Des policiers visés par une enquête

Des policiers visés par une enquête
Des policiers visés par une enquête

En 2021, la Gendarmerie royale du Canada (GRC) commençait à craindre qu’un réseau d’influence au service de Pékin ne se développe au sein de ses rangs. Trahisons, agents doubles, missions secrètes, caches d’armes : les allégations volaient de toutes parts. Des documents inédits révèlent comment plusieurs policiers actifs et retraités se sont retrouvés dans le viseur lorsqu’un groupe d’enquêteurs montréalais est intervenu pour « neutraliser » la menace.


Publié à 3h14

Mis à jour à 5h00

Les dessous de la chasse aux taupes dans les rangs de la GRC sont relatés dans des déclarations assermentées présentées à un juge du palais de justice de Montréal afin de justifier diverses démarches d’enquête. Ils ont été scellés jusqu’à mardi. Mais un magistrat vient de les rendre publics en prévision du procès d’un ancien inspecteur de la GRC, William Majcher, accusé en juillet 2023 de complot et d’avoir accompli des « actes préparatoires » pour le compte de la Chine.

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PHOTO PRISE À PARTIR D’UNE VIDÉO DE LA SOCIÉTÉ DE MARKETING TEH GROUP

William Majcher

Les allégations contenues dans les documents n’ont pas été testées devant les tribunaux. William Majcher clame son innocence et a déjà déclaré à CTV qu’il n’avait jamais trahi le Canada. Il risque la prison s’il est reconnu coupable.

L’ancien cadre de la GRC est parti fonder sa propre société d’enquête privée à Hong Kong après sa retraite. Son principal client était le gouvernement chinois. Il a aidé à retrouver des fugitifs et à détourner des sommes d’argent partout dans le monde, notamment au Canada, où il revenait souvent. Il a également fourni des informations et des conseils sur des questions brûlantes, telles que l’arrestation de Meng Wanzhou, cadre de Huawei, au Canada.

Des caches d’armes canadiennes à Hong Kong ?

Selon des documents déposés au palais de justice de Montréal, les enquêteurs de la GRC basés à Montréal ont obtenu des notes personnelles de M. Majcher, qui avaient été confiées à un vice-président du syndicat des policiers fédéraux.

Dans ceux-ci, il affirme avoir travaillé secrètement pour le Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS) alors qu’il dirigeait sa société d’enquête privée à Hong Kong.

M. Majcher dit s’être engagé à ne pas franchir certaines limites, à ne pas fournir d’informations trop sensibles à ses clients chinois et à tenir les services de renseignement canadiens informés de ce que la Chine lui demandait de faire. .

Il prétend même que le SCRS lui a demandé de l’aider à établir des caches d’armes en territoire chinois et à faire traverser la frontière aux pistolets de certaines personnes qui y travaillaient pour le Canada. Il affirme que le SCRS travaillait conjointement à Hong Kong avec le MI6, les services de renseignement britanniques, pour contourner la loi qui interdisait à l’époque aux espions canadiens d’opérer à l’étranger.

« La véracité du récit de Majcher concernant toute relation antérieure avec le SCRS est actuellement inconnue », affirme le caporal Gabriel Lemaire, l’un des policiers qui ont enquêté sur M. Majcher, dans des documents datés de 2023 obtenus par La presse.

Le SCRS a refusé mardi de commenter les allégations concernant sa possible relation avec M. Majcher. L’organisation souligne que ses techniques d’enquête doivent rester secrètes. « La divulgation de ces techniques, méthodes et sources de renseignements peut mettre des vies en danger et compromettre sérieusement les enquêtes sur la sécurité nationale », a déclaré John Townsend, porte-parole du SCRS.

Dans une poursuite civile intentée devant la Cour fédérale contre le gouvernement canadien, deux anciens collègues de M. Majcher, visés par la chasse aux taupes en Chine, affirment également que l’ancien inspecteur était un agent double, qui travaillait d’un côté pour le gouvernement chinois, tandis que de l’autre, alimenter les services de renseignement canadiens.

Plusieurs anciens collègues dans le viseur

Cette défense n’a pas convaincu les autorités canadiennes d’abandonner. Des documents judiciaires déposés au palais de justice de Montréal démontrent également que c’est le SCRS qui a initialement alerté la police des actions potentiellement illégales menées par M. Majcher au nom de la Chine au Canada.

Comme l’inspecteur à la retraite avait fait carrière en Colombie-Britannique, il avait de nombreux contacts et amis au sein de la GRC dans l’Ouest canadien. L’enquête sur ses liens avec la Chine a donc été confiée à des enquêteurs de Montréal, une région où plusieurs policiers avaient une expérience en contre-espionnage et en lutte contre les ingérences étrangères, sans avoir aucun lien avec la Chine. amitié avec M. Majcher.

