A Saint-Louis, les mythes survivent aux temps modernes

A Saint-Louis, les mythes survivent aux temps modernes
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Le patrimoine immatériel de Saint-Louis, ville vieille de 300 ans, est d’une richesse infinie. Des croyances populaires profondément ancrées continuent de défier le temps. Ils peuplent les esprits et les espaces malgré les changements sociaux et les nouvelles aspirations, la modernité et la réécriture de l’aventure collective.

Le récit mythologique habite le « peuple » de Ndar, Saint-Louis, ville vieille de 300 ans frappée par sa modernité et ses traditions bien ancrées. Mame Coumba Bang, génie tutélaire des eaux, y circule jour et nuit pour surveiller cette vieille ville, ses populations, le fleuve et la mer. A Sor-Daga, l’histoire du baobab-totem séculaire, « Gouye-Seddelé », continue d’attiser la curiosité tout comme le djinn « Reukeul-Mba-Meu-Reuk ». Dans la mémoire collective sont également inscrits le cheval galopant sur une jambe sur le pont Faidherbe, les deux mystérieux tonneaux… Les histoires ne manquent pas.

Certains habitants de Saint-Louis soutiennent encore avec véhémence que Mame Coumba Bang est « la fille des eaux », une sirène d’une beauté incommensurable ; une divinité du fleuve et de la mer, qui aurait le pouvoir de se transformer en simple ménagère pour aller faire ses courses au marché. Pour d’autres, ce génie tutélaire s’asseyait sur un banc au milieu de la rivière, amusant ainsi les plus jeunes esprits peu attachés à ce mythe. C’est tout le contraire de P. Diabira Gaye, âgé de 83 ans, résidant dans le Gandiolais. Ses amis d’enfance attachaient une grande importance aux sacrifices qu’il fallait consentir pour bénéficier de la protection de ce génie. « À l’époque, raconte-t-elle, avant de baptiser un enfant, on avait le réflexe de déposer une offrande dans la rivière, composée d’un bon plat de bouillie de mil accompagné de lait pasteurisé. À l’aller et au retour, nous n’avions pas le droit de faire demi-tour. Il arrivait aussi que ce génie protecteur de Saint-Louis se mettait en colère si un bateau heurtait ses petits-fils ou si l’on ne faisait pas de sacrifice avant de commencer les travaux de réhabilitation du pont Faidherbe. Elle fait allusion aux raz-de-marée récurrents qui se produisent dans la Langue de Barbarie, à la rareté des ressources halieutiques, aux nombreux cas de noyade, aux houles dangereuses, qui seraient dues à l’action de ce génie.

Un vieux photoreporter, El Hadj Adama Sylla, âgé de 88 ans et habitant Ndiolofene, est resté profondément marqué par cette légende. Trouvé dans son atelier, il raconte que ce génie s’est manifesté après avoir attendu en vain ses offrandes. L’un de ses petits-fils, feu Seydou Diallo, menuisier qui vivait à Gokhou-Mbathie, confie-t-il, avait le pouvoir de repêcher, de manière très mystique et mystérieuse, les noyés à la demande des sapeurs. -sapeurs pompiers. « Pour repêcher un corps sans vie, il était obligé de dire des prières accompagnées d’offrandes, avant de jeter son anneau magique dans la rivière pour localiser l’endroit où il devait plonger. Quelques instants plus tard, il est sorti de l’eau en demandant un pagne qui lui permettrait de couvrir le corps”, se souvient-il, marqué par les prouesses de cette âme décédée. Si l’opération échoue, ajoute un autre octogénaire rencontré à Pikine Bas-Sénégal, Alé Banda Diop, « il a demandé aux parents du noyé de sacrifier un coq rouge, avant de plonger à nouveau dans la rivière pour récupérer le corps sans vie, retenu quelque part à le fond de l’eau.

Les plats chauds de Mame Coumba Bang

Il arrivait souvent, poursuit-il, que le courageux Seydou Diallo fasse le tour de la ville, avant l’hiver, pour récolter les offrandes permettant au génie de protéger les populations contre ces noyades. « De temps en temps, il sortait de la rivière avec un bon plat de riz au poisson, un bol de bouillie de mil accompagné de caillé, pour offrir aux habitants de la vieille ville. C’était une manière de leur faire comprendre qu’il suffisait d’y goûter pour bénéficier de la protection du génie.

