l’essentiel
Alain Trégant a rencontré Jean sur les bancs de l’université Toulouse-Capitole dans les années 1980. L’écrivain toulousain lui rend hommage avec son livre Assis sur un rafteau de Glace (171 p. aux éditions Le Lys Bleu), paru en juin. Entretien.
Jean, ton meilleur ami, est décédé il y a 10 ans. Pourquoi avoir attendu si longtemps avant d’écrire ce livre ?
Il y a d’abord eu un temps nécessaire au deuil. Ensuite, j’ai eu envie d’écrire avec Jean, pas seulement sur lui. Je n’ai pas trouvé de moyen de m’y prendre. Un jour, j’ai relu ses mails dans lesquels il avait écrit « ça aurait mérité un témoignage ». Il a laissé entendre qu’il aurait aimé écrire. Autrement dit, s’il avait eu plus de temps. J’ai alors eu l’idée d’inclure ses propres écrits et d’imaginer un dialogue, comme un échange après sa disparition. Il m’a fallu une décennie pour trouver cette voie.
Qui était Jean ?
C’était un homme assez emblématique. Avec sa mère, il quitte leur petit village camerounais pour s’installer dans l’Aveyron, en France. Elle venait d’épouser un Français. Il avait 12 ans. Il est arrivé dans une université, il était le seul noir. Quelque temps plus tard, sa mère fut tuée contre un platane alors qu’elle conduisait sa voiture. Son beau-père l’a abandonné. Jean est devenu pupille de l’État. C’était un gars brillant ; il a obtenu 18 à l’épreuve de philosophie du baccalauréat.
Vous l’avez croisé à l’Université du Capitole…
Il faisait partie d’un groupe d’Aveyronnais. Un de ses amis n’avait pas assez d’argent pour payer ses frais d’inscription. Je l’ai ensuite réparé. Je l’ai revu une fois, il était accompagné de Jean. Nous nous entendions très bien. Notre humour était essentiellement le même. C’était un gars très positif, très philosophique, très subtil et très tourné vers les autres.
Vous venez de deux mondes très différents. Qu’avez-vous appris de lui ?
Tout d’abord, je n’ai jamais été confronté au racisme. Avec lui, j’ai vite compris qu’il existait et plus que je ne le pensais. Paradoxalement, Jean a facilité mon intégration au sein du corps professoral. Je me sentais un peu étrangère à cette ville étant parisienne. Il était mon guide.
Une fois votre diplôme obtenu, vos chemins se séparent. Pour quoi ?
J’accepte un poste d’avocat à la Fédération des œuvres laïques. Jean est en couple avec une femme africaine du Cameroun. Incapable de trouver du travail, elle survit en faisant le ménage. Il a fini par accepter un poste à la Teaching League. Ils finissent par s’installer au Canada, pensant échapper au racisme. Il finit par apprendre qu’il est atteint d’un cancer et qu’il va bientôt mourir. Je suis allé le voir, c’était bien.
Vous travaillez sur un nouveau projet. Pouvez-vous en parler ?
J’écris sur des parents qui croient que leurs enfants sont des génies. Je me moque d’eux. J’y suis allé : on m’a dit que mon fils y était. Ce n’est pas le cas, mais c’est un gars formidable.
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