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Silence, ça s’ouvre (Les éléments)

Çcommencé avec Voile. Le livre passe entre les mains de la libraire qui porte un masque sur la bouche et le nez. Nous sommes en 2020. Elle retourne le livre. Elle lit la quatrième de couverture : « La nuit où les garçons dansent pour conjurer le destin et donner vie à un plus grand désir. » Elle a dit : oh oui, on pourrait vraiment utiliser ça maintenant. C’était un livre de Marie de Quatrebarbes.

Les éléments est son quatrième livre publié chez POL Marie de Quatrebarbes pratique une poésie de l’ouverture. ” Parfois il suffit d’ouvrir une fenêtre dans le film pour que la fenêtre s’ouvre sur le visage « . Une série d’ouvertures successives incarnées dans autant de fenêtres, de portes ou de regards que ses paroles nous permettent de franchir. Des passages conçus comme des renversements – de situations, de logique – qui permettraient de remodeler le monde autrement et entièrement, pour reprendre les mots de Robert Burton cités en épigraphe. La poésie de Marie de Quatrebarbes est faite de trous, de lieux à traverser (de bas en haut, de dehors vers dedans, etc.). La réalité s’en trouve élargie dans toute sa dimension sensible, la matière devenant plus que simple matière ; où l’on croit toucher des choses impalpables. Et encore une fois, le désir est le moteur.

Sans doute les éléments du titre sont-ils là, plus que ceux de la physique moderne – terre, eau, feu, air – peut-être résident-ils davantage dans l’expérience que nous en faisons que dans leur propre existence. Et voilà : une transformation s’opère. Par le sensible, d’abord ; et la connaissance, donc. Des couches et des couches de sédiments deviennent du sable, selon les mots de Marie de Quatrebarbes. Le plastique, le verre et la vaisselle se brisent dans la même matière de millions de particules qui accueille la mer. Mes yeux se sont retrouvés là par hasard, dans les tiens « . Par hasard, les choses se changent en d’autres, les rythmes et mouvements de son langage semblent aussi banals que ceux des marées. Quelque chose comme une évidence dans sa manière de construire ses phrases, ses paragraphes de deux, trois lignes, rarement plus, qui se succèdent, jusqu’à celui sans aucune ponctuation qui nous empêche de respirer jusqu’au suivant qui apaise ; ne disons pas que c’est évident, car on sait que derrière cette impression se cache beaucoup de travail pour arriver à cette cadence qui sonne juste.

Les phrases ressemblent parfois à des refrains, où les mots sont comme des cadres pour l’idée. ” Si vous poussez la porte située au fond de la cour, vous verrez qu’elle ouvre alors ce quelque part au-delà duquel le regard regarde. « . On se le répète, on se le répète… chaque phrase est une ouverture, oui. Et l’on se souvient en lisant que le regard définit autant l’action de regarder, l’expression du regard, qu’un ouverture vous permettant de voir à travers. Le judas dans une porte n’est qu’une façon déformée de voir caché derrière ; Marie de Quatrebarbes ouvre tout, et pas d’objectif, pas de verre déformant. La vision est vraie. Ce n’est pas là que s’opère la transformation propre à sa poésie (dans le regard) mais plutôt dans la matière et les éléments explorés avec les mots. ” Quand le fleuve se transforme-t-il en mer ? « . Sa poésie est de celles qui réfléchissent sur les frontières pour les brouiller, de celles qui plongent et fouillent sous terre et dans le ciel à la recherche d’une description contradictoire. Et cela, à partir des sensations et pour elles, toujours — rien d’autre. Et pourquoi ? Pour faciliter la vie, dès l’enfance, âge qui n’est pas fait d’intentions mais de ressentir etacte.

« L’expérience ne nous apprend rien sur nous-mêmes, elle nous permet à peine de naviguer avec plus de flexibilité « . Et tout de suite, je vois : un bateau qui tangue dans toute son instabilité comme un bateau qui flotte comme nous flottons dans la vie qui est faite pour nous. Et, tout de suite après, je vois autre chose : des gens qui dansent, qui dansent le voguing, de manière plus souple avec l’expérience accumulée des nuits ensemble jusqu’à la dernière, qui dansent le désir et la vie. C’est de cela qu’il s’agissait, d’une certaine manière, déjà, dans Voile. La dernière soirée arriva trop tôt. Et de la poésie pour redonner quelque chose à ces gens qui naviguaient alors. Qui flottaient. Qui aimait. Qui naviguaient. À celui qui a été assassiné dans la nuit du 1est le 2 novembre 1975 sur une plage d’Ostie, nommée Pier Paolo Pasolini. À celle retrouvée morte dans sa chambre d’hôtel en 1988, nommée Venus Xtravaganza. Danser. Voile. Aimer. Naviguez visuellement. Déjà, les mots les augmentaient, pour ainsi dire, les rendaient encore plus vivants. Déjà, des ouvertures ; c’est-à-dire des possibilités. Des mots qui ont donné vie au désir ; qui a dit danser = vivre.

Simonide : De même que la poésie est une danse parlée, la danse est une poésie silencieuse. » Oui, comme on crée de la fiction sur une scène en disant : silence, ça tourne / Dans un livre, on se tait, et on dit sans bruit : silence, ça ouvre. Et puis il vit, plus grand que partout ailleurs.

Marie de Quatrebarbes, Les élémentsÉditions POL, 2024, 128 pages, 16 €.

 
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