Adieu Ferland, le monument

Il était arrivé pile à l’heure, coiffé d’une casquette gavroche, son air à la fois détendu et plein de confiance, son sourire aussi grand que cela. Peut-être même plus grand que ça.

Entouré par la clarté du presque solstice, il rit bruyamment, de ce rire qui n’appartenait qu’à lui. Je m’en souviens, parce que je pensais, hé, c’est une belle image, ça me ramène à JAUNE et à Soleil. Deux de ses albums forts, deux de mes albums phares.

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Jean-Pierre Ferland, lors de son passage à Sherbrooke il y a quelques années. (Jessica Garneau/Archives La Tribune)

Nous avions déjà parlé. Mais toujours en combinaison. Je lui ai serré la main pour la première fois.

Il était là pour parler de son nouveau disque, mais l’interview a vite pris une tournure différente. On a parlé de mille choses autres que de ses nouvelles chansons, car il avait pour tout une anecdote, des souvenirs pluriels.

Dans la conversation comme dans la musique, il était un électron libre. Un peu de pitreries comme je l’imaginais, oui. Mais avec l’élégance de quelqu’un qui sait marcher sur le fil, tissant des histoires souvent drôles, juste assez déroutantes, pleines de couleurs.

Hé, un monument sur la corde raide. C’est ce que je me suis répété.

Comme tout le monde, je savais qu’il était charmant. Ce jour-là, j’ai aussi découvert le conteur. Le poète confiant dans la richesse de ses images, à la fois un peu fragiles peut-être. Parce qu’en recherche constante de la lumière, du sourire de l’autre.

L’amour à la pelle. / Tout est écrit là… Tout est écrit là. / Je veux que tout le monde m’aime. / Tout le monde me prend dans ses brasil a chanté après tout après rasage.

Juste avant de se dire au revoir, il a chanté Bozo. Voix chaude, ample, ronde, juste un peu usée par les années. Ce fut un moment de surprise. Plus que joli. Je ne m’en souviendrais pas autrement.

Un monument à l’inattendu. C’est ce que je me suis dit. Et je me suis demandé : combien de vies avait ce chat de la scène, ce chat du café des artistes ?

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Dans la vie comme dans le domaine artistique, Jean-Pierre Ferland était un électron libre. (Jessica Garneau/Archives La Tribune)

Parce que son répertoire est inégal. Il y a quelque chose de banal dans son catalogue, mais il y a aussi quelque chose de magistral. Rare. Des pépites de beauté. Du grand Ferland. Un péché n’écoute pas ça. Album puissant plein de chansons qui s’impriment dans le cœur car on sent qu’il a tout donné.

C’était une offrande comme un testament. C’est aussi une nouvelle étape dans la carrière d’un artiste que l’on pensait être un géant d’un autre temps.

C’était surtout le retour sur le devant de la scène d’un monument qui écrivait, franchement et humblement : Ma musique / Mon amour de la musique / est-ce que tu m’aimes toujours ?

La musique l’aimait toujours, oui. Le public aussi. L’opus connaît un franc succès. Je l’écoute en boucle pendant que j’écris ces lignes. En repensant à la dernière fois que nous nous sommes parlé, il y a quatre ans. Lui à la maison. Moi à la maison. May était triste. La pandémie, vous vous en souvenez.

Dans sa campagne, Ferland manquait du monde qui rit, qui chante, qui danse, qui palpite, qui vit, peu importe. Le monde et sa lumière lui manquaient.

Regardant vers l’horizon, dans son cocon de Lanaudière, il m’a raconté son enfance, ses débuts, la nature qui renaît. Le chant des oiseaux, ses chiens, ses chevaux. Le réconfort qu’il y a trouvé en attendant de pouvoir remonter sur scène.

Nous avons beaucoup parlé d’amour. Le fil conducteur de sa carrière. J’avais mis en valeur son talent pour formuler l’élan du cœur dans toutes ses promesses, ses chocs, ses excès, ses richesses, ses tristesses.

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Jean-Pierre Ferland chez lui, en mars 2021. (Hugo-Sébastien Aubert/Archives La Presse)

Quand je lui ai dit que mes collègues et moi avions décidé : il était le maître de la chanson d’amour, il avait ri. Ce rire qui n’appartenait qu’à lui.

Je me suis senti touché quand il a répondu que de toute façon, toutes les chansons étaient des chansons d’amour. “Parce que vous écrivez une chanson pour quelqu’un et parce que vous la chantez ensuite pour quelqu’un d’autre”, a-t-il déclaré.

Un monument aux amoureux de la chanson, c’est ce que je me suis dit.

Et tandis que les hommages se multiplient depuis l’annonce de sa fuite, que chacun réécoute sa chanson préférée, salue sa façon d’écrire, de composer et de chanter, je me dis que Ferland était un monument, tout simplement.

Un monument qui brille aujourd’hui dans le ciel d’avril, c’est encore ce que je me dis en y retournant je ne veux pas dormir ce soirl’avant-dernière chanson den’écoute pas ça. Comme une salutation avant que le rideau ne tombe, comme un sursaut avant la nuit. Peut-être le chant d’adieu d’un monument.

Je ne veux pas dormir cette nuit / Parce que la vie est trop belle / Le ciel est trop brillant / Le noir est bleu / (…) Je ne veux pas dormir cette nuit / Je ne veux pas que ça se termine / La belle journée d’aujourd’hui / Elle est allongée, la lumière là-haut / Sur le Stella Maris / Sous le soleil de minuit (…) Je ne veux pas dormir cette nuit / Au revoir.

>>>Pour Jean-Pierre Ferland, toutes les chansons étaient des chansons d'amour.>>>

Pour Jean-Pierre Ferland, toutes les chansons étaient des chansons d’amour. (Jeannot Lévesque/Archives Le Quotidien)

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