Au programme de ces dernières semaines, un poète calédonien en dédicace, un auteur de bande dessinée antillais invité à une conversation à l’heure du petit-déjeuner, un romancier martiniquais et un écrivain haïtien invités à une rencontre nocturne, un politologue et universitaire martiniquais en dédicace… Chez la libraire Calypso, les livres attendent autant d’être lus que leurs auteurs d’être rencontrés. « J’ai toujours imaginé ma librairie comme un lieu vivant, où l’on peut découvrir les auteurs et leurs œuvres mais aussi interagir directement avec eux. »
Cela fait six ans qu’Agnès Cornélie, 40 ans, se lance dans l’aventure d’une librairie thématique entièrement consacrée aux territoires d’outre-mer et des Caraïbes. Après avoir débuté dans le XIe arrondissement de Paris, l’ancienne professeure bibliothécaire a mis le cap sur son antre actuel de 40 m2au 32 rue Gassendi, dans le XIVe arrondissement.
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«J’aime mélanger les genres»
Dans un décor aux couleurs abricot, ambre et bleu des Comores, les couvertures des piles de livres rivalisent d’éclectisme. Ici, une traduction de Petit Prince de Saint-Exupéry en créole aux côtés d’un dictionnaire de gros mots en créole antillais. Ensuite, le roman d’Alice Zeniter sur la Nouvelle-Calédonie voisine avec le nouveau livre de “le très gros” Gisèle Pineau, écrivaine d’origine guadeloupéenne.
Le dernier né de Colin Niel, talentueux conteur originaire de Guyane, s’assoit à table avec les haïkus antillais de Didier Destouches, tandis que les albums pour enfants regardent des essais historiques et que de beaux livres d’art cohabitent avec des guides touristiques. « J’aime mélanger les genres et les époques. Souvent, quand on parle d’outre-mer, on pense à Aimé Césaire, Maryse Condé ou aux îles cocotiers. Bien entendu, ces auteurs sont incontournables, tout comme les cartes postales. Mais je veux découvrir tous les autres aspects et talents des étrangers. »
La tâche est colossale tant les préjugés et les caricatures persistent à l’égard des territoires d’outre-mer. Pour la Guadeloupéenne, fille d’un professeur d’histoire-géographie, « montrer le monde dans toute sa complexité », ses paradoxes et ses luttes restent un mantra. « Il arrive souvent que des lecteurs viennent en librairie me demander des livres qui permettent de comprendre telle ou telle crise dans les territoires. Ce fut le cas récemment de la Nouvelle-Calédonie et de la Martinique. » L’histoire de l’esclavage, du colonialisme et des dictatures caribéennes est particulièrement bien documentée dans sa collection.
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“Créer le dialogue, le débat”
Alors, pour l’ancien élève d’une classe préparatoire littéraire au lycée Molière à Paris, accueillir la librairie Cifordom, un jeudi par mois, pour un moment d’échange est vite devenu une évidence. Le Centre d’information, de formation, de recherche et de développement sur les origines d’outre-mer travaille depuis les années 1980 sur la question des droits et de la lutte contre le racisme et les discriminations. « Créer le dialogue et le débat, c’est aussi le pouvoir des livres. »
Une raison de plus pour associer votre librairie à des festivals engagés comme celui de Sanblé, qui chaque année à Gouray, dans les Côtes-d’Armor, célèbre la culture caribéenne. « C’est important de montrer notre existence car vivre de son activité de libraire, c’est compliqué. Ici, tout l’enjeu est de fidéliser les lecteurs sur un thème et une géographie particulière. »
Pourtant, Agnès croit aux bons présages comme celle qui, lors d’un rêve, a suggéré le nom de Calypso pour son établissement. Divinité de la mer dans la mythologie grecque, elle accueillit Ulysse après un naufrage. Calypso Rose est aussi le nom de scène d’une grande dame de Trinidad, figure emblématique du genre musical calypso. Des parrainages de mots et de mers qui vous portent loin.
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