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“J’aurais facilement pu me retrouver en prison”

Sel Gosse sur la protection de l’enfance, un monde dans lequel baignait son père éducateur. N’arrête pas de courirune histoire sur Toumany Coulibaly, champion de France du 400 mètres le jour et voleur la nuit. Ce portrait, que l’on ne peut que recommander, lui a valu le prix Interallié. Nos pères, nos frères, nos amis (Les Arènes), une enquête écrite dans le extension de son podcast sur les violences conjugales. Aujourd’hui, le natif de Signes Rys-Orangis Les hommes manquent de courage**un roman inspiré d’événements réels sur les secrets et les traumatismes que nous transmettons à nos enfants. Notamment à travers le dialogue entre une femme qui a été violée un jour, et son fils qui vient de maltraiter sa petite amie.

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L’écriture de ce livre a commencé par un message que vous avez reçu sur Facebook. Jessie (pseudonyme), professeur de mathématiques, la quarantaine, avait écouté votre podcast. Elle vous écrit pour vous dire qu’elle n’a pas forcément vécu ces violences, mais qu’elle se sent concernée. “Qu’elle avait enterré tout ça.” Vous décidez de la rencontrer sans savoir si vous alliez écrire sur elle ?

Je l’ai rencontrée et en réécoutant la cassette, je me suis dit : c’est vraiment quelqu’un d’extraordinaire. Dans le sens où je n’avais jamais rencontré quelqu’un comme elle. On se voyait régulièrement, mais je ne pensais pas à écrire son histoire. Jusqu’au jour où elle m’a appelé pour me dire : ce week-end, mon fils a violé sa copine. Cela m’intéressait parce que je voulais écrire sur des secrets de famille. Sur l’impression qu’on a qu’une malédiction se transmet de génération en génération. Comme si nous transmettions nos traumatismes à nos propres enfants au moment de la naissance. J’en avais souvent été témoin dans cette enquête sur des hommes violents. Des hommes qui avaient grandi dans la violence, avaient juré de ne pas ressembler à leurs pères, se retrouvaient dans la même situation qu’eux. Nous nous connaissions déjà depuis plus d’un an. Là, je lui ai dit : écoute, cette histoire est intéressante et je pense que j’ai envie d’écrire dessus.

« N’arrêtez pas de courir » était une histoire. Ici, vous écrivez un roman inspiré de faits réels. Pour quoi ?

Elle est professeur de mathématiques et je ne me voyais pas exposer ainsi sa vie sous son vrai nom. Ce n’était pas forcément lui rendre service que d’offrir à ses élèves la possibilité de faire circuler des rumeurs sur elle, sur la prostitution, la domination, le viol qu’elle a subi… Je voulais qu’elle protège et son fils qui est mineur aussi. Nous avons rapidement accepté de garder l’anonymat. Et puis, j’ai ressenti l’envie d’écrire au « je » tout en étant à sa place. C’était un saut dans la fiction. Ce n’était pas gagné d’avance, mais j’avais envie d’essayer.

Avez-vous eu des difficultés à écrire le point de vue d’une femme « à sa place », en tant qu’homme ?

Cela aurait été beaucoup plus compliqué si je n’avais pas passé autant de temps à l’écouter. Je me suis permis de le faire, car j’avais emmagasiné 30 heures d’entretiens avec elle. Je l’avais tellement vue, entendue, écoutée. J’avais tellement en tête la musicalité de ses phrases, sa voix, son rire, sa façon de s’énerver, que je me suis dit : c’est possible. Sans cela, je ne l’aurais jamais fait. Cela aurait été la meilleure façon pour moi de me tromper. Il fallait qu’une lectrice puisse s’y plonger et se dire : j’ai passé plus de 300 pages avec cette Jessie.

Auriez-vous pu imaginer cette histoire ?

Non, je peux inventer des choses, mais pas des vies trop éloignées de la mienne. Je ne suis pas une femme, je n’ai pas d’enfant de 15 ans, je n’ai pas été violée, je n’ai pas grandi avec des parents qui ne me regardaient ni ne m’aimaient. Sans tout ce travail préalable, écrire dire « je » tout en étant « elle », cela aurait été pour moi autant de la science-fiction que d’écrire le Seigneur des Anneaux…Je ne m’en sens pas capable. J’ai besoin de matière, de chair, de quelque chose de solide sur lequel poser mes pieds. Si je n’ai pas ça, ça flotte, je ne sais pas où ça va…

“À l’époque, un gars qui m’avait proposé un McDonald’s, je pensais que je devrais coucher avec lui.” Est-ce une phrase qu’elle vous a dite ?

Oui… C’est une des phrases qu’elle a prononcées qui sont très révélatrices car elle montre clairement sa détresse émotionnelle et son traumatisme. Parce que cela se produit après le viol qu’elle a subi à 18 ans. Elle a ensuite vécu quatre ans d’errance et a eu l’impression qu’elle devait presque dormir par politesse. C’est la question de la zone grise. Des femmes qui ne disaient pas « non », mais qui ne voulaient pas et qui, de peur d’être considérées comme des « connards », préféraient coucher avec des gars qui ne leur plaisaient pas, mais qui les avaient invitées au restaurant.

