Nous sommes trois mères aimantes et battantes pour nos enfants qui ont une déficience intellectuelle. Trois mères terrifiées par l’avenir, résolument en colère contre l’invisibilité chronique de nos enfants. Et forcé d’espérer une révolution.
Anouk Lanouette Turgeon, Isabelle Perrin et Anik Larose
Mères*
Notre constat est brutal : nos jeunes sont soumis à des pratiques rétrogrades qui correspondent à des négligences institutionnalisées, c’est-à-dire systémiques. Ils sont privés de leur potentiel ; leurs rêves sont ignorés ; ils sont oubliés devant l’écran éteint de leur avenir. Accepteriez-vous ce traitement pour vos enfants ?
Lou, 12 ans
Dans nos écoles, les enfants ayant une déficience intellectuelle sont regroupés par « niveaux » : déficience légère, modérée, sévère, profonde. On ne parle plus ouvertement de QI (quotient intellectuel), mais les évaluations qui permettent de décider dans quelle classe ira un enfant comportent néanmoins des tests d’intelligence.
Accepteriez-vous que votre enfant soit classé selon son quotient intellectuel ? Pourquoi cette pratique est-elle normale pour les enfants vivant avec une déficience intellectuelle ? On nous dit que c’est pour le bien de nos petits, pour l’attribution de services éducatifs adaptés à leurs besoins. Excepté.
Mon fils Lou (pseudonyme) a été expulsé de l’école qu’il fréquentait lorsque sa déficience intellectuelle est passée de « légère » à « modérée ». Il était coupé de tous ses amis et de l’environnement dans lequel il évoluait depuis quatre ans, déjà assez violent pour pleurer. Mais il y a pire.
Malgré son handicap modéré, Lou est une sorte de nerd : il a une facilité remarquable avec les mots. Cependant, dans la classe DIM (handicap moyen), nous avons arrêté de lui apprendre à lire. Les enfants en DIM suivent le programme CAPS, qui met l’accent sur les compétences sociales. Sortir de l’apprentissage académique.
J’ai crié. La nouvelle école m’a entendu (nous les en remercions) et a réintégré l’enseignement de la lecture dans le plan d’intervention individualisé de Lou – trois mois après la rentrée…
Dois-je me réjouir ? Impossible. Je pense aux autres étudiants. Désolé, les cocos : si vos parents ne savent pas crier, vous apprendrez à lire dans une autre vie. Je me rends compte aussi que mon fils termine l’école primaire demain et que j’ai oublié de faire une crise de colère pour qu’on puisse lui montrer les chiffres aussi. Condamner.
Thomas, 19 ans
Accepteriez-vous que, du jour au lendemain, votre enfant ne puisse plus fréquenter son milieu d’apprentissage à temps plein parce que les listes d’attente sont trop longues ? Imaginez que, par souci d’équité, du haut de sa pyramide, un responsable décide de saupoudrer des services afin que davantage d’utilisateurs puissent en bénéficier. Les parents sortiraient dans la rue si tous les enfants ont été touchés, n’est-ce pas ?
Cette réalité silencieuse est celle des adultes ayant une déficience intellectuelle et/ou un trouble du spectre de l’autisme à Montréal. Depuis la pandémie, les services offerts auparavant à temps plein dans les centres de jour, les centres et les ateliers sont donnés « en blocs », pour un maximum de trois jours par semaine. Grosse affaire ! Et ces jeunes adultes qui rockent les quatre autres jours ? Et ces mères et pères qui travaillent – ou doivent arrêter de travailler ?
Thomas a 19 ans, dans deux ans ce sera le grand saut… sans parachute. Son parcours scolaire sera terminé. Et son rêve d’apprendre à lire, mis de côté. Qu’est-ce qui l’attend ? Qu’est-ce qui nous attend en tant que parents qui auront atteint la soixantaine ?
---Et surtout, qu’adviendra-t-il de cet engagement de l’État : mon enfant handicapé, malgré tous les défis auxquels il devra faire face dans la vie, deviendra un citoyen à part entière dans un Québec inclusif ouvert à la différence ?
Marie, 28 ans
Accepteriez-vous qu’à 21 ans, au terme de son parcours scolaire, votre jeune plein d’énergie soit plongé dans un vide abyssal… sans projet, sans ressources ? C’est la réalité de ma fille, Marie, pour qui nous essayons de concocter un emploi du temps avec les quelques activités que nous pouvons trouver.
Tel que confirmé par la Société royale du Canada1, la pandémie a touché de manière disproportionnée des personnes comme ma fille et leurs proches. Saviez-vous ? Qui en parle ? Avons-nous un soutien en place? Certainement pas ! Malgré la perte de repères, un état dépressif, des appels à l’aide, silence radio ! On nous a même dit que notre fille devrait tenter de se suicider pour obtenir de l’aide…
À bout de souffle, face à l’état anémique des services offerts, j’ai pris la difficile décision de quitter mon emploi pour assumer mon rôle d’aidante auprès de Marie. Ce tableau n’est malheureusement pas très original : nous sommes légion dans la même situation.
Le temps passe, je vieillis. Comment ne pas anticiper ce qui arrivera à ma fille lorsque mes forces s’amenuiseront ou que je mourrai ? Où ira-t-elle vivre ? Dans une ressource intermédiaire? Cet endroit répondra-t-il à ses besoins ?
En tant que société, n’avons-nous pas décidé, il y a 50 ans, de sortir les personnes handicapées des hôpitaux psychiatriques pour les intégrer dans la société et accroître leur pleine participation sociale ?
À l’ère de l’inclusion et de la diversité totale, nos enfants sont ignorés, rendus invisibles. Gardé le silence. Systématiquement. C’est contre la Charte. C’est une violation ouverte de la dignité humaine. Et c’est une insulte à notre intelligence collective, si une telle chose existe.
Qu’est-ce qu’on fait maintenant ?
A défaut de révolutionner un système sourd et aveugle, nous sollicitons votre solidarité en tant que concitoyens, parents et alliés.
Il y a au moins 170 000 personnes vivant avec une déficience intellectuelle au Québec. Cela fait beaucoup de rêves d’inclusion sur la glace… et de parents sans voix à cause des cris.
* Anouk Lanouette Turgeon est coresponsable de Parents à la bout, conseillère en emploi, auteure; Isabelle Perrin est personne-ressource pour le comité des usagers du CRDITED de Montréal; Anik Larose a été directrice générale de la Société de la déficience intellectuelle du Québec de 2015 à 2021.