Cela peut-il se reproduire ? (1982) est un ouvrage de Hyman Minsky qui se concentre sur les instabilités de la finance dans le système capitaliste. C’est donc un livre super pertinent pour approfondir vos connaissances du deuxième chapitre de la deuxième année d’ESH, intitulé « La dynamique de la mondialisation financière ».
Introduction
À propos de Minsky
Anecdote : Minsky a complété son doctorat en économie sous la direction de Schumpeter. Nous verrons donc que cette proximité avec le théoricien de la « destruction créatrice » va profondément l’influencer dans sa compréhension du système financier.
Minsky est fortement influencé par John Maynard Keynes et ses théories économiques peuvent être considérées comme une extension des idées keynésiennes. L’auteur du Théorie générale de l’emploi, de l’intérêt et de l’argent (1936) avaient déjà proposé une vision dans laquelle les marchés, livrés à eux-mêmes, ne garantissaient pas nécessairement le plein emploi ou la stabilité économique. Minsky a poussé cette idée plus loin en développant une théorie globale de l’instabilité financière.
Hyman Minsky est considéré comme un économiste hétérodoxe parce que ses idées et théories s’écartent largement de l’économie dominante, y compris des approches néoclassiques et monétaristes qui dominaient la pensée économique à son époque.
À propos du travail
Maintenant que vous avez une idée plus claire de l’auteur, passons aux choses sérieuses. Le nom de l’ouvrage est assez transparent sur les questions de Minsky en faisant référence à la crise de 1929. Dans cet ouvrage, la question est de savoir si une crise ressemblant à celle de 1929 pourrait se reproduire dans le futur. Cela peut-il se reproduire ? (est-ce que cela peut se reproduire ?).
Dans son travail, Minsky développe plusieurs notions différentes, que nous détaillerons en plusieurs parties. Tout d’abord, il va de soi que ce dernier développe une théorie de l’instabilité financière, menant ainsi une critique de la vision classique de l’économie (il est, rappelons-le, un penseur hétérodoxe). Enfin, nous étudierons les perspectives récentes du modèle Minsky, en répondant à la question suivante : le modèle Minsky est-il toujours pertinent pour expliquer et prédire les crises financières ?
Une théorie de l’instabilité financière
Dynamique d’instabilité et phases de financement
Minsky décrit un cycle économique en trois phases, qui conduit inévitablement à la crise financière.
Phase de financement conservatrice (Financement de couverture)
En début de cycle, les agents économiques empruntent de manière conservatrice. Ils utilisent des montants de prêts qu’ils peuvent rembourser avec leurs revenus. Durant cette phase, le système financier est relativement stable, les investissements sont effectués avec prudence et les risques sont faibles.
Phase de financement spéculatif (Finance spéculative)
À mesure que l’économie croît et que la confiance se renforce, les agents économiques commencent à prendre davantage de risques. Ils n’empruntent plus pour financer directement leurs activités productives, mais pour spéculer. Les emprunteurs ne remboursent plus le principal de leurs dettes, mais seulement les intérêts, pariant que la croissance future des revenus leur permettra d’honorer leurs engagements.
Dans la même perspective, les banques sont de plus en plus laxistes dans l’octroi de crédits, car elles anticipent une poursuite de la croissance économique. Il déclare ainsi dans son ouvrage : « La stabilité, même en période d’expansion, est déstabilisante dans la mesure où un financement plus aventureux des investissements s’avère payant pour les premiers, et les autres suivent. »
Phase de financement Ponzi (Ponzi Finance)
Les agents économiques ne sont plus en mesure de rembourser leurs dettes. Ils doivent emprunter encore plus pour rembourser leurs engagements existants, tombant ainsi dans une spirale d’endettement. Cela correspond à une forme de bulle spéculative, où la solvabilité dépend entièrement de la possibilité de contracter de nouveaux emprunts.
Cette phase n’est pas tenable à long terme, et la moindre perturbation (hausse des taux d’intérêt, baisse des prix des actifs) peut conduire à un effondrement du système financier.
