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Pierre Mertens a rendu la plume

Né le 9 octobre 1939 à Berchem-Sainte-Agathe, l’écrivain était docteur en droit, spécialiste de droit international et directeur du Centre de sociologie de la littérature de l’Université libre de Bruxelles. Il commence à publier des romans et des nouvelles en 1969. On lui doit, entre autres, Bons offices (Seuil, 1974) et Terre d’asile (Grasset, 1978) mais c’est en 1987 qu’il reçoit le prix Médicis pour Les éblouissements.

En 1989, il est élu membre de l’Académie royale de langue et littérature françaises de Belgique et nommé Chevalier de l’Ordre des et des Lettres de la République française. En 2009, il reçoit le prix Prince-Pierre-de-Monaco pour l’ensemble de son œuvre.

Né d’un père résistant et d’une mère juive, il fut un « enfant caché » pendant la Seconde Guerre mondiale et n’en parla qu’à soixante-dix ans. Jean-Pierre Orban évoque également cette page de son histoire dans Le siècle de la mémoire, une biographie magistrale et passionnante, publiée en 2018, qui retrace sa vie et son œuvre. On retrouvait Pierre Mertens à l’époque pour évoquer le pouvoir de la littérature et les ambiguïtés d’une vie dans son « mirador » au 11ème étage en haut de Boitsfort, face à la forêt, entouré d’un paysage de dunes de livres entassés. partout…. Il semblait alors, à 79 ans, partagé entre le plaisir d’une biographie aussi forte, jamais hagiographique, et la gêne face aux détails rapportés, parfois plus intimes, de la vie d’un homme et de ses proches. Un écrivain qui a toujours mêlé sa vie à ses romans et qui s’interroge sur les limites éthiques de la littérature.

Paysage sans Pierre Mertens

Sans doute a-t-il revécu l’expérience que Freud a vécue un jour dans un train, voyant arriver un homme qu’il ne connaissait pas, avant de se rendre compte qu’il s’agissait de son reflet dans un miroir.

Tout votre travail est une construction de vous-même qui implique vos proches, vos amis, vos enfants et même l’histoire du monde. Mais Orban montre qu’il aurait pu intimider certaines personnes pour qu’elles se retrouvent dans vos écrits ?

Dans l’ensemble, ils sont satisfaits et ne se sentent pas trahis.

La pensée vient par l’écriture. Est-ce l’œuvre qui parle ?

Montaigne a dit :Mon livre m’a fait plus que mon livre. Tous mes livres forment ma vraie vie. Si la vie était parfaite, je n’écrirais pas. J’ai dit un jour que j’ajoutais un codicille païen à le Nouveau Testamentune manière d’exprimer ce que j’ai en tant que croyant, car je ne pourrais pas me définir comme non-croyant. Dieu ? Je ne sais pas si j’y crois, mais j’y pense. Je suis, en réalité, en dialogue tout le temps, dans le « tu » et non dans le « je ». On écrit souvent pour dire ce qu’on pense, mais, dans le roman, cela va plus loin : on écrit pour découvrir ce qu’on ne savait pas ce qu’on pensait, on écrit ce qu’on ne sait pas qu’on va découvrir. Comme Colomb qui partit en Inde et découvrit l’Amérique, et même l’inventa. Ce n’est pas pour rien que mon premier roman s’intitulait Inde ou Amérique.

Au mur, vous avez une photo d’un magnifique autoportrait de Rembrandt.

C’est du clair-obscur. Chaque fois que Rembrandt se « reproduit », il est autre. Je crois à la vérité, mais aussi à l’opacité de la vérité.

Votre expérience d’enfance a été essentielle, souligne Orban…

Quand j’ai commencé à écrire, je voulais seulement écrire un livre qui raconterait cette enfance d’enfant caché parce que juif. On ne m’a jamais expliqué ce qui se passait, j’étais entouré de mystères. Par hasard, je suis né le jour où Hitler a décidé d’envahir la Belgique. Je pouvais croire que la guerre durerait éternellement.

