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« Les jeux vidéo sont comme un bac à sable en trois dimensions »

Kev Lambert est déjà de retour avec le palpitant Sentiers de neigecette fois sur l’enfance. De quoi asseoir son nouveau statut de leader des lettres francophones.

En 2023, après deux premiers romans déjà très remarqués, le Québécois Kev Lambert publie Que notre joie demeure publié aux éditions Le Nouvel Attila (après une sortie québécoise en 2022 chez Héliotrope). Pseudo-polémique avec Nicolas Mathieu et surtout deux prix : Décembre et les Médicis. De quoi enfin asseoir le natif de Chicoutimi parmi l’élite de la littérature francophone.

Entre temps, son prénom a changé sur les couvertures -Kevin, en processus de transitiondevient Kev, “plus neutre en matière de genre » comme il l’a déjà expliqué un peu partout, son statut aussi. Plus de demandes peut-être, mais pas de pression de la part de sa rédaction, assure-t-il, entre une intervention radio et un rendez-vous à Passa Porta. Parce que Kev dévoile un nouveau roman qui se déroule en 2004, Sentiers de neigeHistoire de Noël » a forte influence du jeu vidéosur le(s) monde(s) de l’enfance.

Seulement un an s’est écoulé entre Que notre joie demeure et Sentiers de neige. L’avez-vous écrit après le précédent ou y travailliez-vous depuis longtemps ?

Bonne question. En fait, tous mes autres sont sortis un an plus tard en qu’au Québec. Alors l’automne dernier, quand Que notre joie demeure est sorti, j’y travaillais déjà depuis plus d’un an Sentiers de neige. Pour la première fois, il sort en même temps en Europe et au Québec. Alors voilà, j’ai rattrapé mon retard ! Le prochain prendra plus de temps que celui-ci.

Verser Que notre joie demeurevous avez cité Proust comme une influence. Et pour Sentiers de neige?
C’était surtout de la littérature que j’ai lu quand j’étais adolescente et pendant l’enfance, donc Stephen King, la littérature fantastique, Narnia, Harry Pottertout ça. J’ai repris certains de ces codes : le merveilleux, les chapitres plus courts, travailler sur l’intrigueles différents points de vue des personnages… Je voulais aussi que le livre soit une forme d’hommage aux livres, aux films et aux jeux vidéo que j’aimais quand j’étais enfant.

Pour vous replonger dans l’ambiance particulière de cette époque, avez-vous encore joué aux jeux vidéo ?

Oui, j’ai réécouté la musique de l’époque, j’ai regardé des films, puis j’ai rejoué Zelda. Ce qui m’a frappé, c’est comment c’est une plongée intérieure: tu descends dans des espaces tridimensionnels, tu creuses, tu creuses… Et finalement ça ressemble beaucoup à à la psychanalyse. Les jeux vidéo sont comme un bac à sable en trois dimensions, dans lequel vous pouvez monter, descendre et pénétrer plus profondément dans le cœur. C’était intéressant de parler de ces heures d’évasion des enfants, et de ce que cette évasion leur apprend sur leurs propres expériences.

Il y a encore plus d’expressions québécoises qu’au Que notre joie demeure.

Que notre joie demeure ce n’est pas le même environnement. C’est la haute bourgeoisie. Au Québec, ils ont une langue très standardisée. C’est vraiment la langue de mon enfance. Donc, pour écrire, j’avais besoin de m’immerger dedans pour trouver souvenirs, émotions. Dans ma famille, surtout à Noël, c’était comme entrer dans une sorte de tempête linguistique. Les expressions éclatent, blagues, insultes aussi… Et je voulais qu’on ressente ça un peu en lisant.

Il y a aussi des pronoms qui changent. C’est quelque chose qui vous tient à cœur, ce travail sur le langage…

Absolument, c’est vraiment important, surtout dans ce livre. Il m’a fallu trouver un langage pour exprimer la folie de l’imaginaire des enfants (Zoey et sa cousine Émie-Anne). Parce que leur imagination construit un mondemais ce n’est pas seulement le monde de Zoey, cela devient vraiment LEUR monde. Je voulais aussi que l’on sente dans le langage que nous sommes plus fidèles à l’identité classique du personnage. Et c’est parler “sur” que je l’ai trouvé; créer une sorte d’entité qui soit les deux, mais aussi un peu plus, tout en n’étant ni l’un ni l’autre. Et le “sur” m’a permis de trouver un espace quelque peu neutre où les enfants sont libérés de leur identité sociologique, de leur psychologie individuelle.

En fait, à un moment donné du roman, Zoey dit qu’il croise les doigts pour qu’Émie-Anne n’ait pas «pas encore franchi la frontière » (vers l’âge adulte). Regrettez-vous cette période de l’enfance ?

