Si rien ne change, ils devront rentrer fin mars dans leur France natale, avec leurs trois enfants. En plein milieu de l’année scolaire. Bien qu’ils soient enracinés ici depuis plus de trois ans, ils ont un travail qu’ils aiment et leur souhait le plus cher est de rester au Québec.
« Cela nous dévaste, c’est terriblement injuste. Pour nous, mais aussi pour nos enfants. On a tout bien fait, on est intégrés, on parle français, on contribue à la société québécoise, et maintenant on nous jette comme des poubelles à cause d’imbroglios administratifs», résume Delphine Pitois.
La mère a du mal à expliquer pourquoi la « machine à immigration » est si inutile ou comment une famille entière peut ainsi « être condamnée à une amende ».
« On a l’impression que le destin s’en prend à nous. Suite à un concours de circonstances, toute notre vie est mise entre parenthèses. C’est intenable », explique Delphine.
Elle tient bon « parce qu’il faut continuer à avancer », dit-elle, mais elle a les larmes aux yeux et un tremblement dans la voix lorsqu’elle évoque les conséquences pour les enfants.
« Ils sont bons, nos enfants. Ils ont leur vie, leurs amis. Ils ne veulent pas partir. Ma fille de 16 ans, à quoi se retrouve-t-elle confrontée ? Elle termine ses études secondaires et tout devant elle est flou. Son bal de fin d’année, son voyage de fin d’année, son permis de conduire : tout est incertain.
Et puis il y a la date limite d’inscription au cégep qui approche à grands pas.
« Sans statut au-delà du 25 mars, elle ne peut pas faire de demande d’admission. Tu réalises? Ce sont des conséquences directes sur son avenir. Et le parcours scolaire de nos deux autres enfants en souffrira également si nous devons revenir en milieu d’année.»
Pourtant, la vie au Québec s’annonçait belle. La décision de venir s’installer ici a été mûrement réfléchie. Deux ans avant le grand déménagement, Nicolas avait commencé à traverser régulièrement l’Atlantique pour prendre le pouls du pays.
Il savait qu’il pourrait travailler pour son employeur ici, dans le domaine des technologies de l’information. Delphine a travaillé dans le secteur de la santé. Il y avait des possibilités de ce côté aussi.
À son arrivée à Sherbrooke, l’infirmière professionnelle a effectué son stage de reconnaissance des acquis, d’une durée de 75 jours au service de chirurgie du CHUS, afin de valider sa formation et ses compétences. Elle obtient par la suite un poste de chef de service au bloc opératoire de l’Hôpital de Magog.
J’ai complété ma probation, je m’implique dans mon travail, dans un service essentiel à la population. Nicolas et moi ne sommes pas un fardeau pour le Québec, bien au contraire, nous apportons notre contribution. Nous n’avons pas besoin de l’aide du gouvernement pour nous intégrer, nous avons juste besoin d’obtenir enfin notre résidence permanente.
— Delphine Pitois
Et c’est là que réside le nœud du problème.
Un accident, une arrestation
«Nous sommes arrivés avec un permis de travail et dès le début, nous avons soumis notre demande de CSQ (certificat de sélection du Québec) pour pouvoir postuler à notre résidence permanente», explique Nicolas.
En décembre 2021, ledit certificat a été délivré. La famille avait alors deux ans pour obtenir la résidence permanente.
« Nous avons commencé le processus, mais nous avons dû lister tous nos billets d’avion des 10 dernières années. C’était assez lourd car j’avais fait plusieurs allers-retours ici pour me familiariser avec le pays », raconte Nicolas.
En mai 2022, le fils de Delphine et Nicolas a eu un grave accident de VTT. Au cours des semaines suivantes, les parents ont fait ce que vous et moi aurions fait aussi : ils ont tout mis entre parenthèses pour s’occuper de leur enfant.
« Notre garçon avait une fracture ouverte des deux poignets, un fémur cassé. Il a été opéré et est resté en fauteuil roulant pendant 10 semaines. Cela nécessitait une grande réorganisation familiale, il avait besoin d’aide pour tout. La convalescence de notre fils est devenue la priorité absolue », raconte Delphine.
Les procédures de résidence permanente ont fini par être gelées.
«Nous pensions avoir encore le temps.»
