Pour le Canada, un cyberespace de représailles

Pour le Canada, un cyberespace de représailles
Pour le Canada, un cyberespace de représailles

Chaque jeudi, nous revenons sur un événement marquant dans le monde, grâce au regard et à l’expertise d’un chercheur du Centre d’études et de recherches internationales, de l’Université de Montréal, ou de la Chaire Raoul-Dandurand, de l’UQAM.


Publié à 00h54

Mis à jour à 15h00

Danny Gagné, Frédérick Gagnon, Alexis Rapin et Fanny Tan

Chercheurs en résidence à l’Observatoire des conflits multidimensionnels de la Chaire Raoul-Dandurand de l’Université du Québec à Montréal

Bordé par trois océans et allié de longue date des États-Unis, le Canada bénéficie depuis très longtemps d’une situation géopolitique extrêmement avantageuse.

Ainsi, au cours des dernières décennies, le Canada a pu axer sa politique étrangère notamment sur la défense des valeurs libérales et des droits de l’homme dans le monde, sans avoir à craindre de manière significative pour sa sécurité. Les critiques, dénonciations ou sanctions émises par Ottawa contre des acteurs internationaux jugés perturbateurs ou malveillants ont rarement été suivies de conséquences directes sur la population canadienne.

Cependant, la montée des cyberconflits et de la violence numérique remet de plus en plus en question ce paradigme. Dans un cyberespace largement transnational et horizontal, les actions et les réactions se succèdent désormais à la vitesse d’un clic, d’un bout à l’autre du globe.

Les hackers d’État, les cybercriminels ou les groupes hacktivistes peuvent aujourd’hui ignorer les frontières et les distances pour nuire à toutes sortes d’entités et d’organisations, privées et publiques. Par le biais de cyberattaques plus ou moins sophistiquées, ces acteurs n’hésitent plus désormais à « punir » certains pays pour leurs positions, notamment sur la politique internationale.

Entre hacks et hyperfakes

L’année dernière a montré que le Canada n’est pas à l’abri de la montée des cybermenaces. En avril 2023, on apprenait qu’un groupe de hackers russes avait tenté d’infiltrer les systèmes de gestion d’un gazoduc canadien, prétendument dans le but de provoquer un accident industriel. Nommé Zarya, le groupe a maintenu des contacts avec les services de renseignement russes et a agi en représailles à l’aide militaire canadienne à l’Ukraine.

En septembre, un groupe de « hackers patriotiques » indiens a ciblé une dizaine de sites Web canadiens (dont celui des Forces armées canadiennes), tentant de réduire leur accessibilité par des attaques par déni de service. . Se faisant appeler Indian Cyber ​​Force, le collectif entendait sanctionner les déclarations du gouvernement Trudeau, qui venait d’accuser l’État indien d’avoir commandité l’assassinat d’un militant sikh en sol canadien.

En août 2023, un blogueur canadien d’origine chinoise a été visé par une opération d’influence en ligne orchestrée depuis la Chine. Faisant d’une pierre deux coups, la campagne consistait à calomnier divers élus canadiens à l’aide d’hyper-truquages ​​(faux profond) se faisant passer pour le blogueur, lui-même connu pour ses critiques à l’égard du Parti communiste chinois.

Créer de l’enthousiasme pour faire pression

Ces actes ne constituent pas des cas isolés. L’annuaire des cyberincidents canadiens de l’Observatoire des conflits multidimensionnels de la Chaire Raoul-Dandurand1une base de données en libre accès entretenue par les auteurs de ce texte, a recensé – sans prétendre être exhaustif – 16 cyberincidents à caractère géopolitique ayant touché le Canada au cours de l’année 2023, pour un total de 114 depuis 2010.

Ces actions incluent largement des cyberattaques plus furtives visant notamment la collecte clandestine de renseignements, une pratique largement répandue sur la scène internationale.

Cependant, d’autres attaques sont de nature plus agressive et visent souvent à « délivrer un message » au Canada, qu’il soit géopolitique ou idéologique.

Ces cyberincidents, bien qu’ils causent rarement des dégâts majeurs, cherchent à perturber le quotidien des Canadiens et, plus encore, à susciter l’émotion et à nourrir un sentiment d’insécurité, entre autres grâce à la médiatisation qu’ils accordent. sont le sujet. La logique, en fin de compte, est d’exercer des pressions sur les institutions canadiennes pour les amener à reconsidérer certaines de leurs positions – le plus souvent en matière de politique internationale.

Gardez la tête froide

Faisant évidemment écho à une actualité internationale extrêmement troublée, de Gaza à l’Ukraine en passant par le Yémen, cette dynamique implique généralement des acteurs du numérique non ou semi-étatiques et complique ainsi la gestion et l’attribution de ces menaces.

D’une part, elle instaure une forme de diplomatie parallèle, dans laquelle une galaxie de petits acteurs s’immisce dans la politique intérieure des autres pays. D’un autre côté, cela peut aussi alimenter une forme de « déni plausible » pour les États que ces cyberattaques veulent servir (comme la Russie, la Chine ou l’Inde), dont la responsabilité est alors difficile à démontrer, voire totalement éludée.

Autrement dit, le Canada doit désormais s’attendre à subir des réactions numériques plus fréquentes et parfois plus violentes lorsqu’il est amené à prendre position sur certaines questions sensibles. Le risque, à long terme, est évidemment que le Canada en vienne à préférer rester discret ou circonspect sur un nombre croissant de dossiers internationaux afin d’éviter les foudres de cyberacteurs malveillants.

Or, c’est justement le but de ce type de manœuvre : faire peur pour faire taire. Si le Canada souhaite à l’avenir continuer à défendre certaines valeurs et affirmer ses vues face à des puissances comme la Chine, la Russie et l’Inde, il devra se doter des meilleurs outils pour se protéger contre les cyber-représailles qu’il vaut déjà de telles positions. .

1. Consultez le répertoire des cyberincidents canadiens de la Chaire Raoul-Dandurand

Consultez l’état des lieux 2024 des cyberincidents géopolitiques au Canada

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