Un cycle endogène
Par ailleurs, l’une des idées centrales de Minsky est que ce cycle est endogène. C’est-à-dire qu’elle est intégrée au fonctionnement même des marchés financiers et n’est pas provoquée par des facteurs externes. Comme nous l’avons vu précédemment, selon lui, l’instabilité financière est un processus cumulatif qui survient en période de prospérité économique.
En période de stabilité, la confiance des investisseurs grandit et les incite à prendre de plus en plus de risques. Le cycle de Minsky est donc un processus cyclique de croissance, de surendettement, puis de crise, et non une tendance vers un équilibre stable.
Le paradoxe de la stabilité (ou paradoxe de la tranquillité)
En période de croissance et d’apparente stabilité, les acteurs économiques ont tendance à sous-estimer les risques. La stabilité économique conduit à une forme d’aveuglement collectif, où les investisseurs et même les régulateurs croient que les crises appartiennent au passé. Ce sentiment vous incite à prendre de plus en plus de risques financiers. Minsky développe ici un argument psychologique qui fera naître une branche de la finance : la finance comportementale.
Durant cette phase de stabilité, les vulnérabilités invisibles s’accumulent. Les niveaux d’endettement augmentent, les normes de prêt deviennent plus laxistes et les investissements sont de plus en plus spéculatifs. Mais cette prise de risque accrue ne devient visible que lorsque la bulle éclate et que les acteurs économiques se rendent compte qu’ils ne peuvent plus honorer leurs dettes.
C’est précisément ce paradoxe qui fragilise les systèmes capitalistes. Une confiance excessive dans la stabilité économique génère des comportements qui rendent inévitable l’apparition de crises.
D’où le rôle des banques et du crédit dans l’instabilité
Le crédit joue un rôle central dans la théorie de Minsky sur l’instabilité financière. Contrairement aux théories traditionnelles qui voient le crédit comme un simple intermédiaire entre l’épargne et l’investissement. Minsky confère au système bancaire et financier un rôle créatif dans l’économie, prolongeant ainsi l’analyse keynésienne.
Les banques, selon Minsky, ne sont pas seulement des intermédiaires passifs : elles ont un pouvoir créateur dans l’économie. En période de prospérité, les banques sont incitées à assouplir leurs normes de prêt et à prendre davantage de risques pour maximiser leurs profits. Ils contribuent ainsi directement à l’accumulation de dette dans le système économique. En accordant des prêts de plus en plus risqués, ils alimentent la spéculation et la formation de bulles financières.
L’expansion du crédit n’est pas mauvaise en soi, mais elle peut rapidement devenir une Source de risque systémique. Lorsque les dettes deviennent trop importantes et que les actifs commencent à perdre de la valeur, les banques se retrouvent exposées à de lourdes pertes. S’ils ne parviennent plus à recouvrer leurs dettes, cela peut déclencher une crise bancaire et une contraction du crédit dans l’ensemble de l’économie, comme ce fut le cas lors de la crise de 1929. C’est aussi ce mécanisme qui a été observé lors de la crise financière de 2008, où le effondrement des prêts subprime a conduit à une crise bancaire mondiale, les banques ayant prêté massivement à des emprunteurs insolvables.
Voici une citation pour résumer ses pensées
« Une économie capitaliste est fondamentalement imparfaite parce que le système financier nécessaire à la vitalité et à la vigueur du capitalisme – transformant les visions entrepreneuriales en demande effective d’investissement – contient le potentiel d’une expansion incontrôlée, alimentée par un boom des entreprises. investissement. »
Une critique de la vision classique de l’économie
Vous l’aurez sûrement déjà compris, Minsky se démarque très loin de ses contemporains (Friedman, Fama, etc.), mais aussi des économistes néoclassiques.
Cette théorie postule que les marchés sont rationnels et tendent naturellement vers l’équilibre. Selon la vision classique, les crises économiques sont souvent attribuées à des facteurs externes (guerres, catastrophes naturelles) ou à des interventions excessives de l’État, plutôt qu’à des faiblesses inhérentes au capitalisme.
