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« Chaque livre est un nouveau jeu »

Faire des livres est un art. Nous nous rencontrons Adrien Parlange à l’occasion de la sortie de son dernier album jeunesse, Un abri.

Illustrateur, auteur et artiste, Adrien Parlange dessine pour la presse et réalise des livres. Le premier, Parade (2009), est un livre d’images publié par Thierry Magnier. Il publie ensuite sept albums aux éditions Albin Michel comme La Maison du Lion (2014) ou encore Le ruban (2016). Et abri est sa deuxième œuvre, après LE Printemps (2022), publié par La Parti. En quelques mots, Adrien Parlange réalise un très bel album. A l’ombre d’une pierre, enfants et animaux se blottissent. Ils s’abritent et profitent de sa fraîcheur accueillante qui les protège du soleil de plomb. Explorons l’univers graphique et souvent contemplatif de cet artiste.

© Adrien Parlange

Vous souvenez-vous de votre premier choc esthétique ?

Il y avait un album de Claude Lapointe, qui vient de nous quitter, qui s’appelait Le marchand de fessées. C’est l’histoire d’un homme qui vend des fessées. Les gens achètent des oiseaux, qui ont des mains au lieu d’ailes, pour punir leurs enfants. À la fin, il y a eu des fessées. C’était horrible. Enfant, je n’étais pas marquée par les belles choses mais par les choses effrayantes ou dérangeantes. Finalement, aujourd’hui, j’essaie de faire de beaux albums pas tant visuellement que théoriquement. C’est l’idée qui me touche et qui compte.

Déjà ton premier album, Parades’est construit autour d’une idée : les mots, dépouillés de certaines lettres, produisent des images modifiées.

Le livre est né d’une idée graphique. Je décide d’une manière de réaliser le livre : percer les pages, ajouter un ruban, ajouter une feuille transparente puis j’essaie de m’adapter à cette idée. Je change de forme à chaque fois. Il y a tellement de choses à essayer que je ne veux pas refaire deux fois le même livre. L’album est une forme d’expression tellement riche et ouverte.

© ParadeAdrien Parlange
Comment interrogez-vous la matérialité de l’objet livre ?

Chaque livre est un nouveau jeu. Il obéit aux règles que j’ai fixées. La question initiale est : que puis-je faire avec cet objet ? Comment pouvez-vous tirer parti de la fabrication d’un point de vue expressif ? Parfois, je vais sur les sites d’imprimeurs pour voir dans les catalogues ce qu’il est possible de faire.

Dans PrintempsJe voulais raconter une histoire avec des trous. Lorsqu’une page est percée, concrètement, on voit la page d’avant et la page d’après. J’ai donc raconté la vie d’un personnage et à chaque page son passé transparaît également. Je ne me suis jamais levé un matin en me disant : « Tiens, je vais raconter la vie de quelqu’un ! « . Cependant, j’avais envie de faire un livre troué et, de fil en aiguille, je me suis retrouvé à écrire une histoire de vie.

L’album Les conséquences désastreuses de la chute d’une goutte de pluie est né de l’envie d’un format très haut et très étroit. Tandis que pour Le rubanJe savais qu’on pouvait créer des livres avec des marque-pages. J’ai cherché comment intégrer ce ruban marque-page de manière originale dans le livre pour qu’il fasse partie des images.

© Le ruban, Adrien Parlange

J’ai un vrai goût pour l’objet livre. C’est un objet que j’aime. Un livre n’est fait qu’avec des choses avec lesquelles on joue depuis l’enfance et qui ne sont pas intimidantes. C’est quelque chose d’élémentaire réalisé avec du fil, de la colle, de l’encre, du carton et du papier. C’est pourquoi je suis surpris lorsque les gens trouvent les livres intimidants.

Il y a peut-être des livres plus ou moins intimidants.

Je pense qu’on ne perçoit pas une image de la même manière si elle est imprimée en petit ou en grand. Le ruban est un petit livre parce que je voulais qu’on soit proche des images, qu’il y ait quelque chose de secret et que les enfants puissent facilement s’en approprier. Les grandes images sont parfois impressionnantes et créent de la distance.

Votre travail cherche justement à donner un rôle actif à l’enfant lecteur.

Oui, c’est vrai. Je pense tout le temps au lecteur. Dans Le rubanles lecteurs complètent l’image avec moi, comme si les illustrations étaient réalisées ensemble. Il semblerait qu’il y ait même des enfants qui prennent le livre et le font voler comme un cerf-volant.

J’aime ne pas trop expliquer l’histoire et que les détails passent inaperçus. Il me semble que mettre les choses en valeur tue le charme du livre. En tant qu’auteur, j’ouvre la voie et laisse la place à la personne qui lit de suivre. Cela crée une plus grande satisfaction, me semble-t-il.

Cette part de liberté laissée aux lecteurs, vous la donnez également à vos personnages. Alors, dans Le chasseur d’enfants et dans La fille et la mer, vous utilisez des calques, non connectés, pour représenter les personnages. C’est comme s’ils pouvaient s’affranchir du livre puisqu’on peut perdre cette feuille.

Ces livres ont été réalisés à la même époque. J’aime ça, sans cette feuille de calque, le livre est vide et sans personnages. C’est comme un décor de théâtre désert. Pour donner vie au livre, il faut ajouter l’enfant ou la jeune fille aux pages. On prend le personnage, on le place sur le plateau et, du coup, il y a une rencontre. C’est comme dans la vie. Les personnages animaliers n’existent pas (ils ne sont pas imprimés) sans mettre leur visage dans le paysage. Ils naissent de la superposition.