Dans son livre intitulé « Saint-Louis, d’hier à aujourd’hui », Abdoul Hadir Aïdara, ancien directeur du Crds, a rappelé que la dame Adja Fatma Samb, qui vivait à la pointe sud de l’île, avait raconté dans quelles circonstances elle avait vu, en 1939, Mame Coumba Bang. Cette vieille dame, indique-t-il, avait à peine 20 ans lorsqu’elle était jeune cuisinière au service d’un jeune capitaine du génie militaire dans l’armée coloniale. « Fatma Samb retournait à l’heure de la sieste lorsqu’elle aperçut une femme assise tranquillement sur un pieu au bord de la rivière. Terrifiée, elle est allée se confier à sa tante Fatou Ndiaye Amy Yalla, cuisinière et matrone du quartier, qui lui a confirmé qu’il s’agissait bien de Mame Coumba Bang”, raconte M. Aïdara. Ce dernier cite dans son livre, Diaw Singuelti Diop, une dame née en 1919, qui affirme que Mame Coumba Bang est la mère d’une famille nombreuse. Ancêtre des esprits du fleuve, elle styliserait tous les génies. Elle l’avait ainsi décrite comme une femme vêtue d’un pagne blanc rayé d’un galon noir, avec une chevelure très abondante qui lui descendait jusqu’aux hanches.

Aïdara soutient qu’un Européen a déclaré avoir rencontré ce génie vers trois heures du matin, en rentrant chez lui. Elle présenta le visage d’une vieille dame et insista pour que l’homme la ramène chez elle. Cet Européen, qui vivait à Saint-Louis depuis de nombreuses années, affirmait n’avoir jamais rencontré une femme aussi mystérieuse.

« Guy sedële », baobab-totem

Un vieux pêcheur nommé G. Dame Sène, âgé de 79 ans, originaire de Guet-Ndar et réinstallé à Toubé, entre Ndialakhar et Ndiabène-Toubé, raconte avec enthousiasme la célèbre histoire de « Guy sedële », le baobab-totem. « À l’époque, raconte-t-il, les jeunes circoncis de 18 à 20 ans étaient obligés de se présenter devant cet arbre selon un rituel destiné à conjurer le mauvais sort. Malheureusement, cet arbre géant et sacré s’est effondré en 1986, laissant toute une communauté orpheline. »

En effet, pour combler ce vide culturel, l’ONG « Guy Sedële » qui porte le nom de ce baobab totem, a eu le réflexe de raviver cette « flamme » de l’histoire de Saint-Louis. Avec un pragmatisme légendaire et en étroite collaboration avec les autorités administratives et communales, les services régionaux de l’Environnement, des Eaux et Forêts et d’autres partenaires, cette ONG a pu replanter cet arbre. Une opération de reboisement qui s’est déroulée le 11 mai 2018 dans le faubourg de Sor, en présence de nombreux fils et ressortissants de Saint-Louis et d’autres nostalgiques qui ont dû se sacrifier à cette tradition devant cet arbre dès leur plus tendre enfance. L’émotion était indescriptible. Plusieurs intervenants se sont relayés au micro pour réitérer leur engagement sans faille en faveur de la protection et de la sauvegarde de ce « patrimoine culturel ». Une belle cérémonie, riche en sons et en couleurs, animée avec brio par le célèbre chanteur de Saint-Louis, Abdou Guité Seck et des troupes folkloriques qui nous ont fait revivre les bons moments du « kassak » et autres belles chansons savamment conçues pour sublimer les jeunes circoncis. personnes.

Le vieux Sène a même eu l’occasion, dès sa petite enfance, de faire partie d’un groupe de circoncis qui poignardaient le tronc du baobab, avant d’y inscrire leurs noms. Ces derniers, pour obtenir une guérison rapide du génie qui vivait dans ce baobab, étaient obligés de coller un soulier ou un autre objet au tronc de cet arbre géant, en y enfonçant un gros clou.

« Rekël mba ma rëk », le « nain capricieux »

« Rekël mba ma rëk » est l’histoire mythologique d’un djinn apparaissant la nuit sous la forme d’un nain pour appeler les passants à lui donner un coup de poing ou à en recevoir un de sa part. Dans les deux cas, on passe inévitablement de la vie à la mort. Selon les témoignages, les agissements de ce nain « capricieux » étaient imprévisibles. « Ce génie pouvait nous surprendre à toute heure de la nuit et en tout lieu de la ville. C’est pour cela que les noctambules ont réussi à se déplacer en groupe pour l’empêcher de sortir de son trou », raconte Mame Astou Massa Diop, septuagénaire, qui habite à Darou-Sor, Keur Ibra Falang.

Malamine Ndiaye Sarr, 75 ans, enseignante à la retraite, habitant à Ndiawsir, dans la commune de Gandon et originaire de Diawlingue, dans la banlieue de Sor, se souvient aussi de l’histoire du cheval qui galopait sur une jambe sur le pont, pour chasser les passants. -par un fou. Il en est de même des deux fameux tonneaux qui se déplaçaient du bout d’une rue pour prendre en sandwich les épicuriens de la nuit. « Dans notre jeunesse, on nous demandait aussi d’éviter de voyager à Roxu-jinné, à Diawlingue. »

Selon le vieux Sarr, la ville est marquée par d’autres légendes vivantes qui occupent une place très importante dans son histoire. Ils continuent de faire de Saint-Louis une belle terre où cohabitent mythes et réalités.

Mbagkick Diagne Kharachi

 
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