«On le touche avec nos yeux»

«On le touche avec nos yeux»
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Là où les profanes ne voient que de banals parkings souterrains, Sammy et Yohann perçoivent des royaumes remplis de trésors rutilants. Ce jeudi soir, ces deux jeunes de Cambrai (Nord), 21 et 23 ans, ont parcouru 250 km d’autoroute à bord de la Ford Fiesta « pimpée » de Sammy pour s’adonner au « car spotting », une passion commune qu’ils se sont découverts grâce à TikTok. « On filme ou prend des photos de voitures de luxe, et on les partage sur les réseaux sociaux », résume Yohann de sa voix grave, mêlée de fierté et de timidité.

Tels des champignons, les berlines raffinées et les voitures de sport rugissantes ont leurs bons côtés, connus seulement des connaisseurs. Dans le Nord, hormis une Ferrari aperçue sur une route de campagne et qu’on soupçonne « d’appartenir à un footballeur », les grosses voitures sont rares. Certes, Monaco et son « virage mythique » ou Le Touquet-Paris-Plage (Pas-de-Calais) offrent de beaux spécimens à qui veut s’y rendre mais, selon les deux amis, rien n’égale Paris.

Depuis un an, ils investissent les rues chics et les parkings des 1er et 8e arrondissements. Ils s’y rendent « deux fois par mois » dans l’espoir d’admirer des Porsche GT3 RS ou, saint des saints qui s’obstine à cacher à leur regard, une Bugatti Chiron. Une façon comme une autre de faire du tourisme ou même, pour Yohann, de découvrir la capitale, qu’il n’avait jamais visitée avant l’année dernière.

Sur un parking proche des Tuileries, musique et jeux de lumières de James Bond…

Leur Saint Graal ? Entrez dans le 4ème sous-sol du parking d’une célèbre place située à proximité du jardin des Tuileries (Ist). Une astuce simple, qui consiste à louer un vélo en libre-service pour descendre la rampe d’accès réservée aux voitures et à prendre un ticket de stationnement moto, leur permet ensuite d’entrer dans leur paradis automobile via l’accès piéton. Là, des dizaines de voitures d’exception y font la queue, protégées par des gardes et une barrière métallique. Yohann a déjà l’eau à la bouche : « Dès que la porte du garage s’ouvre, la musique de James Bond retentit et il y a un jeu de lumières. »

Ils ne sont pas les seuls à s’y rendre en pèlerinage. Trois adolescents rencontrés au niveau -5 en descendent tout juste, encore émerveillés par les Lamborghini qu’ils viennent d’apercevoir à travers les interstices de la cloison. Antoine, 16 ans, secoue les énormes mèches blondes qui cachent ses yeux étoilés : « On a pu rester là 20 minutes, c’est mon record. Habituellement, je suis expulsé en premier ! »

Les deux groupes de « car spotters » se croisent, se saluant à peine. La discrétion est de mise : un gardien fait sa ronde en voiture. Sammy et Yohann remontent au niveau – 4 dans un silence à peine rompu par le bruit caoutchouteux de leurs baskets heurtant la surface du parking. Leur première tentative fut moins réussie que celle de leurs plus jeunes enfants. Au bout de 30 secondes, la torche d’un agent de sécurité les dissuade de poursuivre leur regard et les fait immédiatement rebrousser chemin. « Ils sont à l’affût ce soir », note Sammy en se dépêchant. « Normalement, on peut rester un peu plus longtemps. »

Pas de quoi l’abattre pour autant, ils retenteront leur chance dans quelques heures. « Souvent, nous ne partons qu’à cinq heures du matin. Plus nous arrivons tard, plus nous risquons que les gardes nous laissent tranquilles. » Yohann se console de ce semi-échec en contemplant avec « bonheur » une Lamborghini Huracan Evo orange garée au niveau -1.

“Ils ne dérangent personne”

Les haut-parleurs du parking diffusent quelques notes de musique qui confèrent à la scène une atmosphère solennelle. Au petit matin, deux se dirigeront vers Cambrai. Tous deux reprendront leur travail de chauffeurs-livreurs de restauration. Pour l’heure, la nuit leur appartient et les rues menant aux Champs-Élysées regorgent de véhicules à immortaliser.

Devant le Costes, hôtel 5 étoiles situé à quelques pas du jardin des Tuileries (Ier), les voituriers ne sont pas surpris du mini-rassemblement que forment Sammy et Yohann devant les voitures de clients fortunés.

Ils voient des gens comme eux « tous les jours, surtout le dimanche ». « Ce sont des gens calmes et courtois, ils ne dérangent personne », assure Carlos entre deux courses. La conversation tourne autour des plus belles voitures qu’il a eu l’occasion de conduire. Ce soir-là, le hasard ou l’envie de faire la fête ont conduit à l’hôtel le créateur de l’Art de l’Automobile, une marque de véhicules de prestige bien connus et appréciés des jeunes nordistes.

Bien que ces véhicules soient indissociables du monde du luxe, Sammy affirme que sa fascination pour eux réside dans leur « beauté et leur rareté », et non dans l’argent qu’ils représentent. Lui et sa compagne pénètrent dans les parkings des avenues luxueuses avec le même respect que les esthètes d’un musée d’art. «On touche avec les yeux», proclament-ils à l’unisson, assurant qu’ils obéissent dès qu’on leur demande de s’éloigner.

La preuve : ils n’ont jamais soulevé les bâches qui recouvrent certaines voitures de collection stockées dans l’obscurité des parkings parisiens. Ce qui ne les empêche pas d’identifier le modèle d’un bref coup d’œil aux roues et au pare-chocs à moitié caché. Un professionnalisme qui pourrait bien leur être utile pour monétiser leurs vidéos sur TikTok, où la concurrence entre « car spotters » est de plus en plus féroce.

Non loin du George V, Sammy esquisse un autre projet. Un voiturier de restaurant explique que son métier nécessite deux choses : un permis de conduire et une bonne connaissance des automobiles. En le regardant manœuvrer une Porsche, le jeune homme se prend à rêver : « Peut-être que je postulerai. »

 
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