“Ce livre n’est pas utopique”, entretien avec Fiona Mille

Depuis 2021, Fiona Mille préside bénévolement l’association de préservation de la montagne Mountain Wilderness . Par ailleurs, consultante en résilience territoriale et gestionnaire d’un gîte à Belledonne, elle vient de publier Réinventons la montagne. Alpes 2030 : un autre avenir est possible publié chez Faubourg. Cet essai résolument optimiste invite au dialogue et révèle de nouvelles perspectives pour la montagne. Entretien.


Fiona Mille près du lac de Freydières, lieu d’inspiration pour l’écriture de son livre © Capucine Veuillet

C’était l’annonce des Jeux Olympiques d’hiver dans les Alpes en 2030. J’avais vraiment la sensation d’un monde qui allait à deux vitesses. Mon quotidien est de rencontrer des personnes actives sur les questions de transition. Depuis trois ans, j’observe une accélération des prises de conscience dans tous les milieux, notamment économiques mais aussi politiques et civiques. Il y a beaucoup d’envie d’essayer de faire les choses différemment. Dans le même -, l’accélération du changement climatique est frappante. J’ai donc perçu l’annonce de ces Jeux comme un frein : on parle de transition, de changement de nos modes de vie et ces Jeux, pour moi, c’est célébrer uniquement les sports d’hiver, c’est regarder vers le passé plutôt que vers l’avenir.


Pensez-vous que l’heure ne devrait plus être à l’observation mais à la projection ?

Oui, et c’est ce que je voulais faire avec ce livre. Quand on parle de transition, on pourrait penser qu’il s’agit uniquement de concilier montagnes sauvages et montagnes à vivre, qu’il s’agit de savoir vivre en respectant les limites planétaires. Bien sûr, cela fait partie de l’ADN de Mountain Wilderness mais depuis les Etats Généraux de la transition du tourisme de montagne, qui ont eu lieu en 2021, l’enjeu est de se mettre autour de la table, de discuter, de partir d’un constat commun pour se projeter. nous-mêmes ensemble. Cependant, je trouve qu’aujourd’hui, nous faisons le constat mais nous sommes incapables de nous projeter dans l’avenir avec lucidité et envie. C’est-à-dire que certains planifient à l’avance mais ferment les yeux sur les vrais problèmes ou soulignent que l’avenir peut être compliqué sans se rappeler qu’il peut aussi être amusant. C’est cet équilibre qu’il faut trouver. C’est de cela que parle mon livre.


© Capucine Veuillet

Cet avenir désirable est-il soutenu ou au contraire compromis par les Jeux olympiques d’hiver de 2030 ?

Ce n’est pas un livre sur les Jeux d’hiver. C’est un livre sur la montagne, sur la montagne, avec les Jeux d’hiver comme porte d’entrée car cet événement est le reflet de la vision que nous souhaitons avoir sur nos territoires de montagne. Les Jeux sont structurants, ils s’appuient sur une politique publique forte et sont l’occasion de mettre en valeur nos territoires. Dans le livre, j’envisage trois scénarios pour les montagnes. Dans la première, les Jeux d’hiver se déroulent selon une politique de “quoi qu’il en coûte”. C’est un peu la trajectoire que nous prenons : nous sommes de plus en plus hors sol, nous avons peur de l’avenir mais nous y sommes attachés dans une relation que je trouve assez artificielle en montagne. Dans ce scénario, je m’interroge donc sur les limites de notre usage de la neige de culture, celles de l’aménagement des territoires de montagne, de la croyance en une technologie qui nous permettra de continuer. Je développe la fuite en avant, dans un scénario où c’est l’argent qui nous guide, conduisant à la montée en gamme des territoires. Les acteurs vont dans ce sens et je voulais quand même le rendre visible. Ce n’est pas de la science-fiction, c’est vraiment de la prospective nourrie d’éléments réels.

Le deuxième scénario semble plus optimiste mais c’est néanmoins le plus effrayant…

C’est le scénario dans lequel les Jeux ne se déroulent pas et c’est vraiment celui que je ne souhaite pas voir se produire car il décrit un monde où l’on prend la trajectoire de +4°C à l’échelle planétaire. Un monde dans lequel les scientifiques s’accordent sur le fait que les humains ne peuvent pas s’adapter. Dans ce scénario, l’accélération du changement climatique est telle que les Jeux ne sont même plus d’actualité. Il faut gérer les questions autour de la problématique des ressources en eau, autour de la mobilité… A ce stade, les Jeux ne peuvent même plus avoir lieu, ils nous paraissent futiles. Vient ensuite le dernier scénario, celui qui remet en question nos priorités.

