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Quels livres le Père Noël apporte-t-il aux Italiens ?

Publié le 16 décembre 2024 à 16h00

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Les ventes à cette période de l’année sont traditionnellement élevées. Quelques journalistes à l’écriture désinvolte et sans scrupules savent profiter du manque d’exigence des acheteurs italiens.

Cet article est carte blanche, rédigé par un auteur extérieur à la revue et dont le point de vue n’engage pas la rédaction.

La tradition veut que plus de livres soient vendus à Noël qu’à tout autre moment de l’année. Cette règle s’applique à tous les pays où l’alphabétisation est répandue et donc aussi à l’Italie, même si une enquête internationale de l’OCDE sur les compétences des adultes (« Enquête sur les compétences des adultes ») a montré il y a quelques jours que plus d’un tiers des adultes italiens sont analphabètes (c’est-à-dire c’est-à-dire qu’ils ont appris à lire et à écrire, mais ne savent plus comment le faire) et que près de la moitié ont des difficultés à résolution de problèmes (c’est-à-dire, résolution de problèmes). Apparemment, les deux tiers restants lisent, mais à Noël, ils semblent se concentrer sur très peu de choses.

Quels livres apportés par le Père Noël ont les ventes les plus élevées ? Depuis plusieurs années, ce sont toujours les mêmes types d’œuvres qui occupent le haut du classement. Le premier de la liste, « le Dieu de nos pères » [HarperCollins]un simple résumé de la Bible qui contient également quelques blagues faciles, n’est pas l’œuvre d’un théologien ou d’un bibliste, mais d’Aldo Cazzullo, un journaliste au pouvoir immense. Pilier et dominus du « Corriere della Sera », animateur d’une émission de télévision hebdomadaire sur le réseau du propriétaire du « Corriere », il applique depuis plusieurs années une recette constante : aux alentours de Noël, il publie un livre à la prose facile et libre sur un thème général publique.

Tout a commencé en 2020 (près de sept cents ans après la mort de Dante) avec « A riveder le stelle » [Mondadori]un résumé de la « Divine Comédie » (le titre est tiré du célèbre couplet final de l’œuvre), où il se livre à des analogies audacieuses entre la situation italienne actuelle et celle du 14ee siècle. Le livre, porté par un parcours méthodique de l’auteur qui ne néglige ni les petits villages ni les plateaux télé, a connu un grand succès. Une fois lancé, Cazzullo ne s’est pas arrêté. En 2022 (centenaire de la prise du pouvoir fasciste), il publie un livre sur Mussolini, avec un clin d’œil évident à Giorgia Meloni. En 2023, sans trop se soucier des centenaires, un sur l’Empire romain et sa grandeur, que la majorité actuelle ne perd jamais l’occasion d’exalter.

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Les sujets sont disparates et nécessitent une érudition sans précédent, mais Cazzullo a achevé l’écriture en une dizaine de mois, tout en écrivant d’innombrables articles dans le « Corriere della Sera » et en dirigeant son émission. Il rivalise donc avec Stendhal qui écrivit « La Chartreuse de Parme » en cinquante-deux jours, mais perdu contre Alexandre Dumas, qui n’a mis que deux ans pour réaliser les 1 500 pages du « Comte de Monte-Cristo ».

L’art du funambulisme

La formule de ces livres vite écrits et qui se vendent bien n’est pas originale. Son véritable inventeur était Bruno Vespa, également journaliste, cette fois de la télévision RAI dont il est le patron incontesté et intouchable. Embauché dans les années 1960, il est toujours là : depuis 1996, il anime une émission hebdomadaire à laquelle s’est récemment ajoutée une émission quotidienne. Depuis plusieurs années, il se produit dans les lieux les plus incongrus : début décembre, à la Scala de Milan, il expliquait au public « La forza del destino », l’opéra de Giuseppe Verdi qui inaugurait la saison, sans être ni un musicien ou musicologue. Son pouvoir se mesure au fait qu’il est toujours en service (et comment !) bien qu’il ait largement dépassé l’âge de la retraite et que, pour percevoir un salaire supérieur aux misérables 240 000 euros que la loi impose comme plafond dans le public, il a été classé non pas comme le journaliste qu’il est censé être, mais comme… un artiste – une catégorie dont la rémunération est gratuite.

Cependant, depuis 1997, Vespa publie un livre chaque année. Ce sont des livres d’histoire, légers et captivants, intégrant astucieusement interviews et discussions avec les puissants du moment, ce qui lui permet de promouvoir les œuvres en compagnie de célébrités. Vespa participe à tous les spectacles imaginables, publics et privés. Il parlera même de son livre sur les émissions culinaires (ou, comme le disent aujourd’hui les médias italiens, de cuisson). C’est vrai qu’il a un luxe station balnéaire dans les Pouilles, où il produit du vin et invite les puissants. On a calculé qu’il fait entre 60 et 70 apparitions promotionnelles chaque année. Le livre 2021 était une critique des présidents de la République “entre public et privé”celui de 2022 un catalogue des femmes au pouvoir. En 2023, il a rédigé un bréviaire de l’histoire de l’Italie de l’après-guerre à nos jours, et cette année il a écrit sur Hitler et Mussolini. Le clin d’œil au fascisme et, plus récemment, à Giorgia Meloni montre son fort nez de limier et son imperturbable funambule. Un sportif d’archives, comme Ernest Renan, Marc Bloch ou Pierre Nora ? Personne ne le croirait : il est toujours sur scène. Pourtant, grâce à un soutien promotionnel inégalé, ses livres sont parmi les plus vendus chaque année.

À qui la faute ?

Les deux journalistes ont développé une méthode raffinée, que l’on pourrait appeler « le trépied », car elle repose sur trois pieds : une présence ininterrompue à la télévision, dans les journaux et en librairie. Sautant acrobatiquement du coq à l’âne, avec une écriture décontractée et sans trop de scrupules, créant d’astucieuses analogies entre le passé et l’actualité, toutes ces publications seraient classées parmi les quasi-livres, faits pour durer trois mois et destinés à laisser une trace, tout au plus une triste déforestation. Mais les Italiens qui ont survécu au retour de l’analphabétisme signalé par l’OCDE achètent en toute confiance des centaines de milliers d’exemplaires, imaginant peut-être que ce qu’ils ont entre les mains sont des livres d’histoire.

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À qui revient la responsabilité de cette dangereuse ambiguïté ? Pour les vrais historiens, qui ne saurait écrire d’une manière lisible et fascinante ? Ou à la télévision, “mauvaise maîtresse” (selon la célèbre formule de Karl Popper), a fortiori en Italie, où trente ans de concurrence entre la télévision de Berlusconi (trois chaînes privées) et celle de la RAI (trois chaînes publiques) n’ont eu pour effet que d’épuiser la résistance culturelle des gens en dégrader leur goût et les laisser impuissants et inertes face à n’importe quelle salade ?

 
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