Dans cette chronique, rien ne va plus. Chaque vérité, comique ou étonnante, est décortiquée par un journaliste fouineur et (très) capricieux qui voit dans la curiosité un défaut précieux.
Un beau matin d’automne, alors que je me promenais paresseusement dans une librairie, j’ai été soudain étonné : ostensiblement exposé sur un présentoir devant mes yeux qui entendaient tout, se trouvait un livre intitulé Guinness World Records 2025 – édition 75e anniversaire. Mon sang ne faisait que bouillir, bien sûr. Non seulement parce que la mention « 75e anniversaire » ne m’a guère rajeuni, mais aussi parce que j’ai remarqué que, jamais, au grand jamais, je ne m’étais interrogé sur l’origine de ce glorieux manuscrit. Un mot en particulier m’a chatouillé l’esprit : Guinness. Non pas que j’étais un fan notoire de cette boisson irlandaise enivrante, loin de là, j’étais encore plus du genre à la détester, ni son goût ni sa couleur funèbre ne m’ayant attiré à ce jour. Non, ce qui m’a intrigué de manière inattendue, c’est l’origine : je me demandais à quel moment de l’histoire une illustre marque de houblon épousait une armada de disques insolites. Bon sang, quelle étrange alliance !
L’explication ? Nous sommes en l’an de grâce 1951, au fond d’une forêt irlandaise, lorsque Sir Hugh Beaver, directeur d’une brasserie Guinness dont le succès se poursuit depuis près de deux siècles, s’adonne à une impétueuse chasse au gibier avec quelques camarades chanceux. Entre deux coups de feu, un débat éclate et les camarades désirent ardemment se prononcer sur un sujet brûlant : entre le tétras et le pluvier doré, quel oiseau vole le plus vite ? Permettez-moi, à ce stade de la chronique, d’ouvrir une toute petite parenthèse pour clarifier trois petites choses : 1) Je ne sais pas du tout pourquoi j’ai commencé à écrire ce texte dans un style littéraire dépassé qui n’apporte absolument rien à l’histoire. . 2) L’anecdote du tétras et du pluvier est parfaitement vraie, même si j’avoue que cela peut paraître une blague. 3) Il va sans dire que je vais vous dire lequel des deux vole le plus vite, mais j’ai vraiment envie de vous tenir en haleine jusqu’à la dernière phrase comme dans un roman de Mary Higgings Clark. Revenons donc à cette partie de chasse dans la brumeuse forêt irlandaise où résonnent les harpes celtiques (du moins, c’est comme ça que je l’imagine). Les discussions vont bon train, mais le débat tourne en rond. Une fois rentrés dans leurs opulentes demeures, les chasseurs sont contraints de se résigner : aucun ouvrage de référence ne leur permet de se prononcer sur la vitesse supposée des deux oiseaux. Déception totale. Jusqu’à ce que Sir Hugh Beaver soit soudain frappé par une puissante explosion spirituelle : il va créer un livre qui répondra à toutes les questions – aussi farfelues soient-elles – de ses concitoyens. Un livre qui identifiera des réponses authentiques à des questions farfelues. Un livre plein de connaissances inutiles et de dossiers en tout genre, chargé à la fois d’instruire et de divertir les gens… mais aussi – et c’est là que l’idée confine au génie – de s’imposer comme un objet publicitaire du plus bel effet. 1955, avant d’être distribuée gratuitement dans les pubs où la bière noire coulait à flots. Le succès est évident : bientôt, les 81 400 pubs d’Irlande et de Grande-Bretagne en recevront des exemplaires. Sir Hugh Beaver se réjouit, tandis que les rédacteurs du Guinness Book s’amusent à compiler des tonnes de records improbables. Dans la dernière édition, on croise par exemple un New-Yorkais qui a réussi à casser 80 œufs avec sa tête en une minute, une Britannique qui a fabriqué la plus grande brosse à dents électrique du monde, ou encore un Nigérian qui détient le record du monde de cross-country. -la corde à sauter saute sur une jambe avec les yeux bandés – personnellement, je m’incline. Aujourd’hui, le livre est traduit en 37 langues et continue de se vendre à des dizaines de millions d’exemplaires dans plus de 100 pays, ce qui en fait l’ouvrage le plus vendu derrière la Bible et le Coran. Tout cela grâce à un tétras et un pluvier doré qui ne s’attendaient pas à un tel sort… et qui peuvent rivaliser mille fois s’il le faut, ce sera toujours le pluvier qui gagnera au final, les ornithologues sont catégoriques sur ce point. En vous remerciant pleinement de votre attention indéfectible, je vous salue très bas.
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