Parce qu’on ne trouve pas de livres à tous les coins de rue, chaque semaine, 400 dirigeants du mouvement ATD Quart Monde installent un espace rempli de structures partout en France, au pied des immeubles ou dans des squats. En 1968, les bibliothèques de rue sont nés de‘une conviction : la culture est un puissant vecteur de lutte contre‘exclusion. Reportage de la commune de La Maurelette, dans les quartiers nord de Marseille.
La Maurelette fait partie des vastes programmes construits dans les années 1960 dans la campagne marseillaise. Des bâtiments de quatre étages et des tours entourent la bastide d’origine, toujours là ainsi que son étang et son majestueux escalier en pierre. Certaines surplombent la Méditerranée qui offre un horizon lumineux. Côté façade, le décor est plus sombre. La bastide est décrépite, le parc est désert, les commerces ont fermé leurs portes et l’état de nombreux bâtiments laisse à désirer (prime). Les classes moyennes ont quitté les tours dans les années 1980, progressivement remplacées par des populations plus pauvres.
♦ 50% de la population de La Maurelette vit sous le seuil national de pauvreté – soit environ 1 120 personnes, dans Ville ressource.
Sous le regard des parents
C’est dans ce contexte qu’ATD Quart Monde (Agir tous pour la dignité Quart Monde) a installé en 2022 un Bibliothèque de rueaprès quelques années dans la ville des Rosiers, » où c’est devenu trop compliqué à cause des points de deal », raconte Antoine Lopez, un grand gaillard du‘Accent toulousain et responsable de la Bibliothèque de rue de Marseille.
Le mouvement a d’abord testé Maurelette 1. » Mais les parents ne laissaient pas sortir leurs enfants à cause des jeunes qui faisaient des wheelies à moto, alors nous avons migré à La Maurelette 2 ». L‘avantage de 2 ? La grande cour entourée de quatre bars de‘bâtiments. Les habitants ont une vue sur tout ce qui se passe. C‘est l’un des ingrédients de la bibliothèque de rue. Pour accrocher le plus‘enfants,‘les animations – gratuites – doivent se dérouler sous le regard des familles. Ils peuvent ainsi les surveiller et témoigner de leur appétit pour la lecture.
”Malgré la scolarité obligatoire,‘l’analphabétisme affecte aujourd’hui‘elle représente aujourd’hui 9 % de la population française et reste statistiquement liée à l’extrême pauvreté. S‘ajouter à d‘d’autres facteurs, elle contribue à exclure radicalement de la vie civique‘‘. ATD Quart Monde
Un tapis, des livres
Chaque mercredi, été comme hiver, cinq animateurs chargés de livres déroulent un tapis et s’assoient pour deux heures de lecture et de jeux. Grégoire Kantoucar, bénévole (prime) depuis trente ans à ATD Quart Monde, bat le rappel avec son djembé. Et la cour, déserte quelques minutes plus tôt, s’anime aussitôt d’une nuée d’enfants.
Les tenues sont colorées et les visages joyeux. Il y a d’abord Irsana et Menessa, qui se jettent dans les bras d’Antoine Lopez en disant : « Vousoù étais-tu ? « . Puis Ouchden et son ami qui reprennent l’album « La petite poule qui voulait voir la mer » – une collection phare dédiée à la jeunesse. Le garçon de 9 ans lit beaucoup. Il a beaucoup de livres à la maison, notamment dans sa chambre. Il explique qu’il aime lire » parce que je découvre de nouveaux mots et j’apprends plein de choses « . Un peu plus loin, Naël, 8 ans, en CE2, dit aimer lire « parce que j’aime l’orthographe, la grammaire et la conjugaison « . Les enfants passent d’une œuvre à l’autre, tracent les dessins avec leurs doigts, lisent avec aisance pour certains, déambulent pour d’autres.
♦ (re)lire Faire du livre un objet familier
Restez dans le plaisir de lire
Une vingtaine d’ouvrages sont mis à leur disposition à chaque séance. Mais les animateurs ne viennent pas forcément avec le même. « Et nous en achetons régulièrement de nouveaux », explique Catherine Bouliot, qui fait également du bénévolat le samedi dans un bidonville auprès d’enfants roms.
