sortir du franc CFA, le pari risqué de Diomaye Faye ? – .

sortir du franc CFA, le pari risqué de Diomaye Faye ? – .
Descriptive text here

« Toutes les élites sont convaincues qu’il y a un problème avec cette monnaie et qu’il faut prendre nos responsabilités pour aller vers autre chose », a déclaré mi-mars le nouveau Premier ministre sénégalais, Ousmane Sonko.

L’abandon du franc CFA fait partie des promesses de campagne du président Bassirou Diomaye Faye. Les juntes militaires au pouvoir au Niger, au Mali et au Burkina Faso veulent elles aussi tourner la page.

“Il n’est plus question que nos Etats soient la vache à lait de la ”, a déclaré le chef du régime militaire du Niger, Abdourahamane Tiani.

« À partir de la fin du XIXe siècle, lorsque le colonialisme français s’est progressivement installé en Afrique, il s’est imposé avec un certain nombre d’outils », rappelle Martial Ze Belinga, économiste et sociologue, auteur de Sortir l’Afrique de la servitude monétaire – À qui profite le franc CFA ?

« Et notamment ses signes monétaires et sa monnaie puisqu’elle permet d’échanger progressivement avec les colonies, mais plus précisément de restructurer les économies des colonies pour qu’elles deviennent, de fait, des économies coloniales. Il n’existe quasiment pas de dispositifs institutionnels monétaires comme le franc CFA, hormis le cas français avec les pays africains. »

Quatorze pays l’utilisent aujourd’hui. Huit pays de l’Union monétaire ouest-africaine et six pays de l’Union monétaire de l’Afrique centrale.

« En pratique, les acteurs ont encore plutôt confiance dans cette monnaie », analyse Emilie Laffiteau, économiste, spécialiste de l’Afrique subsaharienne, chercheuse associée à l’Iris. Qu’il s’agisse des ménages, des entreprises ou des marchés financiers, on constate que cette monnaie est une monnaie qui reste utilisée à la fois comme intermédiaire d’échanges et comme réserve de valeur. »

Mais de Dakar à Bamako, cette devise est aujourd’hui contestée par l’opinion publique.

Martial Ze Belinga : « La critique du franc CFA est aussi vieille que le franc CFA. La chose la plus naturelle pour un pays indépendant et pour un groupe de pays indépendants est qu’ils disposent de tous les éléments de leur souveraineté, y compris la monnaie. »

Emilie Laffiteau : « Le franc CFA reste encore un héritage très fort de la domination coloniale française en Afrique. Ce qu’il est également intéressant de constater, c’est que la tutelle de la France en Afrique de l’Ouest n’a jamais été aussi réduite, et pourtant, le ressentiment en Afrique de l’Ouest n’a jamais été aussi fort. »

Martial Ze Belinga : « Le franc CFA et les bases militaires sont considérés à peu près au même niveau. Et plus il y a une contestation, par exemple, de la présence des forces françaises, que ce soit au Mali, etc., plus il y a, en permanence, la contestation du franc CFA. »

D’autres critiques concernent son taux de change, adossé à l’euro et censé garantir la stabilité économique et monétaire.

Emilie Laffiteau : « La Banque Centrale, la BCEAO, suit la politique monétaire de la BCE. Or, la politique monétaire de la BCE est liée à la situation européenne. D’où les critiques à l’encontre de ce rattachement à l’euro.

Les défenseurs du franc CFA estiment, de manière générale, que ce niveau reflète le niveau de compétitivité-prix de la région. Tandis que les critiques du franc CFA affirment que ce niveau est surévalué. »

« Nous devons nous approprier de manière autonome notre monnaie, avoir nos propres institutions, la garantir par nous-mêmes », déclarait le nouveau Premier ministre Ousmane Sonko en janvier 2023.

Deux options s’offrent à la nouvelle équipe au pouvoir au Sénégal, dont une sortie collective.

Martial Ze Belinga : « La première option est une sortie en utilisant la monnaie communautaire. Dans sa forme initiale, c’est la monnaie de la Communauté des États de l’Afrique de l’Ouest, appelée CEDEAO. Cet espace, créé en 1975, s’est fixé pour objectif d’avoir une monnaie commune.

Il s’avère que dans ces quinze pays, il y a huit pays qui utilisent le franc CFA. Comme il existe déjà un projet de monnaie commune et que le Sénégal fait à la fois partie d’une union douanière avec les pays qui utilisent le franc CFA, mais aussi d’une union douanière avec les pays de l’Afrique de l’Ouest, il semble logique de sortir du franc CFA et de s’orienter vers une union douanière collective. mouvement vers une monnaie qui serait une monnaie de la CEDEAO. »

Un premier pas a été franchi en 2019 avec la disparition annoncée du franc CFA dans les pays d’Afrique de l’Ouest.

