Viols de Mazan, le procès qui a choqué la France

Viols de Mazan, le procès qui a choqué la France
Viols de Mazan, le procès qui a choqué la France

Contre l’un des quatre murs en bois du tribunal correctionnel d’Avignon, Gisèle Pelicot est assise, impeccable dans sa chemise blanche, avec ses boucles d’oreilles et son regard qu’on devine sous sa frange, à côté de sa fille, Caroline Darian. A trois mètres d’elle siègent ses 30 violeurs présumés, ceux qui comparaissent libres. Un peu plus loin, 18 autres accusés – 48 sur 51 sont présents dans la salle – actuellement en détention sont entassés dans un box aux vitres transparentes.

A l’extrême opposé, derrière une vitre, se trouve son ex-mari, Dominique Pelicot, qui a avoué avoir fait entrer dans leur chambre des dizaines d’hommes pendant dix ans, à qui il a proposé des rapports sexuels avec sa femme, droguée et endormie, sous anxiolytiques. L’homme de 71 ans, affalé sur son siège, parle sans emphase, presque blasé, et rabaisse tous ses coaccusés.

« Droits des femmes : ne revenons pas en arrière ! » (par Élisabeth Badinter, Anne Sinclair, Mona Ozouf)

C’est avec ce même ton qu’il relate avec minutie et un « très bonne mémoire « , dit un prévenu, les faits qui lui sont reprochés, ainsi que tous ces hommes qui comparaissent chaque jour à la barre, de tous les styles, de toutes les professions (infirmier, journaliste, pompier, électricien…), âgés de 26 à 73 ans. Parfois, Gisèle Pelicot lève les yeux au ciel lorsqu’elle entend l’un d’eux dire que » il n’avait pas l’intention de la violer “, que c’était un ” viol involontaire « .

D’autres fois, elle tourne le dos au fond de la salle quand l’un des accusés lui demande, en pleurs à la barre : « pardon » A un autre moment, sa fille quitte les lieux, la mâchoire serrée, lorsque sont diffusées dans le silence magistral de la cour d’assises des vidéos de sa mère endormie et nue, ce corps inerte qu’un inconnu, Jacques C., ancien pompier, embrasse au niveau des parties génitales tandis que les ronflements de Gisèle Pelicot résonnent dans la salle.

Le tribunal a passé deux heures à discuter de la question de savoir s’il s’agissait de « Bisous ” ou cunnilingus avec pénétration de la langue. Loin d’être un débat purement voyeuriste, il s’agit en fait de déterminer si l’accusé est coupable, dans la première hypothèse, d’agression sexuelle, ou, dans la seconde, de viol.

Lors des pauses qui ponctuent ces moments difficiles, Gisèle Pelicot croise parfois ses violeurs présumés aux abords de la salle d’audience. Ces hommes se cachent derrière des masques chirurgicaux, des cagoules et des casquettes dès leur sortie de la salle d’audience. Pendant quatre mois, neuf heures par jour, ils vivent tous ensemble dans ce climat étouffant. Non seulement on les voit, on les touche, on les rencontre dans les restaurants “, décrit Antoine Camus, l’un des trois avocats de la victime, assurant que certains d’entre eux faisaient parfois un doigt d’honneur à son client.

Fascination de la presse étrangère

Gisèle Pelicot a décidé de vivre cette épreuve au grand jour. En faisant le choix – rare dans un tribunal correctionnel – de lever le huis clos, cette femme de 71 ans a voulu faire de son drame le procès de la soumission chimique. Mais c’est devenu bien plus que cela. En quelques jours, l’affaire du viol de Mazan s’est transformée en procès du patriarcat et de ce que les féministes appellent le « procès de la soumission chimique ». culture du viol « .

Ceci est le volume 2 de MeToo, assure la sénatrice PS Laurence Rossignol, spécialiste des violences sexuelles et sexistes. Cette affaire a laissé le pays entier en état de choc et les femmes en état de stress post-traumatique collectif. »

Tout le monde semble désormais se sentir concerné par ce qui était à l’origine ” l’affaire Mazan “, un joli village provençal au pied du Mont Ventoux. Les noms des violeurs présumés sont placardés sur les abribus de plusieurs villes de France, la presse étrangère débarque chaque jour au palais de justice d’Avignon, du New York Times à Der Spiegel en passant par de nombreux médias espagnols, et samedi dernier 10 000 personnes se sont rassemblées dans tout le pays pour crier leur colère et exprimer leur soutien à la victime.

