandé à deux policiers d’intervenir lorsqu’ils ont vu un conducteur passer un stop et, une fois de plus, j’ai failli me heurter. Ils m’ont dit de me calmer parce que j’étais juste dans son angle mort. (J’ai appelé le SPVM pour leur demander le lien entre un angle mort et un stop américain, mais ils n’ont pas eu la réponse.)
Lorsque j’approche de la mort, je dois rester docile et demander pardon, peu importe qui est en faute.
Ce que j’ai compris, de la part des conducteurs, des délits de fuite et des autorités avec lesquels j’interagis sur le sujet, c’est qu’il est plus important de protéger la propriété privée que les vies humaines.
L’organisation Vision Zero Vancouver l’a bien compris. Pour célébrer le poisson d’avril cette année, ils ont imaginé un cascade dans le secteur Granville Island : à côté d’un passage piéton, ils ont installé un panier rempli de briques et ont invité les piétons à en prendre un et à traverser la rue en le tenant haut pour indiquer qu’ils avaient choisi la violence et qu’ils étaient prêts à endommager un char pour assurer leur survie.
Les briques étaient en polystyrène. Ce n’était qu’un cascade. Il a néanmoins prouvé quelque chose d’essentiel : la véritable violence n’est pas absolument nécessaire. La simple possibilité que des propriétés privées soient endommagées suffit à inciter les conducteurs à se conformer davantage.
Cependant, il me semble que si vous pouvez vous permettre une BMW et un tas de billets, vous devriez pouvoir vous permettre un travail de peinture.
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Who is Jean-Philippe Baril Guérard?
- Jean-Philippe Baril Guérard est romancier, dramaturge, acteur et metteur en scène.
- Il a notamment publié les romans Royal, Manuel de la faune et Démolition élevée. Il a également écrit de nombreuses pièces de théâtre, dont Warwick, La singularité est proche et Tu es un animal.
- Ses romans Manuel de la faune et Démolition élevée ont été adaptés pour la télévision.