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Dans le roman, on voit que les hommes, surtout les plus toxiques, ressentent la fragilité de Jessie. Certaines femmes continuent de raconter des histoires toxiques. Comment peut-on l’expliquer ?

J’avais rencontré plusieurs psychologues qui disaient : la violence est le traumatisme d’une personne confrontée au traumatisme d’une autre. Un homme violent, ce n’est pas un type sanguinaire qui cherche absolument une proie, ce sont deux personnes qui ont l’impression que le hasard les rapproche, alors que ce sont leurs traumatismes qui les rapprochent. Évidemment, c’est mauvais. Une fille qui n’a pas tous ces traumatismes partira à la première insulte. Jessie reste parce qu’elle est abîmée, affaiblie, par tous les mecs d’avant.

Jessie se confie à son fils lors d’une balade en voiture après son viol. Faut-il être en urgence ou être coincé dans un habitacle sur une autoroute pour que les parents puissent aborder des sujets aussi difficiles ?

Dans la vraie histoire, et non dans le roman, elle voulait parler de son viol et de sa vie plusieurs semaines avant que l’incident ne se produise. Elle m’a dit : Je pense qu’il est trop jeune pour que je puisse lui dire quelque chose comme ça. Il ne pouvait pas le supporter. Et puis, il lui avoue qu’il a violé sa copine, lui raconte-t-elle, mais sans l’avoir planifié. Pour moi, les moments où j’ai découvert la vie qu’avait eu ma mère avant de m’avoir, ce n’étaient pas du tout des moments d’urgence. C’était quand elle était dans sa chambre, pendant une sieste ou quand je rentrais d’une soirée et que j’allais la voir allongée. A partir de 15-16 ans. Et on pourrait discuter comme dans une voiture sans avoir à se regarder dans les yeux. Dans le noir. Cela m’a été très bénéfique de découvrir sa vie, notamment de découvrir qu’elle souffrait de dépression. Cela m’a permis de mieux comprendre qui elle était, comment elle était construite. Cela m’a aidé à me sentir bien dans mes baskets. Il est important de savoir d’où nous venons. Mon père n’a jamais connu son père biologique, par exemple. Je connais le traumatisme que cela a été pour lui.

En 2013, j’ai rencontré des hommes violents en Belgique. A l’époque, j’avais été surpris par la diversité des profils, avec un homme qui travaillait notamment à la Commission européenne. Ces hommes pourraient être super gentils lors de l’entretien et quand même frapper leur partenaire. Loin de l’image de la brute stupide que j’aurais pu avoir. Aviez-vous aussi des clichés sur les hommes violents avant votre podcast sur France Culture ?

C’est drôle, parce que je le savais, parce que j’avais déjà beaucoup travaillé en prison. Et pour autant, l’image de l’homme violent restait pour moi encore complètement cliché. Un homme forcément moins intelligent, moins instruit que moi, plus bas dans les plafonds, plus alcoolique. En entrant dans cette salle, j’ai rencontré des gars avec qui j’ai aimé rire et boire une bière. Des gars « normaux », comme 350 000 que je rencontre chaque jour. Ce fut le point de départ d’une introspection et d’une réflexion. Pour dire : attends, si ces gars-là te ressemblent, tu te sens proche d’eux, alors pose-toi des questions.

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Dans tous vos livres, vous parlez de personnes qui ont commis des erreurs, parfois graves. Nous ne ressentons aucun jugement de votre part, plutôt de l’empathie.

Je ne me dis jamais que je ne pourrais pas être à leur place. Ou plutôt, au contraire, je me dis toujours que je pourrais être à leur place. Je me rends compte que j’aurais pu finir en prison. J’ai déjà eu mon permis révoqué pour conduite en état d’ébriété. J’ai eu de la chance d’avoir été arrêté avant d’avoir un accident. J’aurais été en prison à 26 ans. Je ne serais pas présenté comme un auteur, mais comme un délinquant. La frontière entre la bonne société et les « rejetés » est extrêmement mince. Nous avons du mal à mettre des étiquettes sur les visages des gens et à juger leurs actions. Je considère que je ne suis pas un juge, mon travail est plutôt de comprendre, au-delà de ce qu’ils ont fait, qui ils sont. Leur trajectoire m’intéresse beaucoup. C’est une histoire, des rencontres, des morts, des traumatismes, des erreurs, parfois de la malchance aussi.

Vous allez dans les collèges pour parler aux adolescents. Est-ce important ?

A cette époque, j’aurais aimé rencontrer un auteur vivant, un journaliste qui me parlerait de ce métier. Donc, je le fais beaucoup, surtout dans les endroits qui en ont besoin. Je ne pense pas que ce soit très utile d’aller dans le 6ème arrondissement de Paris. Je vais souvent en banlieue, à la campagne, notamment près de Mulhouse, une région très très pauvre. Avec eux, je parle aussi des relations garçon-fille. Sur les questions de consentement, MeToo, les filles en sont sensibilisées très jeunes. Je vois un écart entre les garçons qui sont encore un peu enfantins et les filles, qui sont matures, et qui ont souvent déjà une réflexion plus mature sur la question.

 
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