© Le chasseur d’enfantsAdrien Parlange
Quand leUn enfant entre dans le paysage, il anime l’histoire et les animaux.

On peut même dire que tous les personnages que l’enfant rencontre n’existent peut-être que dans sa tête. Ils apparaissent littéralement dans sa tête. Peut-être qu’il les invente, peut-être qu’il les rêve. Je suis très influencé par le théâtre. J’ai été frappé par les Fables de La Fontaine réalisées par Bob Wilson.

J’aime considérer la double page du livre comme une scène de théâtre dans laquelle les personnages entrent et sortent. J’organise une sorte de ballet. Je fais intervenir des personnages qui normalement ne peuvent pas cohabiter et cela crée des tensions. C’est souvent très simple.

Les animaux sont utilisés comme archétypes. Intuitivement, chacun sait qui domine et qui est dominé. Nous savons quel animal est vulnérable et lequel constitue potentiellement une menace. Nous savons tous que les lapins et les renards ne peuvent normalement pas vivre ensemble.

Pourtant ils cohabitent dans vos livres.

C’est une façon de créer des tensions. En faisant venir un lapin et un renard, on sait tout de suite qu’il y a un problème sans avoir besoin de le dire. Je joue avec notre imaginaire collectif. Je les amène dans un espace sachant qui domine qui, gérant cette tension et peut-être l’inverser.

Dans Un abri, il y a des animaux qui ne sont pas a priori capables de cohabiter et pourtant tous finissent par se contorsionner pour laisser la place à l’autre. C’est drôle.

J’aime la représentation du corps dans un espace trop petit ou dans un espace inadapté. J’adore la comédie burlesque comme au cinéma de Charlie Chaplin, Buster Keaton, Jacques Tati ou des frères Marx.

Dans Un refugeon change de registre au fur et à mesure que le livre avance. Nous commençons par une inquiétude. Un enfant sur un rocher est rejoint par un serpent puis, petit à petit, la peur disparaît, le jeu apparaît et se termine sur cet aspect burlesque. Les corps essaient de tenir ensemble. Le serpent finit même par avoir un rôle de réconciliateur.

Ce livre montre comment on peut vivre ensemble quand on y est contraint et qu’on finit par y trouver intérêt et plaisir. Une fois la contrainte disparue, on n’a peut-être même plus envie de se quitter. Je trouve ça assez beau. Dans cet album, tous ces personnages ont un ennemi commun qui est la chaleur et ils finissent par s’en protéger en vivant ensemble.

© Un refuge, Adrien Parlange
Vous prenez certains codes de l’album jeunesse à contresens en écrivant par exemple une histoire qui se termine mal dans l’album Les conséquences désastreuses d’une goutte de pluie.

J’aime créer des personnages qui font peur au début et qui s’avèrent ensuite doux. Mais j’avais l’impression qu’on n’attendait dans mes livres que de la tendresse. Je me sentais un peu enfermé et ennuyé, alors je l’ai fait La goutte de pluie comme en réaction à Grand-Serpent. Ce dernier s’est tellement bien terminé que je me suis dit que j’allais faire un livre qui se termine très mal. Cela ne m’a pas permis de me débarrasser de cette étiquette !

Je trouve un peu problématique de toujours finir positivement. Je vois l’album comme un moyen d’expression et un champ d’exploration. Je suis libre dans la forme mais je regrette parfois qu’il y ait une obligation tacite de finir de manière optimiste. Je n’ai pas spécialement envie d’être sombre et désespéré mais je regrette qu’on n’ait pas droit à la noirceur la plus absolue dans un livre illustré. Parfois, j’aimerais pouvoir séparer l’album, forme d’expression très spécifique, du public jeune.

N’avons-nous pas tort de penser que nous pouvons comprendre ce qui effraie les enfants en projetant nos peurs et nos angoisses d’adultes ?

Les enfants constituent un public formidable ! Ils n’ont aucun préjugé. Ils entrent dans le livre avec curiosité. Cependant, chaque enfant est différent. Chaque enfant interprète l’image à sa manière. Nous ne pouvons pas anticiper leurs réactions. Je crois qu’il faut leur fournir une matière ouverte et qu’ils puissent s’approprier.

Nous n’avons pas du tout parlé de votre technique de création d’image. Comment procédez-vous ?

Il y a plusieurs étapes dans la création d’un album. Je commence par réfléchir dans un petit cahier. J’écris toutes mes idées. Quand une idée fonctionne sur 30 ou 40 pages alors je vais à l’ordinateur. Je construis mes images avec plus de précision. A la toute fin, je reviens à une pratique plus plastique et traditionnelle.

J’utilise soit la linogravure (pour La Chambre du Lion ou Le Grand Serpent), des pochoirs (pour Le ruban) ou des feuilles de plastique découpées (pour Un abri). J’essaye de mettre un peu de chaleur et de crasher sinon j’ai tendance à être un peu trop en contrôle. Quand j’imprime en linogravure (ndlr, technique de gravure qui se pratique sur un matériau, le linoléum), j’imprime mal, volontairement, pour qu’il y ait des petits points et de la netteté.

Ma dernière question concerne les couvertures. Leur création nécessite-t-elle beaucoup de temps ?

Non, ça vient vite. Souvent au début. Ce qui est incroyable, c’est que ma rédactrice, Béatrice Vincent, m’a toujours laissé une grande liberté. Mes couvertures sont assez simples. La couverture est une création dans la création. C’est comme faire une affiche. Finalement, il y a plusieurs étapes pour aborder un livre : on le voit de loin, on s’en approche puis, on plonge à l’intérieur.

L’artiste peut être retrouvé sur Instagram (@adrienparlange) et sur son site internet.

 
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