CHRONIQUE – Il serait effectivement présomptueux de tenter de représenter les Premières Nations et leur littérature en trois livres. L’idée est plutôt d’aborder trois ouvrages intéressants qui ouvrent une toute petite brèche sur la vie et la culture de ces peuples indigènes.
Dans son roman Le baiser de Nanabush, traduction de Motos et foin d’odeur publié chez Prise de parole, Drew Hayden Taylor promet d’emblée qu’il nous racontera toute une histoire. Et il tient merveilleusement parole.
Drew Hayden Taylor est un auteur prolifique aux racines ojibwe ; il a écrit autant de fiction que de chroniques et d’essais. Avec Le baiser de Nanabushqui a également représenté la littérature autochtone au Combat des livres de Radio-Canada en 2023, il s’élève au niveau des grands conteurs.
Dans le premier chapitre, on découvre un jeune Anishinabe de la réserve du Lac-aux-Loutres qui nage avec un ami. On ressent tout de suite une grande attirance entre les deux, mais on sent aussi que cet ami n’est pas une personne ordinaire. Et il y a un problème. La jeune femme décide de poursuivre ses études dans un pensionnat.
Au pensionnat, elle reçoit un nouveau prénom, Liliane, et durant les deux années qu’elle passe dans cet établissement, elle est témoin des mauvais traitements subis par ses camarades pensionnaires. Toute sa vie, elle reste cependant la pieuse Liliane qui mélange ses croyances chrétiennes et indigènes.
L’intrigue commence réellement 80 ans plus tard. Sur son lit de mort, Liliane convoque son ancien petit-ami. Il réapparaît sous les traits d’un beau jeune motocycliste qui va faire des ravages dans sa famille et dans la réserve. Surtout chez les femmes.
La fille de Liliane, Maggie, est chef de la Nation du Lac-aux-Loutres. Elle tente de résoudre un conflit territorial avec la communauté blanche voisine, a un fils qui aime sécher l’école, un frère ermite qui vit sur une île et un conjoint décédé il y a quelques années.
Maggie est stressée. L’arrivée de John va bouleverser sa vie et celle de sa famille.
Au fur et à mesure de l’intrigue, nous apprendrons qui est réellement celui qui se fait appeler John, mais dont le nom de famille change en fonction de chaque interlocuteur.
Dans ce livre, Drew Hayden Taylor réussit à concilier la vie moderne dans une réserve autochtone et les traditions et mythologies de ses habitants. Tout cela dans un roman captivant qui allie le surnaturel, la séduction, l’amour, les chicanes territoriales, les combats épiques et même une bataille avec des ratons laveurs.
Du plaisir pour tout le monde !
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Les deux livres suivants proviennent de la plume de Tomson Highway, un Cri du nord du Manitoba qui a connu une carrière internationale en tant que pianiste ainsi qu’en tant que dramaturge et romancier renommé.
Le premier livre, Le baiser de la reine blanche (traduction de Baiser de la Reine des Fourrures), est un roman et le second, Émerveillement éternel : grandir au pays de la neige et des cieux infinis (trad. de Étonnement permanent : grandir cri au pays de la neige et du ciel), une autobiographie.
Les deux livres racontent l’histoire de deux jeunes garçons Cris qui grandissent cinq ans dans leur famille de chasseurs-pêcheurs avant d’être envoyés dans un pensionnat.
Dans Le baiser de la reine blanchel’auteur se permet plus de fantaisie. Il écrit d’ailleurs : « l’histoire […] au fil des années, est devenu de plus en plus incroyable, exagéré, selon la manière crie de raconter des histoires, de fabriquer des mythes.
Le roman débute par une scène emblématique du Grand Nord : une course de chiens de traîneau. Après trois jours et 240 km, Abraham Okimasis et ses chiens étaient complètement épuisés. A un kilomètre de l’arrivée, il a la vision d’une Dame Blanche qui va le soutenir et lui faire gagner la course.
A l’arrivée, Abraham, complètement hébété, voit même un fœtus sortir du diadème de la Dame Blanche. La femme d’Abraham donnera naissance à son fils le même jour.
L’auteur nous raconte la naissance de ce fils ainsi que de son petit frère trois ans plus tard. Le roman décrit le voyage de deux petits garçons qui accompagnent leur famille à la chasse et à la pêche dans le Grand Nord. Jusqu’à leur départ pour l’internat.
Ils reviendront au village pendant les vacances d’été, mais leur vie ne sera plus jamais la même.
Dans cette école, on essaie de leur interdire leur langue, on leur inculque le christianisme avec des règles sur les doigts et on les agresse sexuellement. Mais la Reine Blanche veille sur eux, et ils s’en sortiront grâce à la musique. L’aîné deviendra pianiste et le plus jeune, danseur.
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En lisant Merveille éternelle, ouvrage publié 15 ans après la version originale du Baiser de la Reine Blancheon comprend que tout ce que Tomson Highway avait décrit dans son roman était basé sur sa réalité.
Dans cette autobiographie, il abandonne le surnaturel et nous raconte sa naissance dans un banc de neige, sa vie de famille dans un village autochtone près de la frontière du Manitoba et des Territoires du Nord-Ouest (aujourd’hui Nunavut) et, bien sûr, ses années dans un pensionnat.
À tous égards, la vie dans ce livre est difficile, mais ce qui ressort est précisément l’émerveillement éternel de Tomson Highway face à la vie.
Il nous raconte avec humour la vie du village, il nous emmène dans des parties de pêche et de chasse passionnantes et revient rapidement sur les abus subis au pensionnat. Il nous fait plutôt vivre son amour pour sa famille, sa fierté envers son peuple et, surtout, sa passion pour la musique.
Ces deux livres racontent essentiellement la même histoire, mais il est intéressant de les lire tous les deux pour comprendre la relation entre réalité et fiction.
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Réjean Grenier travaille dans les médias depuis 47 ans, à titre de journaliste, rédacteur en chef à Radio-Canada/CBC, éditeur et propriétaire d’un journal et d’un magazine et chroniqueur. Il a présenté une chronique littéraire à Radio-Canada pendant cinq saisons. Il est un lecteur assidu depuis l’âge de 12 ans. Il a grandi dans un petit village du nord de l’Ontario où il n’y avait pas de librairie, mais il a rapidement appris où commander des livres. Son œuvre préférée est le roman car « on ne trouve la vérité que dans l’imagination ».
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