On les appelle hirondelles (en basque « enorak » ou « ainerak ») car elles arrivent à l’automne et repartent au printemps avec, si possible, le modeste gain de leur pénible travail pour constituer le fameux trousseau d’un mariage avec un jeune homme. qui est resté au pays. Comment ne pas le dire, ils sont exploités voire surexploités par des patrons sans scrupules
. Félicia, une jeune fille belle et intelligente, est le personnage central du roman de Jean Vignau. Le déterminisme anthropologique et social l’obligera à suivre ses camarades lors de leur départ au printemps, mais les choses seront différentes après son retour en Soule à l’automne 1914. C’est l’originalité de ce récit. Cela s’inscrit dans le désir farouche d’un adolescent étranger d’affronter un monde hostile et cynique. Félicia ne retourne donc pas à Burgui, village de la vallée du Roncal, pendant sud de notre vallée de Barétous (Des tonnes de marchandises) en Béarn.
Un étrange destin
Une petite voix, son âme solitaire et meurtrie, lui ordonne de rester à Mauléon où un étrange destin s’ouvre à elle. Elle traverse ce début de XXe siècle, envers et contre tout. Et Dieu sait si les événements, le premier conflit mondial entre autres, la déstabilisent, la désespèrent parfois. Heureusement, hasard ou Providence, qui sait ? — lui fait rendez-vous en Haute Ville, Melle Enara Etchemendy, enseignante à la retraite, qui deviendra petit à petit son mentor et une grand-mère porteuse.
Elle lui apprend la langue française, les « manières du pays », « l’habitus », l’univers dans sa plénitude et sa complexité. ” […] M.elle Etchemendy avait gardé une carte épinglée sur un mur qui représentait le monde entier, elle (Félicia) n’avait jamais vu ça, une carte de la planète. » L’apprentissage nourrit son envie de se fondre dans le paysage. Non seulement elle y parvient mais elle bénéficie de l’affection désintéressée de cette vieille dame.
L’espadrille et la crise de 1929
Les années passent, l’histoire dévoile son récit. L’industrie des espadrilles est impactée par la crise de 1929 : notre héroïne en subit les conséquences économiques et sociales. Bientôt, un miracle se produit, elle devient héritière d’Enara. La chance lui sourit à nouveau lorsqu’elle est engagée comme gouvernante pour les deux enfants d’une famille bourgeoise ce qui lui permet d’échapper à la précarité économique. Vient ensuite le temps de l’amour avec la rencontre inattendue de Fernand. Cependant, tout ne se passe pas comme elle le souhaiterait. Certes, l’amour l’habite, le bonheur s’installe, mais son âme reste souillée. Je n’en dirai pas plus, bien sûr.
Alors, parfois l’hirondelle peut faire le printemps… La réussite du roman de Jean Vignau est double. La narration est traitée avec délicatesse. Félicia, archétype de la résilience féminine, la porte jusqu’au bout. Nous n’avons jamais lâché le travail. Il peut être lu presque d’une seule traite. De plus, l’auteur découvre cette partie oubliée de l’histoire industrielle de Xiberoa (Soule). Un roman féministe écrit par un homme, qui mérite d’être lu et recommandé.
Jean Vignau, Le silence de l’hirondelle, éditions Gypaète, 171 p., 16,90 €