Depuis le début du procès, le livre de Caroline Darian, la fille de Gisèle et Dominique Pelicot, Et j’ai arrêté de t’appeler papa (JC Lattès, 2022), a connu une hausse de ses ventes de 4 000 %. Il a été réédité à 10 000 exemplaires avec une nouvelle préface de l’auteur, et des éditeurs étrangers se sont montrés intéressés pour en acheter les droits.

Dans la presse, les tribunes de grandes voix féministes pleuvent chaque jour lorsque le hashtag #notallmen, apparu à l’époque de MeToo, refait surface sur les réseaux sociaux. Des hommes comme le présentateur Karim Rissouli ou le réalisateur et militant écologiste Cyril Dion s’en emparent pour dire qu’ils ont « maux d’estomac comme les hommes « Hier, plus de 200 hommes ont signé une » feuille de route contre la domination masculine », publié dans Libération, avec notamment l’écrivain Gaël Faye et le comédien Gilles Lellouche : « Puisque nous sommes tous le problème, nous pouvons tous faire partie de la solution. »

Au tribunal d’Avignon, on vient de toute la France – essentiellement des femmes – pour assister aux audiences et applaudir plusieurs fois par jour Gisèle Pelicot, qui les salue d’un signe de tête derrière ses lunettes de soleil. Elle se sent portée par cet élan de solidarité qu’elle n’imaginait pas et cela lui donne le courage d’aller jusqu’au bout. “, explique son avocat Antoine Camus.

Les étudiants parisiens font des allers-retours dans la journée et plusieurs associations féministes ne ratent pas une minute du procès. Certaines sont aussi là parce qu’elles connaissent l’un des accusés et veulent lui montrer par leur présence qu’elles savent » ce qu’il a fait « Chaque jour, ils sont de plus en plus nombreux. Les avocats de la défense décrivent « la pression quotidienne sur leurs clients et la haine à laquelle ils doivent faire face “, l’un d’eux ayant vu une photo de lui avec ses enfants publiée sur les réseaux sociaux tandis que d’autres se font huer et cracher dessus dans la rue. Béatrice Zavarro, l’avocate de Dominique Pelicot, confie qu’elle est “ étourdi ” et admet ” ayant complètement sous-estimé la couverture médiatique internationale ” de cette affaire, tout en trouvant ” Il est légitime que ce procès soit devenu un flambeau « .

Monsieur Tout-le-Monde

Si ce procès a cristallisé les passions, c’est parce que cette affaire hors du commun révèle tout ce qu’il y a de plus ordinaire dans les mécanismes des violences sexuelles et sexistes : les violeurs ne sont pas des monstres mais des gens ordinaires, des hommes que les victimes connaissent (dans 91% des cas) et parfois aiment. Si l’intelligence artificielle avait voulu faire un exemple constitutif de la culture du viol, ce cas aurait pu être créé. “, résume Anna Toumazoff, journaliste féministe et influenceuse aux 66 000 abonnés Instagram.

Le caractère massif de l’affaire – 51 accusés ainsi qu’une trentaine d’hommes qui n’ont pas pu être identifiés dans les vidéos – démontre également le caractère potentiellement structurel des violences sexuelles et sexistes. Du féminicide à l’inceste, les scandales des dernières années démontrent que les cas de violences sexuelles impliquent généralement des dynamiques de pouvoir qui transforment des faits isolés en pratiques systémiques. “, écrit Caroline Darian dans son livre. Dans ce cas précis, le site Coco.gg, fermé depuis – a permis aux hommes de s’organiser pour prendre possession du corps de la femme, d’où les accusations de “ viol collectif « . » Internet permet à chacun d’agir, souligne Laurence Rossignol. Dominique Pelicot n’aurait pas retrouvé 80 violeurs à la boulangerie. « L’accès sans restriction à des sites pornographiques, dont beaucoup des accusés sont des consommateurs actifs, contribue également à alimenter les fantasmes de viol. Combien de vidéos peut-on trouver sur le Web en tapant dans un moteur de recherche ? » porno inconscient ” Ou ” porno endormi « , montrant des femmes qui, comme Gisèle Pelicot, semblent totalement inconscientes ?