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J’ai toujours voulu garder mon attitude d’enfant. Baudelaire a dit :Le génie n’est que l’enfance clairement formulée. Georges Bataille disait que Kafka pratiquait «une parfaite enfantillage » et vous connaissez mon admiration pour Kafka, dont on voit tant de photos dans mon appartement. Sartre et Camus sont des adultes, tandis que Kafka garde les questions de l’enfance. Je n’ai pas écrit de romans sur l’apprentissage, mais sur le désapprentissage. Apprendre est la dissimulation de la vérité. Dostoïevski, Proust, Kafka sont plus engagés en ce sens que Sartre ou Camus. Quoi de plus engagé que l’écriture de Flaubert Madame Bovaryposer une bombe dans la société de son époque, ce qui lui vaut un procès. Pasolini, l’intellectuel le plus engagé du XXe siècle, parce qu’il a jeté son corps dans la lutte, m’a dit un jour que la preuve de l’engagement, ce sont les épreuves. Il en avait plus de trente.

Vous en aviez deux. Celui de la Princesse Liliane pour « Une Paix Royale » et l’autre de Bart De Wever pour l’avoir qualifié de « négationniste ».

Je n’avais aucun plaisir à subir cette grande souffrance de voir un livre transporté de la chronique littéraire à la chronique juridique.

Les femmes ont été une constante dans votre existence, toujours associées aux étapes de votre vie et de votre travail, comme le montre Jean-Pierre Orban.

Un écrivain a déclaré qu’il écrivait pour les femmes. Freud en parle comme d’un «continent sombre »mais que nous souhaitons tant explorer. L’un de mes plus grands combats a toujours été contre la violence domestique à l’égard des femmes. Mon amour des femmes, ma fascination pour elle, a toujours été accompagné de ce combat. Je me suis qualifié »d’un homme lesbien ».

Un autre de vos combats actuels est l’antisémitisme. Nous avons parlé d’un changement dans votre vision de la question palestinienne.

Nous ne devons jamais éviter de nous battre. Comme Nabokov, je pense qu’il “Il en faut aussi peu qu’il faut pour faire redescendre la Brute.. La résurgence galopante de l’antisémitisme m’effraie terriblement. Non, je n’ai pas fait de tour. Dès le début, j’ai évité tout manichéisme, prônant toujours la solution à deux États, comme Amos Oz et David Grossman.

Continuez-vous à écrire ?

Je n’ai pas le choix, je n’y peux rien. C’est ma double vie : ma vie est mon épouse légitime, mais l’écriture est ma maîtresse. Jean-Pierre Orban a exhumé dans mes archives un manuscrit inachevé Le roman américain. J’y travaille à nouveau comme sur le texte d’un inconnu et il s’intitulera désormais L’expression la plus simple. Je prépare également un hommage littéraire à la vie de Véronique Pirotton, non pas sur sa mort tragique (Bernard Westphael fut soupçonné de meurtre, puis acquitté avec le bénéfice du doute), mais sur une femme vivante qui aimait la vie plus que la vie. aimé.

Avez-vous peur de la mort ?

Je n’ai jamais aimé ces philosophes répétant que la mort fait partie de la vie. Non, cela reste un non-sens absolu, une absurdité. Seule la mort volontaire aurait un sens. Mais je ne peux pas résister à la tentation de ne pas me suicider, car je peux encore vivre, aimer, écrire. À certains égards, ma vie affective et intellectuelle, qui ont toujours été de pair, n’a jamais été aussi féconde et je me sens plus jeune qu’à 20 ans, lorsque je revois le jeune homme que j’étais, comme déjà un jeune vieillard. Aujourd’hui, je fais face à plus de mystères. Le secret finit par l’emporter et c’est le rôle du romancier de poser plus de questions que d’apporter des réponses.

 
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