« Un État qui ne protège pas les enfants ne peut pas protéger les lanceurs d’alerte »

« Un État qui ne protège pas les enfants ne peut pas protéger les lanceurs d’alerte »
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En quête d’un Sénégal meilleur et bénéficiant à tous, le président Bassirou Diomaye Faye annonce une loi pour protéger les lanceurs d’alerte. Fadel Barro, ancien coordinateur régional de la Plateforme pour la protection des lanceurs d’alerte en Afrique (Pplaaf) et du mouvement Y’en a marre, met en garde, dans cet entretien au Quotidien, contre les dangers d’une politisation de ce sujet et exhorte les autorités à agir. avec discernement. A travers ses expériences et observations, le militant révèle les véritables défis et propose des solutions concrètes pour protéger ceux qui osent défendre l’intérêt général, tout en soulignant les obstacles qui persistent sur le chemin de la transparence et de la justice. . Fadel Barro estime que le président Faye a beaucoup de questions à clarifier avant de s’occuper de la protection des lanceurs d’alerte.

Lors de son tout premier discours à la Nation, le 3 avril 2024, le président Bassirou Diomaye Faye, qui a ainsi exposé les orientations de son mandat, a promis, entre autres, de protéger les lanceurs d’alerte au Sénégal. Quelle est votre réaction ?
C’est une bonne chose de s’intéresser à la corruption, mais aussi à ceux qui dénoncent ou veulent arrêter le vol. C’est aussi une bonne chose de vouloir préserver l’intérêt général. Et dans cette optique, on ne peut que se réjouir de la déclaration du Président Bassirou Diomaye Faye. Cela montre aussi son envie de bien faire. Maintenant, c’est dangereux de lancer des choses comme ça. Ce n’est pas ainsi qu’on protège le lanceur d’alerte. La protection des lanceurs d’alerte n’est pas un sujet politique. Et nous ne devons pas politiser cela. Il ne faut pas qu’il s’agisse d’une simple déclaration publique qui risque d’étouffer ou d’obscurcir la véritable réalité. Si le Sénégal veut vraiment protéger les lanceurs d’alerte, il n’est pas nécessaire de commencer par une déclaration. Nous devons protéger les lanceurs d’alerte, mais il y a tellement de choses à faire en premier. Si le Président veut lutter contre le vol et la corruption, il y a d’abord les dossiers de l’Office national de lutte contre la fraude et la corruption (Ofnac) et on ne sait pas d’abord ce que contiennent ces dossiers-là. Il y a les dossiers de la Cour des Comptes avec les 1000 milliards du Covid-19. Nous ne savons pas non plus à quoi cet argent a été dépensé.

Le président Diomaye Faye a tant de questions à clarifier avant de s’occuper de la protection des lanceurs d’alerte. A quoi sert de protéger les lanceurs d’alerte si le signalement, l’alerte elle-même, n’est pas traitée par la Justice. Aujourd’hui, avec sa déclaration, tout le monde le dit, il y a des vols ici et là. Tout le monde se prend pour un lanceur d’alerte. Au final, nous risquons de noyer les véritables alertes. Nous allons étouffer le vrai débat. C’est pourquoi j’appelle les pouvoirs publics à se ressaisir et à cesser de faire des déclarations spectaculaires. Parce que si on procède par spectacle, eh bien, on ne va pas protéger les lanceurs d’alerte, au contraire, on va les dénoncer. Car les vrais lanceurs d’alerte se cacheront au détriment des faux lanceurs d’alerte, qui occuperont la toile parce qu’ils font de la politique.

En tant que coordinatrice de la Plateforme pour la protection des lanceurs d’alerte en Afrique (Pplaaf) de 2020 à 2022, que propose cette plateforme pour renforcer la législation et la protection des lanceurs d’alerte au Sénégal ?
Je pense que la Plateforme pour la protection des lanceurs d’alerte en Afrique (Pplaaf) est bien qualifiée pour en parler. Avec le travail que j’y ai fait, parce que j’ai coordonné la plateforme au niveau de l’Afrique francophone, nous avons formé des journalistes, des avocats et des barreaux au Sénégal et en Afrique. Et nous avons aussi beaucoup travaillé avec les institutions censées lutter contre la corruption. Notre objectif était donc de sensibiliser et former ces acteurs afin de mieux comprendre et protéger les lanceurs d’alerte. Le journaliste est le partenaire principal du lanceur d’alerte car un lanceur d’alerte, une fois qu’il fait sa révélation, les journalistes d’investigation doivent être formés pour vérifier s’il ne s’agit pas d’une simple dénonciation ou bien s’il n’y a pas un intérêt particulier derrière cela. La formation des journalistes d’investigation est importante car ils donnent un aperçu avant même que l’affaire n’aboutisse au tribunal.