20000 fichiers numériques

À travers ce procès, les féministes vivent un moment unique et précieux, comme si l’affaire démontrait toutes leurs thèses. Plusieurs de ces figures – l’écrivaine Lola Lafon, l’avocate Camille Kouchner, la philosophe Camille Froidevaux-Metterie, les journalistes Anna Toumazoff et Giulia Foïs, l’actrice Charlotte Arnould qui a porté plainte contre Gérard Depardieu – étaient réunies samedi dernier à Paris devant une foule scandant « Je ne veux pas être une femme ». nous sommes tous Gisèle ! « . » Il est très rare de voir des manifestations partir d’un procès, asks journalist Hélène Devynck, qui a témoigné contre Patrick Poivre d’Arvor pour viol, agression et harcèlement sexuel. Elle exprime de l’émotion mais aussi quelque chose du ras-le-bol de la violence masculine, structurelle, endémique et sous-exprimée. C’est une violence qui ne peut s’exprimer que dans le secret, et ce procès la lève. Gisèle nous dit que cette histoire nous concerne. »

Ce jour-là, on pouvait aussi entendre « Gisèle, on te croit « Mais contrairement à de nombreux cas de viol, il n’y a pas de parole contre parole dans celui-ci, puisque la victime affirme ne se souvenir de rien. Il y a pourtant 20 000 fichiers numériques contre les paroles de l’accusé. Et ce, pour » faire évoluer la société “, a précisé son avocat, Gisèle Pelicot souhaitait que la presse ait accès à ces images, mais le tribunal a décidé vendredi que ces éléments ne seraient diffusés qu’à huis clos.

Ce qui est plus improbable, c’est que les accusés eux-mêmes admettent que cette histoire affecte la société dans son ensemble. Ce procès, on le sait, on le voit à l’extérieur, est tellement médiatique qu’il va faire réfléchir beaucoup de gens ; je l’espère en tout cas. « , a déclaré Lionel R., 44 ans, à la barre jeudi. » Ce qui est important dans le fond de cette affaire, c’est la notion de patriarcat, professait encore Jacques C., l’ancien pompier de 72 ans, sous le regard impassible des autres accusés, dont 35 nient les faits. Le côté “c’est ma femme, ma femme”, cette espèce de notion de propriété, j’espère qu’elle disparaîtra avec les générations futures. »

Le procès Pelicot est très certainement de ceux qui peuvent changer l’Histoire. N’est-ce pas à la suite du procès emblématique d’Aix-en-Provence en 1978, où Gisèle Halimi défendait deux femmes victimes de viols, que le viol a été requalifié et criminalisé ? C’est aussi le procès de « l’homme qui a commis un viol ». le paquet ” en 2019 qui a modifié la loi espagnole, permettant que tout rapport sexuel sans consentement explicite soit considéré comme un viol. En France, où 94 % des plaintes pour viol sont classées sans suite, la femme est par défaut considérée comme consentante puisque la qualification de viol, définie par la violence, la contrainte, la menace ou la surprise, n’inclut pas la notion de consentement.

« La définition actuelle du viol ne prend pas en compte les cas de choc et de traumatisme, qui laissent la victime dans un état de non-réaction et donc incapable de prouver cette menace, violence, contrainte ou surprise. “, plaide Véronique Riotton. La députée macroniste a dirigé une mission d’information parlementaire dont le rapport, qui devait être publié le 25 juin, plaidait pour introduire la notion de consentement dans la définition du viol, comme Emmanuel Macron s’y était engagé en mars 2023. Mais c’était avant que la dissolution ne balaie tout. La sénatrice PS Laurence Rossignol vient de déposer une proposition de loi visant à créer de nouvelles circonstances aggravantes pour le viol – le viol en série et le viol sous sédation.

Depuis le début du procès, le 2 septembre dernier, la classe politique dans son ensemble est restée plutôt silencieuse. Contrairement à de nombreux dossiers, elle n’a fait l’objet d’aucune division politique, d’aucune instrumentalisation ni même d’une simple appropriation du sujet. Comme si cette histoire avait un impact plus important sur la société que ses représentants, comme s’il s’agissait d’un simple fait divers et non d’un véritable fait social.

 
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