Plusieurs cégeps ont dû suspendre les achats de livres et de documents pour leurs bibliothèques au cours des derniers mois. La raison ? L’imposition par Québec de seuils d’investissement surprise, que les cégeps ne peuvent dépasser. Les enseignants et les élèves souffrent, mais aussi toute la chaîne du livre. Deuxième texte d’une série de trois.
Les librairies indépendantes font partie des nombreuses victimes collatérales des importantes restrictions budgétaires imposées par Québec l’été dernier aux cégeps. Ils ont alors dû réduire considérablement bon nombre de leurs dépenses, y compris dans leur bibliothèque.
De nombreux établissements ont donc suspendu, ces derniers mois, l’achat de livres et documentaires neufs, à l’exception de quelques-uns, jugés indispensables.
À la librairie Zone Libre du centre-ville de Montréal, l’effet sur ses ventes a été « drastique », affirme sa propriétaire, Mireille Frenette. Dès le début du mois de septembre, les commandes de certains cégeps ont diminué considérablement.
Son « plus gros client » du réseau collégial, le Cégep du Vieux Montréal, reconnu pour sa vivacité en littérature et son Centre français d’animation (CANIF), qui invite régulièrement des auteurs en cours, a pour sa part complètement arrêté d’acheter dans cette librairie depuis quelques mois.
Cette situation oblige l’entreprise à suspendre toute nouvelle embauche, puisqu’elle tire habituellement 30 % de ses revenus institutionnels des cégeps.
M.moi Frenette note cependant que ses commandes du Cégep du Vieux Montréal ont repris très récemment, mais « de façon très modeste », après que l’établissement ait augmenté, en puisant dans des allocations destinées à d’autres fins, le budget qu’il accorde à sa bibliothèque. . Cette année, il s’élève à 150 000 $, au terme de cette bataille de cartes, comparativement à 166 639 $ l’an dernier.
«C’est un peu comme un respirateur artificiel», explique Stéphane Thellen, professeur de sociologie au Cégep du Vieux Montréal. Ce dernier doute que l’établissement puisse, l’année prochaine, réinvestir dans le contenu de sa bibliothèque.
Le Cégep de Baie-Comeau a également réussi, en puisant dans ses surplus, à réduire cette année à 20 000 $ son budget de bibliothèque, qui avait initialement chuté à 7 500 $ en raison des restrictions imposées par Québec.
« Ces sommes, normalement, nous les réservons pour des projets d’envergure, comme la rénovation de notre café étudiant ou de la bibliothèque », explique la directrice générale, Manon Couturier, qui craint de ne pas pouvoir épargner encore sa bibliothèque l’année prochaine.
Toutefois, « on s’entend sur le fait qu’acheter des livres pour la bibliothèque est tout à fait au cœur de la mission d’un cégep », rappelle-t-elle.
« C’est inquiétant. Nous ne connaissons toujours pas nos plafonds d’investissement pour les années à venir», constate le directeur général du Cégep de Trois-Rivières, Éric Milette, qui a également réussi à ne pas réduire le budget de sa bibliothèque cette année. Mais pour combien de - ?
Un écosystème fragile
Les librairies sont loin d’être les seules victimes collatérales des difficultés financières auxquelles sont confrontées les bibliothèques du réseau collégial.
« Les cégeps commandent tout, donc au final, ça touche toute la chaîne du livre, des auteurs aux éditeurs, en passant par les fournisseurs, toute cette chaîne est liée, donc qu’on le veuille ou non, ça vient un peu nous bousculer », explique le libraire Anthony Ozorai, de la Librairie Poirier, à Trois-Rivières.
L’Association nationale des éditeurs de livres et des maisons d’édition est également alarmée. « Si l’on veut intéresser les jeunes à la culture québécoise, les bibliothèques collégiales doivent rester de riches lieux de découverte et d’acquisition de connaissances », souligne Geneviève Pigeon, présidente de l’association et propriétaire des Éditions L’instant très.
« Les collégiens doivent avoir accès à des connaissances renouvelées et pouvoir consulter et emprunter des ouvrages approfondis ainsi que des nouveautés littéraires », poursuit M.moi Pigeon.
Marika Chartrand-Ly, 19 ans, étudiait au Cégep Édouard-Montpetit l’an dernier. Elle débute maintenant ses études littéraires à l’Université du Québec à Montréal. « Ce qui m’inspire, c’est de voir le monde évoluer », rapporte-t-elle.
« Je comprends qu’il faut comprendre le passé, les règles, les traditions, avant de se lancer dans des travaux qui dénouent ces traditions d’écriture, mais il est bien de prendre le pouls de ce qui s’écrit et se passe actuellement. »
D’après M.moi Chartrand-Ly, non seulement les nouveautés devraient remplir les bibliothèques, mais c’est sur elles et sur les œuvres contemporaines que l’enseignement devrait se concentrer.
« Restreindre l’accès aux livres »
Plusieurs cégeps n’ont pas pu éviter cette année une baisse importante du budget d’acquisition de livres alloué à leur bibliothèque, a souligné Devoir après avoir contacté une trentaine d’établissements de la province.
“The entire book chain is affected,” notes Émilie Dupras-Langlais, specialist in information science at Cégep de Baie-Comeau. “It’s a fragile environment. [Les entreprises d’ici] les multinationales ne roulent-elles pas sur l’or ? »
« Restreindre les budgets d’acquisition, c’est nécessairement restreindre l’accès aux livres », estime le président de l’Union des écrivains québécois (UNEQ), Pierre-Yves Villeneuve.
« Et restreindre l’accès aux livres signifie restreindre le soutien aux artistes littéraires qui les créent et les rendent possibles. Les étudiants du cégep se retrouvent ainsi devant des étagères vides avec un choix limité qui ne reflète pas la richesse et la diversité des œuvres québécoises. »
Rejoint par Devoirles librairies Pantoute et La Liberté de la région de Québec ont également fait état de pertes financières s’élevant à plusieurs milliers de dollars liées à la baisse des commandes des cégeps.
L’UNEQ constate pour sa part que les coupures dans les budgets des bibliothèques des cégeps vont à l’encontre des engagements et des valeurs qui, selon le premier ministre François Legault, animent le gouvernement du Québec.
« Lui-même grand lecteur, François Legault a souvent parlé de la volonté de faire de la lecture une priorité », souligne M. Villeneuve. « Évidemment, la lecture n’est pas aussi prioritaire que le prétend la CAQ. »
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