Cette année, les CFF réviseront la présentation de trois personnages historiques dans leurs trains ICN. Les brochures biographiques évoqueront les côtés obscurs d’Henry Dunant, du Corbusier et du clown Grock.
Sur le wagon de tête de ces trains, qui circulent notamment sur la ligne au pied du Jura, figure le nom d’une personnalité suisse et, dans les wagons, de petites plaques métalliques présentent en quelques lignes cette personnalité et ses réalisations.
Cette initiative remonte à plus de vingt ans, dans la foulée d’Expo.02. L’intention était de rendre hommage à 44 personnalités marquantes de l’histoire de la Suisse.
Condition pour avoir un train à son nom : avoir fait un travail de pionnier. C’est le cas de Blaise Cendrars, Jean Piaget, Denis de Rougemont, Johanna Spyri et Albert Einstein.
Un clown proche des nazis
Tout est parti d’une révélation sur Grock, de son vrai nom Adrien Wettach. L’année dernière, le musée de la Nouvelle Bienne a accueilli des archives mettant notamment en lumière le côté obscur du clown mort en 1959. Il avait entretenu des liens avec les nazis, notamment avec Adolf Hitler, avec qui il échangeait même des cartes de vœux. vœux.
« Nous savons que Grock a joué pour les nazis dans les années 1930. Il a été présenté à Hitler dans sa loge. Grock était leur clown préféré. Il a eu la “chance” de jouer en Allemagne, aussi parce qu’il était bien payé”, a expliqué Bernadette Walter, la directrice du Nouveau Musée de Bienne, dans l’exposition Forum du 11 mai 2023.
Cette idée a motivé les CFF à réécrire la brochure de Grock. Il n’est plus seulement « un clown brillant que le monde entier applaudit ». Les voyageurs apprendront aussi, en quelques mots, ses liens particuliers avec le nazisme.
>> Lisez à ce sujet : Le Musée de la Nouvelle Bienne recevra toute une collection d’objets ayant appartenu au clown Grock
“L’histoire avance”
«Nous avons pris cela comme point de départ pour mandater un examen», a déclaré lundi Frédéric Revaz, porte-parole des CFF, dans La Matinale. « L’histoire avance et nous avons de plus en plus de connaissances historiques, notamment sur la personnalité des personnes qui font partie de ces ICN. Nous avons mandaté un historien pour voir s’il était opportun de compléter la petite présentation à bord des trains. “
Le spécialiste en question, Georg Kreis, qui dirigeait la Commission fédérale contre le racisme, est donc revenu sur le parcours des 44 personnalités.
Le Corbusier et Henri Dunant
Au terme de cet examen, il sera précisé le penchant pour les régimes totalitaires du Corbusier et l’impulsion colonialiste du fondateur de la Croix-Rouge Henry Dunant, notamment en Algérie comme commis chez les banquiers genevois.
Pour ce faire, une seule phrase devrait suffire. Georg Kreis note la difficulté de l’exercice, même si la question pourrait faire l’objet d’un livre entier. “Mais c’est le signal que les choses étaient plus compliquées”, note l’historien, qui invite les intéressés à se renseigner ensuite par eux-mêmes.
Sujet délicat
La démarche est délicate et le public attentif. En 2017, la compagnie allemande Deutsche Bahn, qui voulait rendre hommage à de grandes personnalités, avait provoqué un tollé en donnant à l’un des convois le nom d’Anne Franck, une jeune fille juive victime des nazis, déportée par train.
Est-ce aussi une manière de déjouer d’éventuelles polémiques face à l’Histoire, comme on l’a vu avec le déboulonnage de statues par les mouvements antiracistes ?
Les CFF se défendent de vouloir prévenir d’éventuelles critiques et privilégient une histoire bon marché. Pas question non plus de renommer tous les trains pour éviter de devoir réécrire chacune des biographies. L’entreprise ferroviaire souhaite simplement accompagner l’évolution des connaissances.
De nouvelles préoccupations
Cependant, selon Georg Kreis, les aspects ajoutés à ces biographies ne sont pas nouveaux. Mais pendant longtemps, il a été jugé inutile de les mentionner.
« Je crois qu’aujourd’hui nous sommes plus critiques à l’égard des présentations unidimensionnelles. Nous souhaitons également avoir des propositions différenciées, avec la mention des aspects critiques », déclare l’historien.
Cet annuaire de personnalités historiques respecte dans ses grandes lignes l’équilibre linguistique du pays.
Mais en 20 ans, une autre considération a pris de l’importance : la représentation féminine. Sur 44 personnalités mises en avant dans les trains, on ne compte que… cinq femmes.
Anne Fournier/amie