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les énigmes d’un ancien livre de prières en langue basque, découvert dans la Marne

C’est un recueil de prières qui tient dans la paume de votre main. Ann-Sarah Laroche, la directrice des médiathèques de Bayonne, manipule ce vieux missel de poche avec le plus grand soin. Écrit en basque labourdin par le moine franciscain Joannes Haranburu, au début du XVIIe sièclee siècle, il était destiné aux marins. Son titre : « Debocino escvarra, mirailla eta oracionotegvia » (1). Comprendre « Dévotion manuelle, miroir et recueil de prières », en français.

Deux exemplaires de ce petit ouvrage sont conservés parmi les fonds anciens et patrimoniaux de la bibliothèque municipale de Bayonne. Ils appartiennent à la collection léguée par l’ancien intellectuel et homme d’Église, Pierre Lafitte (1872-1938). « Le livre a été publié pour la première fois en 1635, à Bordeaux, explique Ann-Sarah Laroche. Il connut plusieurs rééditions au cours du XVIIe siècle.e siècle, mais peu d’exemplaires restent en circulation aujourd’hui… »


L’ouvrage fut publié pour la première fois à Bordeaux en 1635.

Bertrand Lapègue / « Sud Ouest »

L’un de ces précieux volumes vient de refaire surface. A 900 km de la capitale travaildine. La découverte remonte à juin dernier. Ariane Lepilliet travaille au sein du Centre de ressources du livre et du patrimoine écrit du Grand Est, Interbably. Un week-end, alors qu’elle se promenait dans les allées d’un dépôt-vente à Châlons-en-Champagne, son regard s’est arrêté sur un petit livre. Placé au milieu d’un fouillis d’objets, le livre présente une jolie reliure en cuir cousue main.

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Petit trésor

« C’est typiquement le genre d’endroit où l’on ne trouve pas de livres anciens », constate Ariane Lepilliet, qui est aussi une chineuse aguerrie. « En feuilletant le livre, je n’ai pas pu reconnaître la langue dans laquelle il était écrit. Visuellement, cela ne ressemble ni à l’espagnol, ni au portugais… » Malgré tout, elle reconnaît un mot dans les premières pages : « Baionan. » « J’ai fait le lien avec mes études, et ces cours de linguistique que j’ai suivis pendant un moment. Nous avons parlé de la langue basque, des mystères de ses origines et du fait qu’elle ne ressemble à aucune autre langue. »

L’absence de date de publication, ainsi que la présence de certains signes typographiques particuliers – comme le « s » imprimé comme « fs », mais sans barre centrale – permettent au spécialiste de localiser instantanément la publication. « J’ai compris que c’était un livre du 17ème sièclee siècle, d’autant plus qu’il y avait un calendrier au début des travaux. Cela a commencé en 1690. »

Cette professionnelle du patrimoine écrit estime tenir entre ses mains un « petit trésor ». « Un si vieux livre, écrit dans une langue régionale… Cela ne doit pas être courant », pensa-t-elle. La Marnaise a immédiatement contacté la médiathèque de Bayonne. « Tous les documents en basque de cette période sont répertoriés. Ils sont tous décrits. On peut les comparer à distance sans problème», explique Ann-Sarah Laroche. C’est ce que font ses services, au début de l’été, à partir d’une copie numérisée.

Amendes pour les marins

Certains chercheurs se sont déjà penchés sur l’histoire de ce missel, découvert dans les fonds de l’abbé Pierre Lafitte. Elle s’inscrit dans le courant de la littérature dévotionnelle qui s’est développée surtout au XVIIe siècle.e siècle, pour servir l’entreprise d’expansion du catholicisme et de lutte contre le protestantisme. Afin de transmettre l’éducation chrétienne au plus grand nombre, l’Église catholique décide d’utiliser les langues locales. Elle encourage la publication de textes basques, principalement religieux. D’où la diffusion de « Debocino escvarra, mirailla eta oracionotegvia ». « On sait que la réglementation à bord des navires était très stricte : les marins étaient verbalisés s’ils ne priaient pas quotidiennement », raconte Ann-Sarah Laroche.


La médiathèque de Bayonne possède déjà deux exemplaires du célèbre missel. Toutefois, ceux-ci sont incomplets.

Bertrand Lapègue / « Sud Ouest »

Quant à la collection retrouvée à Châlons-en-Champagne, il s’agit bien d’une des rééditions du livre de Joannes Haranburu. « Celui trouvé dans la Marne, comme les deux conservés à Bayonne, a été imprimé en 1690. Mais contrairement au nôtre, celui d’Ariane Lepilliet est complet, il ne manque pas une seule page », s’enthousiasme le directeur des médiathèques. Cela évoque une découverte importante « pour l’histoire de l’édition en langue basque ». « Au-delà du contenu, ce livre est intéressant par la langue qu’il utilise et parce qu’il participe à l’histoire de la littérature écrite basque », conclut-elle.

Le « petit trésor » d’Ariane Lepilliet rejoindra les rayons de la médiathèque de Bayonne début 2025. « Je voulais qu’il soit là où il sera mis en valeur », glisse cette dernière.

(1) Le titre, dans son intégralité, de l’ouvrage est “Debocino escvarra, mirailla eta oracionotegvia : debocinoa marinalena de la Vierge et du troisième Ordre de San Francel, tous travaillés dans le profitchus des Guiristinos avec de nombreuses autres prières debocinozco”

 
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