La Bibliothèque de rue accepte le don de livres, à condition qu’ils ne soient pas endommagés. Parce que l’esthétique est importante. Tenir un bel objet entre ses mains donne envie de l’explorer davantage. ” Le livre nous permet d’accéder au temporel, de voyager, d’imaginer, de rêver, de découvrir d’autres choses que l’on ne soupçonnait pas.agrees Grégoire Kantoucar. C’est un outil d’émancipation « . Ce Sénégalais d’origine en est d’autant plus convaincu qu’il dirigeait dans son pays une bibliothèque de rue auprès des enfants non scolarisés. Au bout d’une heure, les animateurs sortent des jeux de société et des coloriages, ” parce qu’à un moment donné, ils en ont marre », souligne le bénévole. L’idée reste de laisser les enfants libres d’aller et venir au livre.
« Si on veut briser le cercle de la pauvreté, il faut y apporter la culture, le livre, la beauté », Antoine Lopez
Aucune porte à franchir
Tout le monde est invité à venir, pas de portes‘est à franchir. D’ailleurs, trois femmes finissent par descendre et discuter assises sur les murs. ” Il y a deux mercredis, deux mamans sont venues nous apporter du thé. Parfois certains s’assoient avec nous sur le tapis », poursuit Catherine Bouliot. Le livre devient parfois le déclencheur de projets collectifs dans lesquels enfants et parents sont acteurs, prenant plaisir à développer leur imaginaire : théâtre, activités manuelles, ateliers d’écriture, etc. Nous apportons la culture sur le terrain, sous toutes ses formes », acquiesce Antoine Lopez, bénévole depuis treize ans (prime).
-En juillet, comme chaque été, le mouvement a organisé pendant cinq jours un Festival du savoir et des arts avec les habitants de La Maurelette. Cet événement ATD Quart Monde se déroule dans toute la France pour mettre en valeur les talents de chacun : dessin, cirque, slam, danse, cuisine, etc.
Le lien avec les familles
Semaine après semaine, les animateurs répètent ce rituelL. Cette régularité et cette proximité créent un lien de confiance avec les familles. Et susciter des rencontres imprévisibles entre animateurs, parents et habitants du quartier. A la Bibliothèque de rue, les adultes peuvent sortir‘isolement, m‘s’informer, se rassembler pour agir et s’associer‘d’autres actions collectives comme les Universités populaires Quart Monde. Ces espaces de dialogue, de réflexion et de formation (bonus) existent partout en France. « L’idée est qu’ils prennent leur vie en main. On est dans la logique de faire les choses avec les gens et non pour eux. Ce n’est pas une aide », précise Antoine Lopez.
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Détecter les difficultés
Ces rencontres avec les familles permettent aux bénévoles du mouvement « d » deNous détectons leurs difficultés et potentiellement les aidons. Pour un travail, des enfants, des papiers », détaille Antoine Lopez, qui rapporte la présence de nombreux Turcs et Kurdes, qui parlent peu français. Le mouvement peut s’appuyer sur son réseau et orienter selon les besoins : Emmaüs, Apprentis d’Auteuil, Secours Catholique, etc.
Avec aujourd’hui une vingtaine d’enfants, entre 3 et 11 ans, la Bibliothèque de rue connaît une bonne dynamique. Le seul bémol est l’abandon des jeunes durant l’adolescence. Antoine Lopez envisage de monter un groupe pour les 16-25 ans. « Un groupe de discussion sur des questions de société » qui les inviterait à construire une vie choisie. Les Bibliothèques de rue sont ainsi tissées de ces rencontres et initiatives, au plus près des besoins. Ils ne le font pas‘n’ont rien d’extraordinaire, si ce n’est de nous rassembler autour du livre et de la lecture, et d’agir en profondeur contre‘exclusion. ♦
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Prime
[pour les abonnés] – Joseph Wresinski, fondateur de‘ATD Quart Monde – La Maurelette, ville en décadence – 450 bénévoles dans le monde – Universités populaires Quart Monde –