“Je suis heureux d’annoncer qu’en accord avec les autres chefs d’Etat de l’UEMOA, nous avons décidé de réformer le franc CFA”, a annoncé le chef de l’Etat ivoirien Alassane Ouattara. « Eco, cette monnaie verra le jour en 2020 », a expliqué Emmanuel Macron.

Mais quatre ans plus tard, la mise en place de cette monnaie est au point mort, notamment à cause de la crise du Covid.

Emilie Laffiteau, économiste, spécialiste de l’Afrique subsaharienne, chercheuse associée à l’Iris : « On a vu récemment que le Nigeria et le Ghana, qui sont des poids lourds en Afrique de l’Ouest, n’ont pas manifesté d’enthousiasme très net envers ce projet.

Et puis, très récemment aussi, les trois pays de l’AES, le Burkina Faso, le Mali, le Niger et depuis peu le Sénégal qui semblent avoir des projets d’éventuelle sortie. »

« Nous avons toujours dit, dans la démarche présidentielle, que nous le ferions dans le cadre, d’abord, des groupes sous-régionaux. Et si nous n’arrivons pas à faire bouger les lignes, nous prendrons nos responsabilités», précisait le 15 mars Ousmane Sonko, le nouveau Premier ministre sénégalais.

Martial Ze Belinga, économiste et sociologue : « L’autre issue serait de dire : si on n’arrivait pas, dans le mouvement communautaire, qui serait donc une sortie collective, on prendrait, quelque part, nos responsabilités et on ferait une sortie individuelle. Le Sénégal pourrait évoluer vers sa propre monnaie. »

Emilie Laffiteau : « Pour cela, il faudrait que le Sénégal mette en place une banque centrale souveraine au niveau national, avec une politique monétaire qui vise à émettre la nouvelle monnaie et qui garantirait le système bancaire et financier au niveau national. »

Mais en abandonnant le franc CFA, le Sénégal perdrait aussi les avantages que lui confère le système actuel.

Emilie Laffiteau : « La première, c’est de limiter l’inflation. On voit qu’en ces temps troubles, avec de fortes incertitudes, notamment depuis le Covid, la guerre en Ukraine, la hausse des taux d’intérêt à l’international, il y a beaucoup d’inflation, notamment sur le continent.

Cependant, les pays de la zone franc parviennent à avoir, et ont toujours fait, une inflation relativement limitée. »

Martial Ze Belinga, économiste et sociologue : « On voit bien que cette stabilité monétaire n’a pas conféré, en 80 ans, aux pays qui utilisent cette monnaie et cet espace monétaire, un avantage comparatif particulièrement flagrant en termes de niveau de développement, de croissance. et même l’emploi. »

Emilie Laffiteau : « La deuxième chose c’est qu’on voit qu’il y a encore de la confiance dans le franc CFA alors que sur le continent, de nombreuses monnaies sont en train de se défaire, on l’a vu avec le Zimbabwe ces derniers jours.

Et puis, dernière chose, c’est que dans le système actuel, il y a une mutualisation des réserves de change au niveau régional, qui reste un instrument assez puissant de répartition collective du risque, du risque de change.

Et donc ce risque, si l’on veut, serait éventuellement de perdre ces avantages. »

En cas de sortie individuelle du franc CFA, deux scénarios sont possibles.

Emilie Laffiteau : « Un scénario positif où le Sénégal évoluerait vers une monnaie souveraine.

Elle disposerait donc d’un instrument monétaire discrétionnaire qui pourrait amortir davantage les chocs extérieurs et elle parviendrait à maintenir la confiance des acteurs économiques dans cette nouvelle monnaie, avec un niveau de réserves de change qui assure la stabilité de la valeur de cette nouvelle monnaie par rapport à aux devises. »

Sinon, les acteurs économiques n’auraient pas confiance dans la nouvelle monnaie…

Emilie Laffiteau : « On risque d’assister à une dépréciation de la monnaie qui entraînerait de l’inflation et une hausse du coût de la dette.

Et là, on entrerait dans une spirale dévaluation-inflation qui pourrait, dis-je, qui pourrait conduire à un défaut de paiement de l’État sénégalais et donc à un risque de crise économique systémique. »

Martial Ze Belinga : « Je pense que l’on peut surtout prévoir des conséquences positives. Vous avez un ensemble économique qui a fonctionné avec des règles monétaires qui ne lui sont pas adaptées.

Il suffit de regarder les pays de la zone franc. Ce sont des pays qui n’ont pas le franc CFA mais qui ne sont pas plus mal lotis que les pays dits « francophones » qui ont le franc CFA. Cela ne veut pas dire que c’est le paradis. Ils sont confrontés aux problèmes classiques des pays en développement et des pays non industrialisés.

Il faut travailler sur une nouvelle imagination des relations entre la France et ses anciennes colonies. »

 
For Latest Updates Follow us on Google News
 

PREV Front uni contre la demande d’injonction de McGill
NEXT la Patrouille de France sera au programme de ce rendez-vous aéronautique incontournable