Non. Mais ce qui est beau, et ce que la littérature nous enseigne, même à Proust, c’est que tout reste malgré tout. Parfois nous n’en avons pas accès direct à nos souvenirsà ce que nous avons vécu, mais tout reste enregistré ou stocké quelque part. C’est à nous de trouver l’accès. Donc je ne le regrette pas, mais je constate – c’est une des choses que dit aussi le livre – que les adultes qui ont encore en eux une forme d’enfance sont peut-être un peu plus sensibles aux autres. A l’image du personnage de Josiane : c’est elle qui accepte les enfants dans leur singularité, dans leur étrangeté aussi ; car elle a un souvenir, aussi lointain soit-il, de sa propre enfance.

Dans le livre, la frontière n’est pas très nette entre réalité et imaginaire…

Oui, absolument. je trouve que réalisme logiquec’est plutôt le point de vue d’un adulte sur le monde. Je voulais que le roman soit écrit comment les enfants vivent les chosesque la question de la véracité est presque secondaire ou impertinente. Parce que de toute façon, ils s’en fichent, les enfants, que ce soit vrai ou non. Peu importe ce qu’ils vivent, cela a un impact émotionnel et affectif sur eux.

Est-ce votre livre le plus personnel ?

Disons que dans tous les livres il y a des aspects personnelsmais ils ne sont pas nécessairement là où nous pensons qu’ils sont. Le personnage de Zoey me ressemble plus que Céline (dans Que notre joie…) ou que Querelle (en Querelle), et donc oui, il y a un aspect personnel. La famille est très inspirée par la miennemais le roman n’est pas strictement autobiographique. Il y a des personnages qui n’existaient pas du tout dans ma vie. La démarche n’était pas de raconter ma vie, mais juste de partir de connaissances, de ressentis, parfois de souvenirs, pour créer une fiction qui tient.

Vous dites souvent que vous lisez beaucoup. Que lisez-vous en ce moment ? je viens de finir le livre Le Club des Enfants Perduspar Emmanuelle Bayamack-Tam (sous son pseudonyme Rebecca Lighieri). C’est une auteure que j’aime beaucoup. Je l’ai découvert avec Les garçons de l’étéJ’ai vraiment eu une sorte de coup de coeur. Je pense que nous avons un amour commun pour la littérature américaine. Il y a bien sûr des différences, mais Le Club des Enfants Perdus c’est aussi un livre sur les univers parallèlessur la question du traumatisme, sur la manière dont nous répondons à la souffrance, soit par la fiction, soit par l’exploration. Elle trouve d’autres réponses à ces questions, évidemment, mais il y en a vraiment. résonances profondes entre nos deux livres. C’est vraiment fascinant.

Sentiers de neige ****

par Kev Lambert. Le Nouvel Attila, 432 pages.Hiver 2004 : Zoey, huit ans, erre sur le chemin de l’école, ” LEdes mitaines pleines de nez qui coule». Il est gêné et ne supporte plus cette foutue famille. que nous n’avons pas choisi ».Il se sent coupable du divorce de ses parents. A l’école où, selon les camarades de classe, « tout ce qui est zéro est« gay » », il survit de justesse… En lisant le prénom Zoey, on pense bien sûr àFranny et Zooey célèbre collection de JD Salinger. Mais c’est son chef-d’œuvre,Le receveur de seigle , que l’on associera plus logiquement cesSentiers de neige: Kev Lambert est admirablement juste sur les affres de l’enfance. On rit, mais souvent jaune si l’on se souvient de ces personnages et situations douloureuses, volontairement oubliés : l’école, »peuplé de créatures de la pire espèce»les adultes, qui savent “mais ne fais rien »

DansLe receveur de seigle on était plutôt à l’adolescence, mais dans ce conte de niveau écolier, le Québécois recrée aussi à merveille un langage : celui de l’enfance(avec une délicieuse sauce québécoise). Tourmentée par Skyd, une créature de jeu vidéo directement échappée de l’écran de télévision, Zoey entraînera avec lui sa cousine, Émie-Anne, à peine plus âgée. Attention, l’aventure n’est pas »possible une seule fois, une seule fois ». Tous deux échapperont au repas de Noël en famille – un discours sans fin que Kev admet avoir calqué sur des scènes de Fanny et Alexandrepar Bergman. Ils suivront le petit être pourtant effrayant, et se perdront, de leur plein gré, dans un monde parallèle peut-être bien rêvé. Ils oscilleront entre « il”, elle”ou “sur”et affronteront leurs traumatismes grâce à Skyd »Putain” . Kev Lambert s’en inspire sa propre enfance au Québec

et détourne les codes de la littérature fantastique à sa guise, pour un roman (vidéo) ludique et ébouriffant.
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