Aujourd’hui, les Jeux sont sur le point d’avoir lieu et je ne veux pas mettre toute mon énergie à être anti-olympique. Dans ce chapitre, je me demande donc ce qui est essentiel. Les enjeux de la ressource en eau, de la résilience alimentaire, de la réduction de notre dépendance à l’automobile en montagne : tout cela me semble une priorité. Et c’est trop facile de l’oublier et de se dire : « Allez, mettons notre énergie ailleurs ».

« On peut avoir de profonds désaccords sur la vision de la montagne mais au fond, nous sommes sur le même bateau. »

L’écologie est souvent critiquée pour être pessimiste et indésirable. Êtes-vous attaché à la fête, à formuler des perspectives joyeuses ?

C’est ce qui m’attire. Ce dernier chapitre du livre n’est pas une perspective utopique : il est probable que les Jeux d’hiver auront lieu parce qu’il n’y avait aucune raison de les arrêter, mais que nous avons décidé de mettre l’énergie ailleurs. Il y a des dynamiques dans les territoires, des collectifs et je les imagine réaliser une autre fête de la montagne en 2030. Une fête sportive où on s’adapte à la montagne plutôt que l’inverse, où on accompagne l’élan citoyen. À quoi cela pourrait-il ressembler ? Quel impact cela aurait-il sur l’économie, l’hôtellerie, l’agriculture, le logement ? Je montre que tout ne doit pas être inventé. On ne part pas d’une page blanche : il y a plein de choses qui existent déjà. Il faut maintenant trouver comment les mettre en valeur, comment les accompagner.

Vous évoquiez tout à l’heure les États généraux pour la transition du tourisme de montagne, qui ont eu lieu en 2021. Est-ce qu’ils ont servi à quelque chose ? Quel est le bilan de Mountain Wilderness aujourd’hui ?

Pour moi, ces États généraux ont été vraiment utiles. Ils montrent qu’on peut avoir de profonds désaccords sur la vision de la montagne et les intérêts économiques, mais qu’au fond, nous sommes sur le même bateau. Et l’événement a permis d’ouvrir le dialogue. C’était une époque démocratique forte, d’où est né le Plan d’ingénierie du futur de la montagne. Ce n’est pas rien ! Les territoires ont été soutenus grâce aux États généraux : on n’avait jamais eu d’ingénierie humaine auparavant, on a surtout investi dans des aménagements et là, l’État a décidé d’accompagner la transition touristique. En revanche, soyons clairs, les choses ne vont pas assez vite et nous n’allons pas tous dans la même direction. Mais je pense que c’était important, que cela créait une culture de collaboration. Reste à voir comment nous le maintiendrons.


© Capucine Veuillet

En novembre 2024, vous avez remis personnellement ce livre à Agnès Pannier-Runacher, alors ministre de la Transition énergétique, de l’Énergie, du Climat et de la Prévention des risques. Quelques jours auparavant, interviewé par nos confrères de Dauphiné Libéréelle a déclaré : « Il va falloir réinventer nos loisirs en montagne ». Elle n’avait pas lu votre livre mais elle utilise les mêmes éléments de langage. Est-ce un bon signe ?

Je pense que cela va dans la bonne direction. La question est précisément de savoir comment nous “réinventer”. Il ne s’agit pas seulement de loisirs, il s’agit de notre mode de vie ! Je rencontre des personnalités politiques, des acteurs économiques, des patrons, des élus… Globalement, nous savons tous qu’il faut changer. Le problème est que nous savons tous que nous avons des choses à perdre et que nous ne savons pas ce que nous pouvons gagner. C’est de cela dont nous devons parler maintenant ! Comment faire vivre notre territoire ? Les crises que nous traversons actuellement en montagne peuvent être une belle opportunité de réinterroger pourquoi nous vivons dans ces zones : que voulons-nous y faire ? De quoi voulons-nous faire rêver les gens ?

Ce que j’essaie de développer beaucoup dans le chapitre 3, c’est l’idée de continuer à accueillir des gens en montagne tout en étant profondément ancré dans l’environnement dans lequel on est. Je m’explique : je pense que les montagnes attireront toujours, qu’il y ait de la neige ou pas en hiver. Il est même souhaitable qu’on emmène les gens à la montagne car nous sommes de plus en plus urbains et nous en souffrons, la société en a marre de notre mode de vie et la montagne soigne physiquement et mentalement. Alors oui, il faut faire le deuil des revenus du ski, l’aspect strictement financier, et retrouver du sens, créer de nouveaux emplois, de nouvelles perspectives.

 
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