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DIACRITIKThe dream visions of Béatrice Commengé

Si Béatrice Commengé ne semble jamais arriver à destination, en Ne jamais arriverça donne vraiment l’impression de voyager. Une fois le livre fermé et lu, on avait presque l’impression, paradoxalement, de l’avoir accompagnée à Contantza, en Roumanie, au bord de la mer Noire.

Au départ, elle est tombée par hasard sur une image, celle d’une petite île, Île d’Ovidiusitué au milieu du lac Siutghiol qui forme une langue de terre sableuse face à la ville de Contantza ou Tomis, nom donné pour désigner le lieu où mourut Ovide au tout début de notre ère, en 17 après JC. J.-C., après sa relégation décrétée par Auguste en l’an 8 et qui détermina son destin. De là, Béatrice Commengé se met à rêver en parcourant les 2000 km qui la séparent des 20 siècles de la mort ou plutôt de la naissance d’Ovide, le 20 mars de l’an 43 avant JC, puisqu’elle préfère cette date, le jour de printemps qu’elle appelle le « jour superflu », pour arriver à Constantza, 2066 ans plus tard, en 2023, célébrant seul l’anniversaire du « chantre de l’amour ». Un choix qui n’est pas sans répercussions. « Tout ce qui l’avait rendu si triste m’a rendu heureuse », a-t-elle écrit ; tout ce qui avait rendu Ovide si triste, comme on peut le lire à juste titre dans Les tristesou Les Pontiquesles deux livres de « l’exil », et non dans Les Métamorphoses ou L’art d’aimer (on se réfère aux très belles traductions de Danièle Robert publiées par Actes Sud).

Ainsi, à la lecture de Béatrice Commengé, la tristesse se transforme en joie, tant l’attrait d’aller à Constantza semble irrépressible malgré le fait qu’elle ait dû reporter son voyage en raison de la crise sanitaire débutée en 2020 puis de l’invasion ukrainienne en février 2022. Ce serait un voyage à rebours. Béatrice Commengé, en remontant le temps, rajeunit. Elle se souvient de l’adolescente qu’elle était lorsqu’elle se rendait à Rome avec un ami, des premières émotions romantiques qu’elle avait vécues, etc. « Never Arrive » reflète une double expérience : celle de constater sur la jetée de Constantza que la saison touristique du printemps 2023 n’avait pas commencé. et qu’aucune navette ne permettait de rejoindre lel’île d’Ovide, l’île rêvée, donc laissée libre à l’espace de la rêverie ; celui de ne jamais finir, de croire qu’Ovide n’est pas mort, qu’on continue de lire l’auteur de Métamorphoses ou de L’art d’aimer. Né en pleine guerre civile (la même année que l’assassinat de Cicéron et un an après celui de Jules César), il faudra attendre l’an -27 pour qu’Octave rétablisse l’ordre en prenant le nom d’Auguste et instituant la Pax Romana. . Puis, après la mort de Virgile en -19 ou en -8 d’Horace, ce nouvel « ordre » impérial va peu à peu se transformer. Auguste s’octroie tous les pouvoirs (politiques et religieux), se proclame le père du pays en condamnant un certain « art d’aimer » (licencieux ?). Peut-être l’une des causes de la relégation d’Ovide en 8 après JC. ANNONCE

Au-delà des cauchemars de l’histoire (la Roumanie n’en est pas exempte, loin de là) ou des absurdités du temps présent (y compris la laideur consumériste qui se répand un peu partout), les noms vers lesquels voyage Béatrice Commengé sont toujours magnifiques (Nietzche, Joyce , Heidegger…). Si son rêve se heurte à la réalité, elle se glisse entre deux incertitudes avec un art subtil de la topographie narrative pour recomposer « son » paysage, « son » île, suivant dans sa petite voiture qui avale des siècles et des kilomètres, une route qui n’en finit plus. il n’arrive jamais nulle part, de Rome à Constantza en passant par Brindisi, Trieste et Messkirch ou le Paris de Modiano. Pour paraphraser Victor Segalen qu’elle cite, son imagination la déçoit autant qu’elle se renforce face à la réalité.

Béatrice Commengé, Ne jamais arriverValeurs, 2024, 156 p., 18 €
Voyager vers des noms magnifiquesVerdier pochette, 2024, 91 p., 9 €

 
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