A l’occasion de la sortie de l’adaptation cinématographique de son roman Le Quatrième Mur, lauréat du prix Goncourt des lycéens en 2013, Sorj Chalandon nous ouvre les portes de son univers littéraire et de son expérience unique d’ancien reporter de guerre. Entre souvenirs émouvants, réflexions sur la guerre et regard lucide sur la création artistique, l’auteur partage avec émotion son rapport à l’adaptation de son œuvre. Rencontre avec un écrivain habité par le pouvoir des mots et le poids des images.
Sorj Chalendon à propos du film «Le quatrième mur» : «S’adapter, c’est proposer un autre point de vue, une autre interprétation“
Bulles culturelles : Lorsqu’on est écrivain, on peut parfois être réticent face aux adaptations de ses œuvres. Est-ce votre cas avec Le Quatrième Mur ?
Sorj Chalandon : Non, pas du tout. Pour moi, une adaptation, c’est une nouvelle vie pour l’histoire, les personnages. Certains disent que « traduire, c’est trahir » et que « s’adapter, c’est trahir ». Cela me hérisse. Pourquoi un réalisateur achèterait-il les droits d’un livre uniquement pour le vendre ? C’est absurde. S’adapter, c’est proposer un autre point de vue, une autre interprétation, et c’est le film du réalisateur. Il ne s’agit pas d’un copier-coller du livre, et ce serait terrifiant si c’était le cas. Je crois beaucoup en cette liberté.
Bulles de Culture : Est-ce la première fois que votre roman est adapté ?
Sorj Chalandon : Non, le roman a déjà été adapté plusieurs fois au théâtre, de manières très différentes. Dans une version par exemple, l’histoire est prise non pas du point de vue de Georges, le personnage principal du livre qui choisit de monter la pièce, mais de sa femme qui l’attend. Dans un autre, la fin est complètement différente. Ces variations m’enrichissent. Ils ne dénaturent en rien mon livre, ils l’ouvrent à d’autres possibilités. Avec le film de David Oelhoffen, c’est encore un autre angle. Par exemple, il a choisi de ne pas inclure toute la partie française, l’université et le côté activiste de Georges. Cela me semblait juste. En regardant le film, j’ai même pensé que j’aurais peut-être dû écrire deux livres différents en me concentrant respectivement sur les deux parties.
Je souhaite que l’équipe artistique soit totalement libre. Je ne suis ni scénariste ni réalisateur.
Bulles de Culture : Vous n’avez donc aucun problème à laisser un réalisateur s’approprier votre travail ?
Sorj Chalandon : Aucun. Je reste disponible pour répondre aux questions qui me sont posées – sur des détails, comme les armes utilisées par les milices par exemple – mais je ne m’impose pas. Je souhaite que l’équipe artistique soit totalement libre. Je ne suis ni scénariste ni réalisateur. Mon rôle est d’écrire le livre. Leur rôle est de le réinventer pour un autre support.
Bulles de Culture : En plus d’être écrivain, vous êtes un grand reporter de guerre et avez notamment couvert le conflit au Liban. Regarder le film a dû rappeler des souvenirs.
Sorj Chalandon : Le film m’a ému. Par la justesse des réglages, des sons, des silences. C’est totalement l’ambiance du Liban. J’ai vécu le franchissement de la ligne verte, comme Georges et Marwan dans le film. Un jour, lors d’une traversée sous le feu, un collègue du Figaro s’est jeté sur moi pour me protéger. Il m’a alors dit : “Ça va me faire des souvenirs.” » Ces moments de peur, d’absurdité, de solidarité, je les ai revécus à travers le film. Et il était troublant de voir à quel point ces scènes restent terriblement pertinentes.
Bulles culturelles : Vous évoquez l’actualité. Pensez-vous que Le Quatrième Mur résonne encore aujourd’hui ?
Sorj Chalandon : Absolument. Quand j’ai écrit ce livre, je pensais parler d’un passé révolu. Mais l’actualité au Moyen-Orient n’a pas changé. C’est effrayant. En 1982, j’étais à Beyrouth sous les bombes. Aujourd’hui, les jeunes qui verront le film ont ces mêmes images sur leurs réseaux sociaux. Le temps semble s’être arrêté. Et cela rend l’adaptation encore plus percutante.
« Je veux croire que c’est dans la tentative, dans l’effort collectif que réside la beauté »
Culture Bubbles : Le film met en avant l’aspect métaphorique du projet artistique au cœur du roman, cette idée qu’une pièce de théâtre pourrait réconcilier les ennemis. Croyez-vous en ce pouvoir de l’art ?
Sorj Chalandon : Oui, mais avec lucidité. Une balle de neuf millimètres se déplace plus vite qu’une œuvre d’art. Cependant, je veux croire que c’est dans la tentative, dans l’effort collectif, que réside la beauté. Même si cette pièce ne pouvait être jouée dans le contexte du roman, son existence symbolise l’espoir, une tentative contre l’inévitable. Et je crois profondément en cet espoir.
Bulles culturelles : Retournez-vous parfois à Beyrouth ?
Sorj Chalandon : Oui, mais plus en tant que journaliste. Aujourd’hui, j’y vais en tant qu’auteur. Mais rien n’a vraiment changé. Beyrouth porte encore les cicatrices du conflit et l’explosion du port a détruit des quartiers auparavant épargnés par la guerre. Ce pays vit dans une tension permanente. Ce qui me terrifie, c’est que les habitants se réarment. Non pas pour attaquer, mais pour défendre leur rue, leur maison. Comme dans les années 80. Les voisins deviennent des ennemis d’un coin de rue à l’autre.
Bulles de Culture : Votre collaboration avec David Oelhoffen semble avoir été très harmonieuse.
Sorj Chalandon : Oui, et je suis reconnaissant. Je suis à sa disposition, mais je fais en sorte de rester en retrait. Lors des avant-premières par exemple, je préfère qu’on parle du film plutôt que du livre. Je suis là comme témoin, comme support. Ce film est l’œuvre de David. Il croyait en mon roman, et je crois en son film.
Apprendre encore plus:
- Date de sortie France : 15/01/2025
- Distribution France : Le Pacte
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