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L’avenir du livre audio imaginé au XIXe siècle

Dans une nouvelle publiée en 1894 sous le titre La fin des le personnage principal, appelé le Bibliophile, est catégorique : « Je ne crois pas (et les progrès de l’électricité et de la mécanique moderne m’empêchent d’y croire) que l’invention de Gutenberg puisse faire autrement que de tomber tôt ou tard en désuétude. »

Et pour justifier cette affirmation : « L’imprimerie, qui depuis 1436 règne despotiquement sur l’esprit humain, est, à mon avis, menacée de mort par les divers appareils d’enregistrement sonore récemment inventés, et qui, peu à peu, se perfectionneront. »

Lire pour développer ses muscles, mais pas son cerveau

Publié dans le périodique américain, Magazine Scribnerle texte raconte une conversation entre plusieurs hommes de disciplines diverses. Partant d’un communiqué du Royal Institute of London annonçant que « Il est mathématiquement certain que la fin du monde se produira précisément dans dix millions d’années. », spéculent-ils sur l’avenir.

Le Bibliophile, qui prédisait la disparition des livres, incarne la vision d’Uzanne lui-même, qui croyait que les innovations sonores mettraient fin à l’imprimerie, tout comme « l’ascenseur a éliminé la montée douloureuse des escaliers « . Si le livre papier n’a pas été remplacé, bien au contraire, l’offre et le marché du livre audio se développent bel et bien.

Octave Uzanne avait même anticipé une des pratiques associées à cette nouvelle façon de découvrir une œuvre : l’écoute en mouvement. Le Bibliophile précise que « à la maison, en se promenant, en visitant des lieux, les auditeurs chanceux éprouveront le plaisir ineffable de concilier hygiène et éducation, de nourrir leur esprit tout en exerçant leurs muscles. « . On pense aussi à la démocratisation de « podcasts ».

Magazine Scribner. Domaine Public.

Il décrit également le recours à des acteurs expérimentés pour réaliser ses œuvres lues : « recherchés pour leur belle élocution, leur sympathie contagieuse, leur chaleur émouvante et la précision parfaite, la fine ponctuation de leur voix ».

Paule du Bouchet, présidente de l’Association pour la promotion du livre audio/Vox, s’est récemment lancée dans la défense du livre audio, avec ActuaLitté. Elle en est convaincue : « La lecture orale n’est pas simplement la traduction par d’autres moyens d’un texte écrit.» Et de développer : « Lorsque l’on pratique le livre oral, on se rend compte que ce qui est dit à travers la voix charnelle est quelque chose qu’on ne perçoit pas lors de la lecture silencieuse. La voix donne une autre dimension à l’œuvre, nous fait entendre son mystère. Une mesure dont parfois même l’auteur ne sait pas qu’il l’a incluse dans son œuvre. Cicéron a parlé du chant sombre de la voix . »

Elle a également confié sa propre expérience : « Les textes que j’ai écrits moi-même, en les entendant par la voix d’un autre, m’ont surpris au point de me faire penser : « Je ne savais pas que j’avais écrit ça ! Une expérience que de nombreux auteurs m’ont également rapportée. »

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Du cylindre au Kobo

Octave Uzanne imaginait aussi que « les écrivains qui ne sont pas sensibles aux harmonies vocales ou qui manquent de la souplesse de la voix nécessaire à une belle diction feront appel aux services d’acteurs ou de chanteurs professionnels pour stocker leur œuvre dans le cylindre accommodant. ». Ce « cylindre », décrit comme un « appareil portatif ” rangé “dans un simple étui à jumelles », évoque les baladeurs, iPod ou autres appareils portables contemporains…

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Pour l’endroit d’où parle l’homme de lettres, l’année 1894 se situe au cœur de la Seconde Révolution industrielle. L’électricité commence seulement à transformer les villes avec l’éclairage public et les premiers tramways électriques. Les zones rurales restent encore exclues de cette révolution. Le téléphone, inventé vingt ans plus tôt, s’est progressivement répandu. Les moteurs à combustion interne se sont améliorés, préfigurant l’essor de l’automobile. Le vélo se développe grâce aux améliorations techniques, notamment les pneus gonflables.

