Quatre-vingts ans après sa parution, le scénariste Jean-David Morvan a osé s’attaquer à l’adaptation en bande dessinée de ce phénomène. “J’ai vu le film quand j’étais adolescent. J’ai ensuite lu le roman. Un livre qui m’a marqué et qui m’a encore marqué et que j’ai repris quelques longues années plus tard, avant d’aller voir Madeleine Riffaud pour la première fois chez elle avant de commencer la série Madeleine, résistante (3 volumes édités chez Dupuis) chez Bertail (Madeleine Riffaud est décédée le 6 novembre, quelques jours après cet entretien, NDLR). J’avais envie de lire au moins un livre reconnu sur la résistance et par la résistance d’en tirer des bases précises.»
L’ombre de Madeleine
Pas facile de retranscrire en bande dessinée ce roman, déjà marqué par une adaptation cinématographique très puissante. “Le fait d’avoir rencontré et d’avoir passé des journées entières à écouter Madeleine m’a donné une autre perspective sur cet univers. En relisant le livre pour l’adapter, j’ai compris beaucoup de choses. Notamment, en 1943, Joseph Kessel a écrit ce livre pour rassembler la résistance. Il parle de tous les réseaux. Il tente en fait de synthétiser ce mouvement multiple et terriblement secret. Il cite les communistes dont il fait l’éloge. Il parle aussi de toutes les tendances, de toutes les obédiences des chrétiens. On sent qu’il veut fédérer tous ces mouvements. C’est un roman très bien documenté mais c’est une histoire très intérieure. Il n’y a pas d’action à part quelques attaques contre les Allemands et bien sûr la fuite prévue par Mathilde d’un résistant qui va être fusillé. Le livre s’intéresse beaucoup à la motivation des gens.
Dans l’édition actuelle, l’ouvrage se termine par un dossier historique conséquent dans lequel on découvre notamment que le roman de Joseph Kessel est une œuvre qui lui a été commandée par le général de Gaulle. « C’est quelque chose dont on sait peu de choses. Mais c’est tout à fait vrai. Kessel, qui était journaliste, lui a raconté un jour qu’il avait interviewé une série de résistants.»
Tardi revisite 1914-1918
Il fallait aussi, dans cette adaptation en bande dessinée, un artiste capable de retranscrire en dessin, ces émotions, ces attitudes, ces peurs, ces doutes et ces tout petits moments de bonheur. C’est Emmanuel Moynot qui s’y tient avec un trait aussi précis qu’expressif. Le dessinateur, loin d’être un novice, sait suivre les traces d’un scénariste tout en gardant sa liberté de création. Là aussi, il pourrait être compliqué d’imaginer un casting sans se laisser brûler par les images du film de Jean-Pierre Melville. “Comme tout le monde, j’ai vu ce film plusieurs fois. Mais avec Jean-David, nous nous sommes plongés dans le roman, selon les mots de Kessel. C’est de là que je suis parti pour créer mes personnages. Comme d’habitude, quand je pense maîtriser mes personnages, je me rends compte que ce sont eux qui finalement m’imposent beaucoup de choses. Ces personnages sont venus naturellement. Les paroles de Kessel suffisent à les comprendre.
“L’armée des ombres conserve une modernité absolue. Ce roman plonge ses racines dans la réalité de ce qu’a vécu la France sous le nazisme. Aujourd’hui, d’autres mouvements de résistance existent à travers le monde. Les forces motrices des femmes et des hommes qui s’engagent dans ces mouvements restent assez similaires. C’est la soif de liberté, le combat pour des valeurs essentielles. C’est toujours d’actualité.conclut Jean-David Morvan, qui a parfaitement réussi cette relecture de l’œuvre majeure de Kessel.
⇒ L’armée des ombres | Jean-David Morvan et Emmanuel Moynot | Phyléas, 128 pages, 22,90 $
Related News :