Sortant du corps de la caméra tel un curieux épiant par-dessus un muret, deux yeux nous observent. Ce regard malicieuxqui invite presque malgré lui le spectateur à un jeu complice par un savant effet miroir, est l’un des plus célèbres du cinéma français. On est pourtant loin des caméras et des plateaux de tournageAudrey Tautou (née en 1976) ouvre désormais sa voie. L’actrice, qui a mis sa carrière entre parenthèses en 2017, explorer de nouvelles voiesà commencer par la photographie. Heureuse coïncidence s’il en est : la même année, elle lui présente première exposition aux Rencontres d’Arlesintitulé « Superfacial ».
Superfacialc’est aussi le titre du beau livre qu’elle vient de publier chez Fisheye, dans lequel elle décortique, en textes et en images, son rapport à la notoriété. Révélant ainsi aux yeux du public cette autre facette de sa créativitéest restée pendant plus de 20 ans dans l’ombre de l’actrice à succès. «Quand j’étais jeune, Je rêvais d’être photographe animalier et je m’imaginais comme une Dian Fossey française, dans la jungle avec mon appareil photo », se souvient Audrey Tautou, dont l’attrait pour la photographie remonte à l’enfance.
Propulsé au premier plan à 25 ans avec le succès mondial de Fabulous destiny of Amélie Poulain (réalisé par Jean-Pierre Jeunet en 2001), ce pur autodidacte – « un vrai galérien ! », plaisante-t-elle dans un éclat de rire – retrouvé alors en photographie une façon d’apprivoiser cette gloire soudaine et, sans doute, pour ne pas perdre pied : « C’est un livre qui raconte l’aventure que j’ai vécue en devenant quelqu’un de connu du jour au lendemain. À l’époque, j’avais besoin de ce soutien pour mieux faire face à ce qui m’arrivait, sans avoir pour projet de faire quelque chose un jour. »
Dans les coulisses de la célébrité
« J’ai des sortes d’obsessions, des pulsions répétitives qui me poussent, malgré moi, à me lancer dans un certain type de photographie. »
Les années passent et, avec elles, ces images accumulées prennent peu à peu une « forme cohérente ». Il faut alors une décision radicalece qui en a sans doute surpris plus d’un. “Mettre ma carrière d’acteur entre parenthèses m’a permis de me donner enfin du - et un espace mental pour donner vie à toutes les idées que j’avais en têtemais que j’avais du mal à concrétiser jusque-là », explique Audrey Toutou. Et de reconnaître : “Je n’étais pas assez mûr pour le faire plus tôt”, avant d’ironiser sur son “grand âge”.
Méditation sur la célébrité et le rapport à l’image, Superfacial brouille les frontières entre réalité et fiction. Après avoir prévenu le lecteur – « Madame, monsieur, tenez bon, je suis une star. Mais un vrai. Oui oui. […] » –, Audrey Tautou lui donne « carnets de bord »une sorte de journal intime rédigé au fil des jours de tournage et systématiquement photographié, révélant ses aspirations et ses angoisses de jeune comédienne. Une plongée dans les coulisses plus vraies que nature : « C’est de la stricte authenticité, avec les fautes d’orthographe qui vont avec ! », rit-elle. Suivi de série colorée consacrée aux lettres envoyé par ses fans à son attaché de presse (souvent très drôle) ou à un étonnant groupe de journalistes cinéma.
« J’ai des sortes d’obsessions, de pulsions répétitives qui me poussent, malgré moi, à me lancer dans un certain type de photographie », reconnaît Audrey Tautou, qui transforme ainsi la promotion de films (une performance en soi !) en un exercice photographique en de son propre chef, en effectuant le portrait de tous les journalistes qu’elle reçoit pour des interviews selon un protocole strict. Sur chaque photo, l’actrice précise consciencieusement la date et l’heure du tournage, ainsi que le film concerné : « Je voulais garder une trace du - passé avec tous ces inconnus que je ne reverrais sans doute jamais. C’est un travail de documentation ce qui montre que derrière la médiatisation se cachent tous ces gens, tous ces regards… Tout cela n’est pas anonyme. »
Voir sans être vu
« Ce qui m’importe dans tout ça, c’est de pouvoir observer les gens sans subir leur regard. »
Bien entendu, la photographie n’est rien d’autre qu’une question de regard. Incognito, Audrey Tautou commence elle aussi à photographier des inconnus de dosrencontrés partout dans le monde. Comme ça, négligemment, en catimini. « Ce qui m’importe dans tout ça, c’est de pouvoir observer les gens sans avoir à supporter leur regard et à se glisser dans leur perspective, demandez-moi ce qu’ils voient. » Voir sans être vue est un jeu qui convient particulièrement à l’actrice.
Mais la photographie est aussi pour elle un formidable levier d’émancipation : « Cela me permet d’être le capitaine de mon navire. Je ne suis pas là pour satisfaire ou réaliser le souhait d’autrui, mais pour servir mon imagination. »autoportraitAudrey Tautou façonne votre propre image dans des mises en scène qui, même si elles peuvent paraître spontanées à première vue, sont en réalité soigneusement pensées par celui qui « ne laisse rien au hasard ». On pourrait y voir une manière de se réapproprier son corps et son apparence. Pour l’actrice, il s’agit avant tout desatisfaire votre soif de créativité – et il faut dire qu’ils ne manquent pas. Elle envisage de revenir prochainement au cinéma en portant à l’écran un conte pour enfants qu’elle a écrit. Faut-il s’attendre à une nouvelle exposition photo ? Seul le - nous le dira. Chez Audrey Tautou, cela fait même pleinement partie du processus de création : « Mieux vaut tard que jamais : je pense que j’incarne bien cette maxime », avoue l’actrice-photographe.
Par Audrey Tautou
Éd. Fish-eye • 232 p. • 38 €
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