Il y a quinze jours, le locataire de la rue de Valois a initié une double mission relative au Pass : dans un contexte budgétaire de restrictions, cet outil inspiré du Bonus Cultura de Matteo Renzi, Premier ministre italien, proposé en 2016 au Bel paese. Le candidat Macron l’a repris pour sa candidature à la présidentielle de 2017, faisant du Pass Culture l’un des piliers de sa politique culturelle…
Les temps changent, les lendemains déçoivent…
Désormais fin 2024, Rachida Dati envisage une réforme du dispositif, accompagnée de deux missions expresses : la première concerne l’ouverture des crédits Pass aux arts du spectacle, la seconde sur la contribution au secteur du livre. Deux sujets pour lesquels des données existent déjà : pourquoi cette ruée, d’autant que les conclusions sont attendues pour la mi-décembre ?
Trois organisations professionnelles se posent la même question : dans Ouest France, tribune cosignée par le Syndicat national de l’édition, le Syndicat français de la librairie et le Conseil permanent des écrivains, tout le monde est inquiet” une vraie rupture avec l’esprit du projet« . Rien n’empêche d’évoluer, mais en l’état, que veut-on réformer d’un outil qui fonctionne bien ?
Et de citer l’étude 2024 du Centre national du livre, pointant une baisse de l’activité de lecture chez les 7/19 ans : peut-on imaginer, rue de Valois, qu’un Pass Culture réduit aurait autre chose que des conséquences négatives sur ces données ?
En effet, assurent les signataires : «L’engouement initial pour les mangas a laissé aujourd’hui place à des ventes beaucoup plus diversifiées (près de 400 000 titres différents ont été achetés via le Pass). Une bonne partie de ces jeunes continuent de fréquenter ces librairies une fois le Pass utilisé. . »
Que le Pass Culture ait profité, et continue de bénéficier, à la filière du livre, c’est un fait : la dernière étude de l’Inspection générale des affaires culturelles en juillet dernier l’a démontré une fois de plus. Selon l’étude de l’IGAC, les constatations selon lesquelles les bénéficiaires du crédit complet (300€) «concernent principalement les livres (63%), les bandes dessinées et mangas (39%), les disques CD ou vinyles (24%), les instruments de musique (19%)».
Un endroit inconfortable ?
«La non-dématérialisation des livres a largement bénéficié du Pass : en créant du lien entre les utilisateurs et les points de vente, donc en privilégiant les biens culturels physiques, de fait, les musiques et les séries en pâtissent.», se réjouit un libraire. “Il aurait été excessif d’ouvrir les plateformes, d’où qu’elles viennent, et leurs offres numériques, à cette enveloppe.»
Ainsi, la révolution de l’ebook n’ayant pas eu lieu, celle du livre audio prenant son temps, le livre s’est imposé face aux usages du streaming (musical ou audiovisuel). Le Baromètre Arcom 2023 a montré que 87 % des internautes français de 15 ans et plus consommaient des contenus culturels et sportifs dématérialisés, avec en tête de liste les films, la musique et les séries.
Sans oublier que l’on publie chaque année nettement plus de livres que de films ou d’albums. Un point qui ne va cependant pas sans en subir les conséquences, notamment dans l’édition indépendante.
Les librairies voient rouge
Selon les données révélées lors des Rencontres nationales de la Librairie – et Rachida Dati était présente pour l’entendre – le Pass Culture représente entre 2,5 et 5 % du chiffre d’affaires des points de vente. Une goutte d’eau dans l’océan pour certains, mais toute augmentation des ventes est bonne à accepter dans un métier aux résultats fragiles.
Alors, une aubaine, évidemment pour les grandes librairies surtout, et les éditeurs, évidemment, un outil électoral remplaçant le pain et les jeux, évidemment… Sauf qu’après trois ans de Pass Culture, pourquoi le démonter ?
Les auditions dans le cadre de la mission Livre ont débuté la semaine dernière, et du côté de la filière du livre, on reste sans voix : «Les effets d’une révision seraient assez dramatiques», nous dit-on, «cependant les interlocuteurs nous demandent d’évaluer les impacts sur le secteur, sans expliquer ce qu’ils ont en tête« . Célèbre.
Valois, calculatrice à la main
Pourtant, les idées ne manquent pas : l’une d’entre elles consisterait à conditionner le taux plein de 300 €… aux ressources. Celui du domicile, probablement, comme ce qui est en vigueur pour le pass Sport, crédit de 50 €. “La logique de ce système est qu’il resterait des miettes pour ceux qui dépasseraient les plafonds. Mais pour les bénéficiaires en dessous des seuils, cela ne diminuerait pas trop», analyse un proche du dossier.
Reste à espérer qu’un Pass Culture revu sur ce modèle aura plus de succès que son homologue dédié aux sportifs. D’autant que son budget de 100 millions d’euros en 2023 passerait à 74,55 millions d’euros en 2025. »Depuis sa création en 2021, les enveloppes prévues n’ont jamais été consommées. Le public cible correspond à environ 6,5 millions de jeunes. Toutefois, il n’a été utilisé que par 1,38 million d’entre eux en 2023, contre 1,22 million en 2022 et 1 million en 2021. Le taux de recours national s’élève à 22,6%.» (voir l’avis présenté à l’Assemblée nationale)
L’autre hypothèse s’avère bien plus insidieuse : puisqu’il faut plaire au spectacle vivant, Valois envisagerait de réserver 50 € (toujours au plein tarif) pour cette seule activité. Pour l’instant, la part individuelle consacrée à ce segment équivaudrait à 2 euros – soit 0,6% de l’enveloppe totale, selon le rapport de l’IGAC présenté durant l’été. 0,01% concernaient le théâtre.
Un tour de passe-passe selon les règles
La recommandation était alors simple : «Favoriser l’amplification des réserves pour certaines catégories peu consommées et considérées comme prioritaires, en renforçant des actions de médiation spécifiques, co-construites avec les lieux et les opérateurs culturels. »
À LIRE – Le Pass Culture dépenserait-il sans compter ?
Pas assez d’offres, ou manque d’intérêt pour ce que les 11 138 places inscrites proposaient aux bénéficiaires ? “De leur côté, les scènes agréées et labellisées considèrent le Pass Culture comme une Source marginale de réservations.», souligne même le rapport…
Alors pourquoi vous forcer la main ? “Nous visons clairement la non-consommation de ce budget : allouer 50 € aux offres populaires d’une valeur de 2 €, cela conduit à des économies savamment cachées.» Pas si discrètement cependant.
Les trois organisations signataires du forum préviennent : «La culture a toujours été synonyme de liberté et de diversité. La lecture est la porte d’entrée, pourquoi vouloir la fermer ? Le succès du Pass Culture tient à sa liberté d’utilisation. Pourquoi vouloir le limiter ?»
Heureusement, la logique conduisant à l’établissement de quotas, une fois envisagée, a été récemment et unanimement dénoncée lors d’une audition devant la commission des affaires culturelles du Sénat. Un mot d’ordre : «Le Pass Culture, c’est la liberté de choix. Instaurer des quotas reviendrait à obliger les gens à choisir et à limiter leurs appétits.»
Dans ce cas, une question se pose : qui deviendrait l’arbitre de l’élégance ?
Crédits photos : ActuaLitté, CC BY SA 2.0
Par Nicolas Gary
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