Sauf que le temps allait jouer contre eux. En juillet 2022, Nicolas est arrêté après avoir été poursuivi par une voiture sur l’autoroute dans la nuit.
« Je revenais de Montréal via Drummondville lorsqu’une voiture a commencé à m’arrêter. J’ai appelé le 911, mais je n’avais pas de réseau.
Il quitta l’autoroute et entra dans un village.
« J’étais épuisé car je travaillais dans le fuseau horaire européen, puisque mon employeur y est basé. Je suis allé frapper à une porte, mais au lieu de crier, j’ai chanté en me disant qu’il y avait plus de chances que quelqu’un me réponde.
Les occupants de la maison ont eu peur et ont appelé la police.
J’étais content de voir arriver les feux clignotants, je pensais être enfin en sécurité, j’ai eu de l’aide. Mais c’est moi qui ai été arrêté.
— Nicolas Guillou
Au commissariat, il a été conseillé à Nicolas de prendre un avocat.
«Je n’ai pas compris ce qui se passait. Je comprends que j’aurais pu effrayer les gens, bien sûr, mais j’étais moi-même victime à ce moment-là.
La police l’a relâché après un certain temps. Combien de temps, Nicolas ne le sait plus.
«J’ai en quelque sorte perdu la notion du temps cette nuit-là.»
Il est rentré chez lui pensant que tout était beau.
Jusqu’au 10 février 2023, où il reçoit une lettre l’informant qu’il est inculpé de tentative de cambriolage et qu’il sera finalement convoqué au tribunal.
« J’ai été acquitté et je savais que des accusations de flânerie et de flânerie avaient été portées, mais j’ai perdu de précieux mois, car mon audience au tribunal a eu lieu bien plus tard, en décembre 2023. »
Dès lors, la demande de résidence permanente est ralentie. Le couple a donc rapidement demandé un renouvellement de permis le 20 avril. Trois jours plus tard, il avait la confirmation du maintien de son statut, à compter du mois d’août.
Des mois d’attente
« Avec ça, on pensait que ça se passerait bien, mais les délais jusqu’au tribunal étaient vraiment longs », souligne Delphine. Nous avons attendu dix mois pour quelque chose qui aurait dû être résolu en quelques semaines. »
En novembre, voyant les choses stagner et les délais se rétrécir, le couple nantais contacte le cabinet de la députée fédérale Élisabeth Brière.
« Là, ils ont appelé l’IRCC (Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada), note Nicolas. Ils sont revenus et m’ont dit que j’avais un casier judiciaire. Quand je n’étais pas encore allé au tribunal, même si je n’en savais rien. Où est la présomption d’innocence ? C’est là que j’ai craqué. C’était trop. Moralement, psychologiquement, c’était vraiment difficile. Cela me fait encore terriblement mal de voir l’impact sur toute ma famille… »
Nicolas lève les yeux au plafond, essaie de contenir ses émotions. Delphine lui sourit, poursuit lentement : « C’est un choc. Imaginez : vous êtes vous-même victime, mais vous êtes considéré comme coupable et cela perturbe tous vos projets, et ceux de votre famille.
Le bureau du député Brière a multiplié ses actions au cours des dernières semaines.
« J’ai vu l’équipe partir. Honnêtement, elle m’a donné le goût de croire en politique », commente Nicolas.
De fil en aiguille, les permis de travail de Nicolas et Delphine ont été renouvelés jusqu’au 25 mars 2024. Mais après, plus rien, malgré diverses démarches. Ils devront quitter la province dans les trois prochains mois.
Nous ne pouvons pas laisser cela s’éterniser, nous avons une hypothèque à payer, une famille à nourrir et à partir de fin mars, nous n’aurons plus le droit de travailler ici. On ne sait plus où donner de la tête.
— Delphine Pitois et Nicolas Guillou
Les agents d’immigration leur ont indiqué qu’ils devaient déposer une nouvelle demande au CSQ pour éventuellement reprendre la résidence permanente. Ils l’ont fait le 10 janvier, ils ont payé les frais de 2 500 $ et se sont fait dire par d’autres agents que le processus était inutile, dans le contexte.
« On a l’impression qu’il y a eu diverses erreurs administratives et qu’au final on est victimes du système. En fin de compte, nous sommes expulsés et toute notre famille en paie le prix.
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