Minsky rejette l’idée d’un équilibre naturel des marchés. Pour lui, les marchés sont toujours en mouvement, influencés par le comportement humain, l’incertitude et surtout la psychologie des investisseurs. Les crises financières, selon Minsky, ne sont pas des accidents exceptionnels, mais des manifestations régulières de l’instabilité du capitalisme.
Minsky montre également que l’instabilité est une caractéristique endogène du capitalisme. Contrairement aux théories néoclassiques, qui cherchent à démontrer que les marchés financiers sont efficaces, Minsky démontre que les crises sont un produit naturel du système. Le rôle du crédit, de la spéculation et du comportement humain rend inévitable la formation de bulles et d’effondrements.
Cela remet en question l’idée selon laquelle les interventions publiques (telles que la politique monétaire ou budgétaire) peuvent éliminer le risque de crise. Même si de telles interventions peuvent retarder ou atténuer les crises, elles ne peuvent jamais les prévenir complètement (notamment en raison de la dimension psychologique à l’origine des crises).
Aperçus récents
Alors répondons à la question : Cela peut-il se reproduire ? La conclusion de Minsky dans son livre est claire : oui, cela peut se reproduire. Tant que les économies de marché continueront de s’appuyer sur l’expansion du crédit et la spéculation, des crises financières majeures se reproduiront.
Minsky nous met en garde contre l’illusion selon laquelle nous avons suffisamment appris du passé pour prévenir de futures crises (l’histoire se répète, selon lui). Toujours selon Minsky, l’instabilité est une caractéristique intrinsèque du capitalisme et aucune réforme ne permettra d’éliminer complètement ce risque (cf. l’analyse de la psychologie comme origine des crises).
Il est toutefois possible de limiter la gravité des crises en adoptant des politiques économiques plus prudentes et en réglementant plus strictement les marchés financiers. Elle appelle à une plus grande vigilance de la part des régulateurs et des décideurs politiques pour s’assurer que les banques et les investisseurs ne prennent pas de risques excessifs qui pourraient déstabiliser l’ensemble du système (cf. phases 1 et 2 d’instabilité) .
Les idées de Minsky restent toujours aussi pertinentes. Les crises financières récentes, comme celle de 2008, et la volatilité des marchés financiers nous rappellent qu’une apparente stabilité peut souvent masquer de profondes instabilités. On parlait d’ailleurs du « moment Minsky » en 2008 pour décrire l’origine de la crise de subprimeattestant ainsi de la pertinence de l’auteur pour analyser une telle crise.
Attention cependant à ne pas tout analyser à la loupe de Minsky. Typiquement, il est plus difficile d’argumenter sur la pertinence des analyses de Minsky pour expliquer la crise due au Covid, voire à la guerre en Ukraine, cette dernière étant bien plus provoquée par des chocs exogènes.
Conclusion
Cela peut-il se reproduire ? reste donc un ouvrage clé pour comprendre les mécanismes des crises financières dans les économies de marché. Sa théorie de l’instabilité financière, basée sur le rôle central du crédit, de la spéculation et du comportement humain, fournit une explication claire des dynamiques cycliques qui conduisent aux crises. Plus qu’un simple diagnostic du passé, les théories de Minsky offrent une grille de lecture toujours pertinente (même si on l’a nuancé) pour comprendre l’avenir de la finance dans l’économie.
C’est donc un ouvrage idéal à citer sur des sujets sur la mondialisation financière, chapitre souvent abordé en deuxième année de préparation ECG. Vous pouvez donc parfaitement utiliser un tel ouvrage sur des sujets comme : ESCP 2023 « L’objectif premier de la Banque centrale est d’assurer la stabilité des prix », « Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE) », ou encore Écricome 2023 (2) « Qu’est-ce qu’un bon SMI ? » « . Il n’est donc pas nécessaire de remonter longtemps dans les sujets pour trouver où mobiliser Minsky !
Il ne reste plus qu’à croiser les doigts pour qu’un sujet sur la finance apparaisse dans les prochains écrits !
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