«On sait que des agents chinois ont mené des actions non autorisées à l’intérieur du Canada», écrit le caporal Lemaire dans sa déclaration. Le policier cite des cas de menaces, de pressions, de surveillance de fugitifs sur le sol canadien, en relation avec des cas de rapatriement de suspects ou de sommes d’argent par les autorités chinoises. Au moins 25 cibles prioritaires des autorités chinoises ont trouvé refuge au Canada, selon la GRC. Exactement le type de dossiers sur lesquels William Majcher a travaillé.

L’équipe d’enquête croit que William Majcher est impliqué, grâce à son réseau de contacts et son expertise professionnelle, dans des opérations au Canada pour le compte du gouvernement chinois.

Extrait de documents judiciaires

Dans un courriel obtenu par les enquêteurs montréalais, M. Majcher a écrit à l’un de ses collaborateurs que les autorités chinoises s’apprêtaient à émettre un mandat d’arrêt contre un suspect que sa firme privée traquait au Canada.

“J’espère avoir une copie du mandat avant qu’il ne soit émis, afin que nous puissions montrer à l’escroc que nous détenons les clés de son avenir”, a-t-il écrit.

“Je rencontre demain un partenaire de Target à Hong Kong pour voir si nous pouvons aider à négocier un règlement, car les Chinois veulent utiliser cela comme un précédent pour résoudre les crimes financiers de manière discrète et rapide”, ajoute-t-il. .

« Si la cible coopère, j’espère que cela sera résolu dans les prochaines semaines. S’il se bat, il y aura une demande d’extradition et un processus plus long, mais nous pensons qu’il est motivé à coopérer, car nous pouvons lui garantir son passeport et pas de prison”, poursuit l’ancien policier canadien. .

D’autres documents obtenus par la GRC démontrent que M. Majcher aurait engagé une firme de détectives privés américains pour placer sous surveillance un fugitif chinois réfugié à New York et signaler ses déplacements au régime du Parti communiste.

D’anciens collègues éclaboussés

Les enquêteurs montréalais ont noté que même après avoir déménagé à Hong Kong, William Majcher a continué à entretenir des relations avec des policiers en service et d’autres policiers à la retraite. Il a appelé un ancien collègue en poste au Nunavut pour lui proposer des « opportunités » concernant sa retraite. Il en a convaincu un autre de lui envoyer des manuels de formation de la police fédérale sur les enquêtes complexes et le traitement des informateurs. Lors d’une autre, il a demandé des informations sur un fraudeur international.

Je soupçonne que Majcher a été envoyé pour représenter les intérêts de la Chine et utiliser son réseau d’influence au sein de la communauté policière et de sécurité canadienne pour obtenir des informations et/ou s’immiscer à un certain niveau dans le processus judiciaire.

Caporal Gabriel Lemaire, dans sa déclaration.

Plusieurs policiers en activité et à la retraite se sont ainsi retrouvés faisant l’objet d’une enquête, montrent des documents judiciaires déposés au tribunal. L’affaire a jeté les soupçons sur beaucoup d’entre eux, parfois à cause d’un simple mail évoquant une fête de départ à la retraite. A chaque fois, ils se sont vus obligés d’expliquer la nature de leurs liens. Certains ont fait examiner leur téléphone ou leurs courriels.

Plusieurs des témoins interrogés au cours de l’enquête ont dénoncé les méthodes de M. Majcher ou d’autres retraités devenus enquêteurs privés de haut niveau. D’autres les ont défendus. Les allégations partaient dans tous les sens et il devenait parfois difficile de démêler la réalité de la fiction, dans le monde opaque des entreprises privées qui se mettent au service des grandes puissances étrangères, comme le montrent des documents judiciaires.

Kim Marsh, un autre membre à la retraite de la GRC en Colombie-Britannique qui a également travaillé comme consultant pour des cabinets d’avocats cherchant à retrouver des fugitifs chinois, a été la cible d’une perquisition, sans avoir été inculpé.

Peter Merrifield, qui était jusqu’à récemment vice-président du syndicat des policiers de la GRC, a également fait l’objet d’une enquête et a même perdu son habilitation de sécurité, ce qui l’a incité à intenter une poursuite en dommages-intérêts contre le gouvernement canadien. Il n’a été inculpé de rien à ce jour.

Paul McNamara, un autre ancien collègue de M. Majcher devenu chef de la sécurité à l’ambassade américaine après sa retraite, a également perdu de la même manière son habilitation de sécurité et son nouvel emploi. Il poursuit également le gouvernement et n’est accusé de rien.

M. Majcher n’a pas souhaité commenter le sujet mardi. Son procès aura lieu ultérieurement en Colombie-Britannique.

Pour les enquêteurs fichés, son comportement justifiait amplement tous les moyens d’investigation déployés. Ils l’expriment clairement dans les documents obtenus par La presse.

« Les activités de Majcher constituent une menace à la souveraineté du Canada », peut-on lire.

Des mesures ont donc été prises pour « enquêter et neutraliser cette menace », poursuit le texte.

 
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