Côté communication, la presse écrite prospère grâce aux progrès de l’imprimerie, tandis que des technologies comme le phonographe d’Edison, inventé seulement en 1877, popularisent les premiers enregistrements sonores. En 1894, les frères Lumière préparent leurs premières projections publiques, qui auront lieu un an plus tard. Les révolutions du XXe siècle sont en marche, mais elles n’ont pas encore eu lieu.

Après avoir encore imaginé, entre autres, «kinétographes», projetant sur l’écran des scènes fictionnelles ou factuelles pour répondre au besoin croissant d’images, il conclut : «Ce ne sera pas de l’art, c’est vrai, mais au moins ce sera la vie.»

Papier contre pixel

Aujourd’hui, les livres audio sont largement considérés comme un complément à la lecture, considérée comme une pratique plus noble. Malgré l’augmentation constante du nombre d’utilisateurs, avec une accélération ces dernières années, les préjugés persistent sur le média, au point d’y voir une forme de paresse…

Paradoxalement, c’est un attachement ancien à l’oralité qui a retrouvé de la vigueur avec les outils de la modernité. Au Moyen Âge, la lecture silencieuse était mal vue par la société. Les premières inscriptions gravées sur les vases grecs étaient destinées à être lues à haute voix, s’adressant directement à une personne vivante. La lecture silencieuse est une pratique intrinsèquement liée à l’invention de l’imprimerie.

Malgré tout, l’attachement aux livres papier reste profondément ancré chez de nombreux lecteurs. Objet tangible, il offre une expérience sensorielle : le poids dans les mains, l’odeur du papier, le bruit des pages qui se tournent. Pour beaucoup, il incarne un lien intime avec la lecture, un moment d’évasion déconnecté des écrans, justement. Un symbole de durabilité et de patrimoine également, presque une expression d’affects conservateurs.

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En 2024, selon une étude Opinion Way commandée par Audible, 57 % des Français ont déjà écouté du contenu audio, et 45 % l’ont fait au cours des 12 derniers mois. L’écoute de livres audio concerne 33% des sondés, en hausse de 2 points par rapport à 2023. Les jeunes de 15 à 19 ans se démarquent, entre autres, avec 63% ayant écouté un livre audio (+6 points en un an), et 41% au cours de la dernière année.

55 % des auditeurs utilisent des contenus audio en déplacement, dont 64 % parmi les auditeurs de livres audio (+2 points), dont 25 % en voiture ou dans les transports en commun. Les smartphones et les tablettes sont privilégiés par 69 % des auditeurs de livres audio. Enfin, 64 % des personnes interrogées les considèrent comme complémentaires aux livres papier et numérique, et 42 % estiment qu’ils les incitent à lire davantage.

Selon le Syndicat national de l’édition (SNE), en 2024, le livre numérique a généré en un chiffre d’affaires de 283 millions d’euros, soit 10,1 % des revenus totaux de l’édition (2,796 milliards d’euros). ), en légère baisse de 0,77% par rapport à 2022. Le segment Professionnel/Universitaire reste dominant avec 185,9 M€ (44,52% du total, -4,61%), suivi de l’Ecole (41,03 M€, 13,83%) et de la Littérature (37,71€ millions, 6,01%, +14,51%).

L’édition grand public (jeunesse, bande dessinée, pratique…) atteint 18,37 millions d’euros, en baisse de 1,28 %. Les ventes d’ebooks passent essentiellement par les packages et portails (69,7%) ou les services de téléchargement et de streaming (28,6%), tandis que les supports physiques (CD, DVD, clé USB) ne représentent que 0,7%, et les applications, 0,9%.

Crédits image : Magazine Scribner. Domaine public

By Hocine Bouhadjera
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