Justement, qu’est-ce qu’un lanceur d’alerte ?
Un lanceur d’alerte est un citoyen qui, dans le cadre de son travail, constate une atteinte à l’intérêt général et décide d’y mettre un terme. Or, qu’est-ce qui nuit à l’intérêt général ? Il ne s’agit pas seulement de scandales financiers. C’est aussi l’environnement. Par exemple récemment, lorsque Pplaaf a révélé, avec des journalistes d’investigation sénégalais, l’extermination des forêts sénégalaises au sud de la Casamance, il y avait des lanceurs d’alerte que nous avons protégés et ces révélations ont été transmises aux journalistes. Nous ne connaissons pas le contenu du lait ou de l’eau que nous buvons. Et par exemple, des lanceurs d’alerte pourraient nous dire : le lait en poudre vendu au Sénégal est-il du bon lait ou pas ? Ainsi, la dénonciation n’est pas seulement une question politique et financière. Ce sont aussi des questions d’environnement, de santé, etc. Et un État qui ne protège pas les enfants ne peut pas protéger les lanceurs d’alerte. Vous voyez la condition des enfants dans la rue ! Ainsi, le président Bassirou Diomaye Faye peut, par exemple, s’occuper de la protection de l’enfance au lieu de faire des annonces sur la protection des lanceurs d’alerte. C’est bien de lutter contre la corruption, mais il y a d’abord plusieurs autres projets.

Qui peut être lanceur d’alerte ?
Toute personne qui observe avec évidence sans vouloir nuire à personne… Toute personne qui pense pouvoir l’arrêter parce qu’elle a constaté une nuisance à l’intérêt général ; il peut s’agir d’un scandale financier, d’un vol, d’un détournement de fonds publics, d’un problème de santé, par exemple d’un hôpital où sont vendus des produits périmés. Il peut s’agir aussi de produits alimentaires et on voit que cela peut mettre en danger les populations, et on décide de le révéler. Mais quand nous décidons de le révéler, nous ne faisons pas seulement une dénonciation. Il ne s’agit pas seulement d’une dénonciation. Nous décidons d’en parler publiquement pour cesser de nuire à l’intérêt général. Mais quand on en parle en public, il faut que ce soit des choses clairement prouvées et documentées. Lancer d’alerte n’est pas une vocation. Ce n’est pas un travail. Le lanceur d’alerte est quelqu’un qui est engagé pour préserver l’intérêt général. Et il le fait sans rien attendre en retour. Il n’a aucun intérêt personnel à cela.

Quels conseils donneriez-vous à ceux qui envisagent de devenir lanceurs d’alerte au Sénégal ?
J’encourage tout le monde à devenir lanceur d’alerte à condition qu’il travaille quelque part et qu’il ait la preuve de ses allégations et qu’il puisse se soumettre à la contradiction pour expliquer ce qu’il dit ou ce qu’il dénonce. Attention, un lanceur d’alerte doit au préalable contacter sa hiérarchie pour faire cesser la nuisance à l’intérêt général.

Par exemple, vous travaillez dans une structure, il y a un vol et vous avez contacté toute la hiérarchie pour l’informer de ce fait. Et puis, elle ne fait rien, vous décidez de le révéler en public. Et au Sénégal, nous avons déjà des institutions comme l’Ofnac. Donc, l’urgence est de voir ce qu’il en est des dossiers qui arrivent à l’Ofnac. Et le président Bassirou Diomaye Faye ne devrait pas faire comme Macky Sall. Il lui suffit de mettre les coudes à l’écart des dossiers, avant de protéger les lanceurs d’alerte. Il lui suffit de lâcher les mains, le coude sur des dossiers comme les enquêtes de l’Ofnac, l’Inspection générale de l’État (Ige), l’Inspection générale des finances (Igf), la Cour des comptes… Il ne faut pas tromper les populations en les appelant lanceurs d’alerte. Tout le monde se jette pendant que les voleurs passent tranquillement de l’autre côté.

Le Quotidien

Propos recueillis par Ousmane SOW

 
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